Dans notre société, l’amour filial est souvent présenté comme une évidence, un devoir naturel et universel. Pourtant, il n’est pas rare d’entendre, en consultation ou dans des confidences intimes, une phrase lourde de culpabilité : « Je n’aime pas ma mère. » Ce constat peut être douloureux à formuler, tant il va à l’encontre des attentes sociales et du mythe de l’amour inconditionnel. Mais que signifie réellement ne pas aimer sa mère ? S’agit-il d’un rejet définitif, d’une blessure irrémédiable, ou d’un symptôme révélateur d’un conflit psychique plus profond ? Cette interrogation ouvre un espace de réflexion où se mêlent attachement, transmission intergénérationnelle, blessures précoces et nécessité d’une différenciation. Il s’agit ici d’explorer les racines de ce sentiment, d’en comprendre les enjeux inconscients et d’envisager les voies possibles pour s’en libérer, sans culpabilité ni tabou.
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En réalité, cette vision de la maternité est bien trop simpliste. L’amour maternel n’est pas inné, il se construit. Il y a des mères qui aiment profondément leurs enfants, d’autres qui ont du mal à créer du lien, certaines qui oscillent entre l’affection et le rejet… et parfois, il y a même des mères toxiques ou maltraitantes.
Comme le disait Françoise Dolto, « l’amour maternel n’est pas un sentiment constant, il est traversé par des hauts et des bas, des désillusions et des attentes déçues ». Bref, c’est une relation à part entière, avec ses complications, ses tensions et ses limites.
Quand cet attachement est stable et sécurisant, il permet de construire des bases solides. Mais quand il est instable ou douloureux, il laisse des marques profondes.
Toutes les relations mère-enfant ne suivent pas le même schéma. Certaines configurations relationnelles, loin d’être un simple écart de comportement, peuvent façonner durablement la construction psychique de l’enfant. Lacan, en évoquant le ravage maternel, montre que la relation mère-enfant peut parfois devenir un espace de fusion où l’enfant est à la fois tout pour la mère… et rien pour lui-même.
On les décrit souvent comme des mères qui « veulent trop bien faire », mais leur emprise va bien au-delà d’une simple surprotection. Elles anticipent les besoins de leur enfant avant même qu’il ne les exprime, prennent les décisions à sa place et l’étouffent par une présence constante.
Mais pourquoi ? Derrière ce contrôle excessif, quel désir inconscient est à l’œuvre ? L’enfant est-il un prolongement narcissique de la mère, un garant de sa propre stabilité psychique, un rempart contre l’angoisse de la séparation ? Ce qui se joue ici, ce n’est pas tant une volonté consciente de protéger, mais une impossibilité pour la mère de supporter un espace entre elle et son enfant.
Conséquence ? L’enfant, privé de son autonomie psychique, n’a d’autre choix que de rejeter cette emprise pour exister. C’est là que surgit une colère souvent incomprise : il ne rejette pas sa mère en tant que telle, mais ce qu’elle fait de lui. Il lutte pour se dégager d’un rôle qui l’empêche d’être un sujet à part entière.
Parfois, le problème n’est pas une emprise trop forte, mais un vide. Certaines mères, prises dans leurs propres blessures, peinent à investir la relation avec leur enfant. Elles sont là physiquement, mais émotionnellement absentes.
Conséquence ? L’enfant, face à cette absence affective, peut adopter deux stratégies :
✔ Multiplier les tentatives de connexion : il cherche sans cesse à capter l’attention, à être « assez bien » pour mériter l’amour, développant un besoin chronique de reconnaissance.
✔ Se protéger en n’attendant plus rien : il intègre l’idée que les autres ne seront jamais vraiment là pour lui, ce qui peut le mener à un détachement émotionnel et une peur de la dépendance affective à l’âge adulte.
Certaines mères oscillent entre deux pôles : un jour débordantes d’amour, l’autre indifférentes ou froides. L’enfant grandit dans une incertitude permanente : va-t-il être accueilli ou rejeté ? Adoré ou ignoré ?
Conséquence ? Cette instabilité affective entraîne un attachement insécurisant : il apprend que l’amour est conditionnel, imprévisible, fragile. Une fois adulte, il peut reproduire ce modèle dans ses relations, alternant entre dépendance affective et peur d’être abandonné.
Que ce soit dans l’excès ou le manque, le point commun de ces mères est souvent l’incapacité à laisser à l’enfant un espace d’individualité. L’enjeu n’est pas seulement d’aimer, mais de permettre à l’enfant d’exister pour lui-même et non pour répondre à un désir qui le dépasse.
Lacan disait que l’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas. Peut-être pourrait-on l’appliquer ici : un amour maternel qui ne laisse pas de place au manque – ou qui en laisse trop – prive l’enfant de la possibilité d’être sujet.
Pourtant, dans certains cas, ne pas aimer sa mère est une réaction de protection psychique.
Un enfant qui a grandi dans un climat de négligence, d’humiliation, de rejet ou de violence ne peut pas développer un attachement sain. Et même dans des familles « normales », si la relation a été marquée par des attentes déçues, des conflits ou un manque d’écoute, l’amour filial peut finir par s’éroder.
Ce qui est important à comprendre, c’est que ce rejet n’a rien à voir avec un manque de gratitude ou de sensibilité. C’est souvent un mécanisme de défense inconscient qui permet d’éviter de souffrir encore et encore d’une relation douloureuse.
Et c’est peut-être là qu’il faut changer notre regard sur la maternité : arrêter d’en faire un idéal intouchable et accepter qu’elle peut être imparfaite, parfois même absente. Parce que non, toutes les mères ne sont pas naturellement aimantes. Et non, tous les enfants ne ressentent pas forcément d’amour pour elles. Et ça, ce n’est ni une faute, ni une anomalie. C’est juste une réalité humaine.
Ce n’est pas un caprice, ni une soudaine prise de position radicale. Souvent, ça vient de loin, de blessures profondes qui se sont installées petit à petit, parfois de façon invisible. Ce n’est pas juste une dispute ou une incompréhension passagère, c’est un climat global qui, au fil du temps, a fragilisé ou détruit le lien.
Dans toutes ces situations, « ne pas aimer sa mère » n’est pas un choix, c’est une réaction de survie. L’inconscient met en place une distance émotionnelle pour éviter de souffrir encore et encore d’un amour déçu. Parce qu’aimer une mère qui ne remplit pas son rôle protecteur, c’est s’exposer à une blessure permanente. Alors parfois, couper le lien affectif devient une nécessité psychique.
Dans certaines familles, exprimer sa colère contre sa mère, c’est interdit. Alors on ravale tout, on fait semblant, on refoule… jusqu’à ce que ça se transforme en un désamour total, un ressentiment durable, ou même une rupture définitive.
Quand la relation est trop toxique, trop douloureuse, il arrive que l’enfant – devenu adulte – choisisse de couper les ponts pour survivre émotionnellement.
Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas une décision prise sur un coup de tête ou par vengeance. C’est un acte de survie psychique. Un moyen de se libérer d’une relation destructrice, de s’autoriser à exister sans être ramené en permanence à une souffrance passée.
Loin des clichés de la mère parfaite et aimante, il est important de reconnaître que toutes les relations mère-enfant ne sont pas belles et harmonieuses. Certaines sont marquées par des absences, des conflits, des déséquilibres profonds.
Ça ne se dit pas, ça ne se fait pas, et pourtant… combien de personnes le ressentent en secret ? L’idée que l’on puisse ne pas aimer celle qui nous a mis au monde reste un sujet tabou.
On sent bien, derrière ces phrases, une forme d’injonction : il faut aimer sa mère, quoi qu’il arrive. Peu importe si elle a été absente, intrusive, blessante, ou même toxique. Peu importe si on a grandi avec un poids énorme sur le cœur, avec cette sensation de ne jamais être compris ou aimé comme on en aurait eu besoin.
Et c’est là que la culpabilité s’installe. On se demande : « Qu’est-ce qui cloche chez moi ? Pourquoi je ne ressens pas cet amour censé être naturel ? » La société, la famille, l’entourage nous renvoient l’idée que le problème vient de nous, que c’est nous qui sommes ingrats, insensibles, voire cruels. Comme si l’amour maternel était un dû, quelque chose d'automatique.
La mère, par sa seule existence, inscrit son enfant dans une dette qu’il ne pourra jamais vraiment rembourser. Après tout, c’est elle qui l’a porté, nourri, mis au monde. On pourrait presque croire que ça crée une sorte de contrat implicite : « Je t’ai donné la vie, alors tu me dois amour et reconnaissance. »
Parce que si l'on pousse la réflexion plus loin, on se rend compte que l’amour ne fonctionne pas sur un principe de dette. On n’aime pas quelqu’un parce qu’on lui doit quelque chose. L’amour ne se décrète pas, il se construit. Ou… il ne se construit pas.
Et c’est bien ça qui pose problème : si le lien maternel a été blessé, malmené, s’il n’a pas pu s’installer naturellement, alors pourquoi devrait-on forcer un amour qui n’a jamais eu de place pour grandir ?
Et peut-être que l’une des clés, serait d’arrêter de culpabiliser pour ce qu’on ne ressent pas, et d’accepter que l’amour, même maternel, ne va pas toujours de soi.
Ça peut faire peur, ça peut sembler brutal, mais c’est une réalité intérieure qui mérite d’être reconnue. Et surtout, ça ne veut pas dire qu’on est une mauvaise personne.
Trop souvent, on essaye de se convaincre du contraire : « Si je fais un effort, ça ira mieux. » « C’est sûrement moi qui exagère. » « Je devrais être plus indulgent. » Mais à force de nier ce qu’on ressent, on s’épuise. Accepter son ressenti, ce n’est pas un acte de révolte, c’est une manière de s’alléger d’un poids.
L’amour ne se force pas. On ne peut pas s’obliger à ressentir quelque chose qui n’est pas là. Alors plutôt que de s’accrocher à une illusion, peut-être qu’il est temps d’accepter que la relation avec sa mère n’est pas celle qu’on aurait voulu… et que c’est comme ça.
Faire le deuil d’une mère idéale, ce n’est pas renoncer à toute relation. C’est comprendre que ce qu’on a reçu (ou pas reçu) fait partie de l’histoire, et qu’on ne peut pas réécrire le passé. C’est arrêter de quémander un amour qui ne viendra peut-être jamais sous la forme qu’on espérait.
C’est aussi une manière de se libérer. Parce que tant qu’on attend que l’autre change, on reste bloqué dans une position d’enfant, suspendu à une attente déçue. L’analyse peut aider à mettre des mots sur ce manque, à comprendre les blessures inconscientes qui en découlent, et surtout, à réinvestir autrement son besoin d’amour et de reconnaissance.
Prendre de la distance, ce n’est pas un rejet pur et simple. Ce n’est pas non plus un acte de vengeance. C’est une manière de se protéger, d’éviter de retomber encore et encore dans les mêmes schémas douloureux.
Mettre des limites, c’est aussi une façon de se respecter soi-même. Ça peut vouloir dire :
Parfois, prendre de la distance permet même d’améliorer la relation. Quand on n’attend plus désespérément quelque chose qui ne viendra pas, on peut interagir d’une manière plus apaisée.
Une grand-mère, une tante, une marraine, une amie plus âgée, une psychothérapeute, voire même des liens tissés avec certaines communautés ou groupes de soutien… Il n’y a pas qu’une seule façon de vivre la maternité et l’attachement.
L’idée, ce n’est pas de chercher une mère de substitution à tout prix, mais d’accepter que l’amour et la tendresse peuvent venir d’ailleurs. Et que parfois, on peut trouver ailleurs ce que l’on n’a pas reçu dans sa propre famille.
En fin de compte, l’important, ce n’est pas de forcer un amour inexistant ou de rester prisonnier d’une culpabilité stérile. C’est d’apprendre à composer avec son histoire, à s’autoriser à ressentir ce qu’on ressent, et à se donner la possibilité de construire des liens plus nourrissants, ailleurs et autrement.
C’est souvent le reflet d’une histoire complexe, marquée par des blessures, des déceptions et des attentes non comblées. La psychanalyse nous enseigne que reconnaître ces émotions permet de mieux se comprendre et, parfois, d’alléger ce fardeau.
Loin des injonctions sociales, il s’agit avant tout de retrouver une forme de liberté intérieure, en choisissant si l’on souhaite, ou non, reconstruire un lien, le transformer ou simplement l’accepter tel qu’il est.