Psychanalyse, séance à durée variable et scansion
20/2/2025

Psychanalyse de Lacan, Séance à durée variable et scansion

Si vous avez déjà franchi le seuil feutré d’un cabinet de psychanalyse, vous savez que le temps – ce complice insaisissable – n’est jamais aussi neutre qu’il n’y paraît. Pendant trop longtemps, ces 50 minutes sacrées ont régné en maîtres implacables, imposant un carcan qui, certes, rassurait par sa constance, mais étouffait souvent l’éclat imprévisible de l’inconscient. Aujourd’hui, laissez-moi vous convier à un voyage où le temps se module, où la scansion se fait geste de révolte et de beauté, et où, pour reprendre un célèbre aphorisme lacanien, « l’inconscient s’est fait jour » – et, osons-le dire, parfois même jouir ! Nous explorerons la séance à durée variable et la scansion, en nous laissant guider par l’esprit subversif de Lacan, qui, en véritable poète de l’inconscient, nous incitait à briser les chaînes du temps mesuré pour laisser éclater le désir et les silences porteurs de vérités.

Repenser le temps et la parole de l’inconscient

Du carcan temporel aux envolées imprévues

La tradition psychanalytique a longtemps chéri ses 50 minutes, ce rituel presque liturgique hérité de Freud.

On aurait presque dit que le sablier dictait l’instant où l’inconscient devait se taire – ou plutôt, se contenter de murmurer. Mais avouons-le, combien d’entre vous ont ressenti ce pincement insidieux à l’approche de la fin de la séance, quand l’inconscient, encore plein de secrets, se voyait brutalement interrompu par l’horloge ?

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C’est précisément là que surgit l’idée d’une séance à durée variable.

Fini le temps figé et prévisible !

Certains praticiens – surtout ceux, impertinents, qui suivent la lignée de Lacan – osent réinventer la séance en la rendant fluide, vivante, et surtout à l’écoute des élans irrésistibles du désir et des silences lourds de sens. Imaginez : au lieu de compter les minutes comme un bourreau, on laisse la parole s’étirer, se contracter, se jouer des convenances pour révéler ce qui se cache au plus profond de vous. Une véritable libération du sablier, qui laisse enfin l’inconscient s’exprimer sans compromis.

La scansion : quand l’analyste joue les chefs d’orchestre

Ce mot, qui pourrait évoquer la rigueur métrique d’un poème, est en psychanalyse le coup de théâtre ultime, le geste de clôture qui en dit long.

La scansion, c’est ce moment précis où l’analyste, tel un chef d’orchestre impertinent, interrompt la séance pour signifier que, là, votre inconscient a tout balancé – sans fard, sans détour.

Et voilà que, dans un éclair de lucidité (ou de provocation assumée), l’analyste vous annonce : « Bravo, votre inconscient vient de se faire jour ! Arrêtons-nous là pour aujourd'hui ! »

Mais attendez… il y a mieux.

La scansion amène la surprise. Le sujet n'est plus réveillé par la simple fin de la séance, mais par ce geste inattendu. Vous, qui pensiez contrôler la situation, voilà que vous êtes pris de court. Ne pouvant anticiper ce coup de théâtre, vous n’avez d’autre choix que de subir – et d’accueillir – la révélation. Le mécanisme est ingénieux : en empêchant le sujet de se rassurer par la complétude de son imaginaire, la scansion le prend à contre-pied, déjouant ainsi sa résistance plutôt que de la combattre ou même de l’analyser.

Un véritable tour de force qui transforme la fin d’un cycle en une entrée fracassante dans le monde de l’inconscient.

Scansion et poésie : le rythme de l’inconscient en vers

Imaginez la scansion non seulement comme le geste clinique qui clôture une séance, mais aussi comme l’art de lire la poésie de votre âme.

En psychanalyse, la scansion se fait l’écho de la lecture attentive d’un poème : chaque silence, chaque hésitation, chaque mot se transforme en un vers qui compose la symphonie de l’inconscient.

Plutôt que de se limiter à une fin arbitraire dictée par l’horloge, la scansion interrompt la séance en marquant l’instant précis où le langage intérieur – ce langage secret et vibrant – se révèle dans toute sa musicalité.

Comme le poète qui scande ses vers pour en extraire la rythmique et la cadence, l’analyste capte la pulsation de votre discours. Ici, la scansion devient une invitation à écouter ce que vos mots laissent entrevoir, à déceler dans chaque pause la mélodie des non-dits, à reconnaître dans chaque hésitation le battement d’un désir enfoui. Ce geste-clé, semblable à la ponctuation qui vient clore une strophe, célèbre l’aboutissement d’un passage décisif de votre récit intérieur.

Ainsi, la scansion et la poésie se rejoignent dans un ballet subtil où l’inconscient se fait poème.

Elle vous convie à une lecture sensible et métaphorique de vous-même, où le rythme de votre parole révèle des vérités insoupçonnées et où le silence se mue en vers libres. Le temps, alors, ne se mesure plus en minutes, mais en pulsations, en éclats de vérité qui s’égrènent comme autant de mots sur le grand parchemin de votre être.

Lacan : le provocateur qui réinvente le temps

Impossible de parler de ces notions sans évoquer Lacan, cet anticonformiste au verbe tranchant et à l’humour décapant.

Pour lui, « l’inconscient est structuré comme un langage » – une vérité qui ne se plie jamais aux contraintes de l’horloge. Dans sa verve légendaire, il déclarait :

« En affirmant que « l'inconscient se fait jour », j'allais dire jouir ! Encore un lapsus à moins que j'aie pratiqué la censure... Tout cela est troublant ».

Ce n’est pas seulement une provocation savoureuse, c’est une invitation à repenser l’essence même du discours inconscient. Pour Lacan, chaque mot, chaque silence, est une rébellion contre l’ordre du temps mesuré. Il nous cloue le bec, non pas pour nous imposer une doctrine, mais pour nous libérer de l’illusion d’un temps figé et prévisible.

Ainsi, il nous convie à imaginer la séance psychanalytique non comme une succession linéaire de minutes, mais comme un espace dynamique et en perpétuelle métamorphose. Dans ce théâtre des ombres et des lumières, le désir se joue des limites du temps, et les silences se transforment en éclats de vérité fulgurants, révélateurs des mystères les plus profonds de l’âme. Lacan nous pousse à voir l’instant comme une révolution, un moment suspendu où le langage de l’inconscient se libère, éclate et se réinvente, défiant ainsi toute logique chronométrée.

C’est là, dans cet entrelacement de mots et de silences, que le génie lacanien se manifeste pleinement : il transforme le temps en une matière vivante, imprévisible, presque sensuelle, où chaque pause devient une porte ouverte sur l’infini.

Il nous enseigne que le véritable pouvoir de la psychanalyse réside dans la capacité à écouter ce qui échappe aux conventions – à saisir la pulsion, le non-dit, le frisson d’un désir qui refuse de se laisser enfermer dans le tic-tac monotone d’une horloge.

Lacan, en véritable provocateur, nous offre ainsi une vision du temps radicalement différente : celle d’un espace où la rigueur des chiffres cède la place à l’éclat vibrant du vécu intérieur, où l’inattendu et le sublime s’entrelacent pour donner naissance à une expérience qui dépasse les limites de l’ordinaire. C’est cette vision subversive qui continue de faire vibrer l’univers de la psychanalyse, incitant chacun de nous à regarder au-delà des apparences et à embrasser l’imprévisible beauté d’un temps en constante évolution.

Ainsi, en bouleversant notre rapport au temps, Lacan ne se contente pas de théoriser : il met en acte sa vision radicale, l'expérimentant directement dans la cure. C’est précisément dans cet esprit d’audace et de remise en question qu’il marque un tournant décisif en 1953. Plongeons donc dans un moment clé de son œuvre, où théorie et pratique s’entrelacent avec éclat : le Discours de Rome.

Le Discours de Rome : quand l’expérience errante devient art

C’est dans cet élan subversif que s’inscrit, donc, un épisode marquant de septembre 1953, resté célèbre sous le nom du Discours de Rome – Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse. Véritable manifeste, cet événement incarne la mise en acte de la pensée lacanienne : une psychanalyse affranchie des normes établies, où l’expérience errante devient un art clinique à part entière.

Dans cette scène théâtrale, Lacan, tel un chef d'orchestre audacieux, se retrouve face à un analysant dont l'obsession érigeait de véritables remparts.

Plutôt que de laisser la séance suivre son cours monotone, il décide de briser les conventions en interrompant brutalement l'échange. Ce geste, à la fois subversif et impertinent, a levé une résistance tenace comme on ferait sauter les verrous d'une forteresse.

Ce coup de théâtre révéla avec une intensité déroutante un fantasme jusque-là voilé – une grossesse anale, accompagnée du désir fou d’une résolution par césarienne – et évita ainsi à l’analysant de s'enliser dans des spéculations interminables sur l’art chez Dostoïevski. L'interruption opérée par Lacan fut bien plus qu'un simple arrêt de séance : elle fut le déclencheur d'une expérience errante, un dérapage volontaire en dehors des sentiers battus de la clinique traditionnelle.

Ce moment saisissant incarne ce que Lacan appellera plus tard l’« expérience errante » – une échappée belle par rapport aux standards imposés, un écart qui, loin d'être une anomalie, ouvre la voie à une nouvelle lecture du transfert. La scansion y joue son rôle magistral, marquant avec une précision quasi-métaphysique l’instant où l’inconscient s’est imposé, brutal et limpide, face à un sujet désormais dépouillé de ses artifices rassurants. Ainsi, loin d’être un simple acte de rébellion, cette interruption devient un art à part entière : celui de transformer le chaos en révélation, une démonstration éclatante de la puissance libératrice de l’inconscient.

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Entre tradition et audace : la séance qui se réinvente

Pourquoi se cantonner à des 50 minutes prescrites quand votre monde intérieur est un océan de flux et de métamorphoses ?

La rigidité du temps n’est qu’un leurre, un carcan obsolète qui ne saurait capturer la complexité de votre être.

En optant pour une séance à durée variable, l’analyste se fait l’écho de votre propre singularité, adaptant le temps à l’instant, prolongeant les moments de grâce ou interpellant brutalement l’inconscient lorsque celui-ci se libère avec force.

Ce choix – prolonger ou clore – n’est pas le fruit d’un hasard, mais le résultat d’un acte éminemment psychanalytique, acte thérapeutique savamment orchestré. Il s’agit de laisser la parole s’exprimer selon ses propres règles, en déjouant les attentes pour faire surgir le véritable message de l’inconscient.

La scansion, ultime clin d’œil au sublime et à l’imprévu

La scansion, ce geste final qui marque la fin d’un cycle, va bien au-delà de la simple interruption de séance.

Elle est l’ultime clin d’œil, le coup de pinceau final sur une toile inachevée, qui signale que, dans l’effervescence de votre discours, une vérité s’est révélée. Ce geste surprend, désoriente, et oblige le sujet à regarder en face la richesse de ses propres mots, dans une tension où la résistance se dissout d’elle-même.

Comme une virgule qui vient clore une phrase poétique, la scansion vous surprend, vous déstabilise, et finalement, vous libère. Elle empêche le sujet de se rassurer en complétant son imaginaire, l’obligeant à affronter la réalité brutale et magnifique de son inconscient. Plutôt que de lutter contre la résistance, elle la contourne, la déjoue, et en fait un allié inattendu.

L’héritage de Lacan et la réinvention du temps

Lacan a bouleversé notre rapport au temps en psychanalyse, nous rappelant que le discours n’est pas une succession de minutes, mais une danse d’intensités et de significations.

Pour lui, le cadre temporel n’est qu’un point de repère, un artifice qui doit céder la place à l’effervescence du désir.

En adoptant une approche à durée variable et en pratiquant la scansion au moment opportun, l’analyste se transforme en médiateur d’un temps libéré, capable de révéler les plus sombres et les plus lumineux secrets de l’inconscient.

Vers une nouvelle ère temporelle en psychanalyse

La relecture du temps en psychanalyse, portée par l’idée d’une séance à durée variable et la pratique impertinente de la scansion, nous invite à repenser le rôle de l’analyste.

Plutôt que de suivre aveuglément des normes figées, l’analyste devient le guide d’un voyage intérieur où chaque silence, chaque mot, chaque interruption revêt une valeur infinie. Vous, explorateur(trice) de votre propre psyché, bénéficiez d'un cadre où le temps se plie à votre réalité, un espace où votre inconscient peut éclater en toute liberté.

Conclusion : Laissez le temps danser et la parole s’envoler

Pour conclure, chers lecteurs, il est grand temps de repenser ensemble la structure même de la séance psychanalytique.

La durée variable et la scansion, loin d’être de simples techniques, sont une invitation à écouter le temps qui se module et à laisser votre inconscient s’exprimer sans entrave.

En marquant la fin d’une séance par ce geste symbolique, l’analyste vous annonce, avec une touche d’irrévérence assumée, que votre inconscient a trouvé ses mots.

Ainsi, la prochaine fois que vous franchirez la porte d’un cabinet, souvenez-vous que le temps n’est pas un tyran, mais une toile mouvante sur laquelle se dessine le drame et la beauté de votre être. Comme le clamait Lacan avec verve : « l’inconscient est structuré comme un langage ». C’est dans cette langue, faite de silences, de surprises et de mots subversifs, que réside la clé d’une véritable libération.

Chers lecteurs, osez défier l’implacable tic-tac de l’horloge, laissez-vous emporter par la fluidité d’une séance qui se plie à vos désirs, et accueillez la scansion comme ce geste ultime qui proclame : votre inconscient a parlé, et il a osé se révéler.

Vive la psychanalyse, vive le temps retrouvé, et surtout, vive la parole libérée !

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Par Frédérique Korzine,
psychanalyste à Versailles
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