Dans son Séminaire L’Acte psychanalytique (1968), Jacques Lacan soulève une question déstabilisante : « Est-il vrai que tous les hommes désirent une femme ? » Derrière cette formule apparemment provocante se cache une remise en question radicale de ce que l’on croit « naturel » : le désir, la sexualité, et le rapport entre les sexes. Ce que Lacan révèle peut-être ici, c’est l’illusion du rapport sexuel comme évidence. Loin d’être un simple fait biologique, le désir humain se structure autrement. Et cette perspective, bien que formulée dans un cadre théorique psychanalytique classique, résonne aujourd’hui puissamment avec les questions soulevées par les identités LGBTQIA+. Car si « le rapport sexuel n’existe pas », c’est peut-être aussi ce qui ouvre l’espace de toutes les sexualités possibles.
Mais cette vision, souvent véhiculée par la tradition, la religion ou encore la psychologie évolutionniste, relève d’un fantasme hétéronormé, que Lacan déconstruit méthodiquement.
Entre identité, genre et désir, la psychanalyse à Versailles offre un espace pour entendre ce qui échappe aux normes.
Il n’obéit ni à un cycle hormonal, ni à un besoin physiologique reproductif. Lacan affirme que le désir ne naît pas dans le corps, mais dans le langage. Il est structuré par un manque originaire, par une béance irréductible qui hante le sujet parlant.
Il n’existe pas un objet prédéfini que le sujet viendrait naturellement convoiter : le désir s’invente, se fantasme, se détourne, se méconnaît.
Il ne s’agit jamais d’un désir « pur » ou « brut », mais d’un désir médiatisé par le signifiant : celui du père, de la loi, de l’interdit, du Nom-du-Père.
C’est précisément parce que le sujet est un être de langage qu’il désire ce qui lui manque, ce qu’il ne peut nommer, ce qui lui échappe.
Ce manque fondamental est ce qui fait la spécificité du désir humain. Il se déploie dans le fantasme, dans des scénarios inconscients qui organisent la manière dont le sujet se représente la jouissance, l’objet d’amour, l’Autre sexe.
Le non-rapport sexuel n’est pas une impasse clinique, mais une invitation à en parler dans un cadre psychanalytique à Versailles.
Il échappe à toute tentative de codification. Il n’existe pas de désir « standard », pas plus qu’il n’existe un schéma universel du rapport sexuel.
Ainsi, aucune orientation sexuelle n’est plus légitime qu’une autre. Que le sujet désire une femme, un homme, les deux, aucun, ou des identités non-binaires, cela ne change rien à la structure du désir : il est toujours marqué par le manque, par l’Autre, par le langage.
Il ne crée pas une harmonie naturelle entre l’homme et la femme. Il ne scelle pas une union complémentaire. Il met en jeu un écart, une tension, une impossibilité à combler. C’est en cela qu’il est profondément humain.
À première vue, elle choque. Elle dérange, elle fait sourciller.
Elle semble nier l’évidence : bien sûr qu’il y a du sexe, de l’amour, des couples, des étreintes, des corps qui se rencontrent. Mais cette formule ne nie pas les relations sexuelles, ni le plaisir, ni la possibilité de l’amour. Ce que Lacan vise ici, c’est bien plus radical, plus profond, plus subversif encore.
Autrement dit : aucune loi, aucune structure, aucune écriture dans le langage n’organise de manière harmonieuse le lien entre les sexes.
Lacan pulvérise cette vision romantique et naïve héritée de Platon, selon laquelle chacun chercherait « sa moitié ».
Le rapport entre les sexes n’est pas seulement difficile, il est structurellement impossible. Il y a entre eux une béance, un écart irréductible, une asymétrie foncière. Le langage échoue à faire lien, les signifiants ne raccordent pas les jouissances, le malentendu est la règle.
C’est dans cette impasse que se loge la vérité du désir, et c’est précisément là que le psychanalyste a sa place. Non pas pour réparer ou harmoniser, mais pour écouter, pour éclairer, pour accompagner le sujet dans sa manière singulière de composer avec cet échec fondamental du rapport sexuel.
Cette autre formule de Lacan — tout aussi tranchante — enfonce le clou :
« L’homme et la femme n’ont ensemble rien à voir. »
Ils peuvent s’aimer, se désirer, faire couple, se déchirer, jouir ensemble ou à côté — mais il n’y a pas de structure commune qui les relierait d’office. Tout est affaire d’invention, de bricolage, de négociation, de langage, de symptômes.
C’est parce qu’il n’y a pas de rapport sexuel — parce que le sexe ne fait pas lien — que les sujets s’éprouvent dans le manque, dans la quête, dans la tentative infinie de dire ce qu’est l’amour, le désir, la jouissance.
Quand le désir s’égare ou se répète, un accompagnement en psychanalyse permet de déplier ce qui se joue inconsciemment.
Le sexe n’est pas un simple lieu de plaisir ou de fusion entre deux corps. Il est un lieu d’énigme, de décalage, de résistance. Là où le corps jouit, quelque chose échappe. Le sujet ne sait pas ce qu’il veut. Il ne sait pas ce que veut l’autre. Il ne sait même pas ce que veut dire ce qu’il dit quand il dit qu’il désire.
C’est ce réel du sexe — ce qui ne peut se dire, ce qui reste hors-sens — qui fait vaciller les illusions. Le langage échoue à tout dire du corps. La parole trébuche. Le fantasme tente de colmater les brèches, de donner forme à l’énigme. Mais jamais il ne parvient à combler l’écart entre ce que l’on croit vouloir et ce que l’on éprouve.
Elle n’est pas dictée par la nature, elle n’est pas programmée, elle ne répond à aucune règle fixe. Elle est toujours une tentative, un bricolage singulier, une façon unique pour chaque sujet de composer avec ce qui échappe. Pas de schéma universel. Pas de script commun.
Il n’y a pas de norme du sexe. Et surtout, il n’y a aucune assignation « naturelle » du désir en fonction du sexe biologique, du genre, ou de l’identité. L’anatomie ne fait pas le destin. Ce n’est pas parce qu’on est né avec tel ou tel organe que l’on désire ceci ou cela. Le corps ne dicte pas la sexualité — c’est le manque qui la structure.
Elle ne répare pas l’amour, elle ne soude pas les couples, elle ne clôt pas l’énigme du désir. Elle l’ouvre. Elle en est la scène fragile, mouvante, souvent malhabile, où le sujet tente de dire l’indicible : ce qu’il attend, ce qu’il craint, ce qu’il rejette ou ce qui le hante.
Il n’y a pas de rapport sexuel, mais il y a la parole, et le travail psychanalytique à Versailles peut en accueillir toute la complexité.
Et c’est précisément là que surgit le symptôme, cette manière singulière dont le sujet habite l’impasse du rapport sexuel.
Le sexuel n’est donc pas un refuge ni un refuge stable. C’est un champ de tensions, de malentendus, d’écarts, mais aussi d’inventions. Le seul espace où quelque chose peut se jouer, se dire, se transformer, c’est dans la parole. Et c’est pourquoi le psychanalyste n’interprète pas le sexe comme une fonction, mais comme un symptôme.
Cette formule — aussi dérangeante qu’émancipatrice — signifie une chose essentielle : il n’y a pas de modèle préétabli pour désirer. Il n’y a pas de rapport naturel, ni d’orientation obligée, ni de position sexuée qui serait déterminée une fois pour toutes par le corps ou la biologie.
Le fantasme, comme tentative de donner forme au manque, au cœur de la démarche psychanalytique.
Elles ne sont pas des « déviations » d’un rapport supposé normal entre les sexes. Elles sont des réponses subjectives, singulières, créatives, face à l’impossible du rapport sexuel.
Les identités lesbiennes, gays, bisexuelles, pansexuelles, asexuelles, non-binaires, transgenres ou queer ne représentent pas des cas particuliers. Elles incarnent, avec une intensité parfois plus visible, ce que Lacan a toujours affirmé : il n’y a pas de rapport sexuel, seulement des tentatives de l’écrire, de le dire, de le vivre — chacune à sa manière.
Ce n’est pas parce que les configurations sexuelles queer s’écartent du modèle hétéro-normé qu’elles sont moins légitimes. Au contraire : elles mettent en lumière le caractère toujours artificiel, construit, performatif du genre et du désir.
Il affirme que le lien sexuel est toujours à inventer, que le genre n’est pas une essence mais une performance, une mise en scène, un acte, un positionnement dans le champ du symbolique. Judith Butler ne disait pas autre chose quand elle affirmait : « Le genre est une imitation sans original. »
De même, le désir ne s’inscrit jamais dans une structure fixe. Il traverse les identités, il les déborde, il les recompose. Il se déplace, bifurque, se répète, se réinvente. Et c’est précisément ce que Lacan appelle le manque structurant : ce trou qui fait du désir un moteur, mais aussi une errance.
Lacan ne dit pas ce que doivent être les sexes, il montre que leur articulation est impossible à écrire, et que tout sujet est libre — et contraint — d’en faire quelque chose.
Ce qui se joue alors, ce n’est plus une conformité, mais une création subjective face à l’impossible. Et c’est bien cela que les pensées queer explorent : comment on habite l’impossible, comment on désire sans garantie, comment on affirme une place là où aucune place n’est prévue.
Dans cette perspective, la différence sexuelle n’est pas une affaire de chromosomes, mais une affaire de structure. Ce qui compte, ce n’est pas ce que l’on a entre les jambes, mais comment on se place — consciemment ou non — dans la logique du désir et de la jouissance.
Chez Lacan, il y a deux positions sexuelles symboliques (et non deux sexes biologiques) : celle dite « du côté homme », soumise à la logique phallique et à la castration symbolique ; et celle « du côté femme », qui excède la logique phallique et s’ouvre à une jouissance « autre », supplémentaire, que Lacan appelle la jouissance féminine.
Il est donc possible d’avoir un corps d’homme et d’être dans une position subjective féminine, ou inversement. C’est cette dissociation radicale entre anatomie et position symbolique qui rejoint les vécus trans, non-binaires, queer.
Il se construit, s’élabore, parfois se conteste, à travers le langage, le fantasme, la jouissance, l’histoire du sujet.
La transition peut alors être l’expression d’un travail psychique profond, d’une tentative d’inventer une place dans le monde là où aucune ne s’est offerte d’emblée.
La psychanalyse, loin de devoir se défendre ou se crisper face à ces mouvements, a tout à gagner à les entendre pour ce qu’ils sont : des créations subjectives face à un impossible commun. Le refus d’être assigné à une identité génitale est une manière de dire le décalage entre le corps et le désir, d’habiter autrement le non-rapport sexuel.
Et c’est là que la psychanalyse peut jouer son rôle : accompagner sans juger, écouter sans réduire, éclairer sans enfermer.
Ce mot étrange — staferla — n’a pas de définition claire. Il sonne comme un mot-valise, un jeu sonore entre « cette affaire-là » et un mot issu d’un sabir inventé. Et c’est bien là le point : ce dont il s’agit ici, le sexuel, ne peut pas se dire. Il ne peut pas se nommer dans le langage ordinaire. Il déborde, il échappe, il résiste. C’est du réel pur.
Il n’est pas là pour recoller deux moitiés, ni pour harmoniser les pulsions. Il est là parce qu’il n’y a pas de rapport sexuel. Parce que le lien entre les corps, les genres, les subjectivités, rate toujours quelque part. Et c’est précisément ce ratage — ce que Lacan appelle le réel — qui fait symptôme.
C’est dans cet écart entre les signifiants et la jouissance que le psychanalyste opère. Il ne donne pas de solution, mais il crée un espace où le sujet peut dire ce qui ne se dit pas ailleurs.
Elle part du symptôme, de ce qui résiste, de ce qui fait souffrir ou jouir, de ce qui fait retour.
Dans un monde saturé de discours sur la sexualité — discours biologiques, sociaux, moraux, médicaux — le psychanalyste reste du côté du trou, du manque, de ce qui cloche. Il ne prétend pas boucher le vide, mais permet au sujet d’y faire quelque chose, de le mettre en forme, de le dire à sa manière.
Et c’est aussi l’affaire du psychanalyste, appelé à tenir une place là où le langage flanche, là où le sexuel échappe à toutes les assignations.
Il n’y a pas de rapport sexuel. Il n’y a que des tentatives de le dire, de le vivre, de le rater autrement. Et c’est là que commence le travail analytique.
C’est ouvrir l’espace d’une vérité plus rugueuse, mais infiniment plus libre : celle d’un sujet qui cherche, qui trébuche, qui invente, qui désire malgré l’impossible.
Et parce que ce manque est irréductible, le désir humain ne connaît pas de modèle universel. Il s’invente à partir de ce que le sujet n’a pas, ne comprend pas, ne maîtrise pas.
Elles montrent que le genre, le sexe, le lien amoureux ne sont jamais donnés d’avance. Ils sont construits, performés, rêvés, travaillés. Elles incarnent cette vérité que Lacan a formulée sans détour : il n’y a pas de rapport sexuel. Et donc, il y a mille manières d’en faire quelque chose.
Le psychanalyste ne sait pas à l’avance ce qu’est un homme, une femme, un genre, un désir, une sexualité. Il accueille l’énigme, l’impasse, le ratage. Il accompagne le sujet dans l’invention toujours singulière d’une position vivable face à ce qui ne s’écrit pas.
Le génie de Lacan, c’est d’avoir donné une structure au vide, une langue pour dire ce qui manque.
Et c’est ce manque, précisément, qui nous donne à désirer, à parler, à créer, à aimer — sans garantie, sans modèle, mais avec une vérité qui nous est propre.
Parce que la sexualité humaine est toujours une énigme, le travail psychanalytique à Versailles permet d’en explorer les zones d’ombre sans jugement.