L̶̶a̶ femme n'existe pas !
28/9/2024

« L̶̶a̶ femme n’existe pas » : Que voulait dire Jacques Lacan ?

Pourquoi Jacques Lacan a-t-il affirmé que « La femme n'existe pas » ? Derrière cette phrase choc, se cache une réflexion profonde sur les limites du langage et la place du féminin dans l'Ordre symbolique. En explorant cette idée, Lacan nous invite à reconsidérer la manière dont nous définissons le genre et l'identité.

Le célèbre psychanalyste Jacques Lacan a choqué et fasciné en prononçant ces mots troublants : « L̶̶a̶ femme n’existe pas ».

Mais qu'entendait-il exactement par cette formule qui semble nier l'existence même de la féminité ?

Vous vous demandez probablement si cette déclaration vise à effacer la présence des femmes dans la société, à discréditer leur existence ou, au contraire, à révéler une vérité plus complexe et dérangeante sur notre rapport au genre. On se doute bien que Lacan ne parlait pas de nier la réalité physique des femmes, mais ce qu'il entend par là est, comme toujours, beaucoup plus compliqué. Alors, décryptons ensemble ce casse-tête lacanien.

Vous remarquerez d'ailleurs ici que Lacan barre le "L̶̶a̶ " dans « La femme n'existe pas ». Ce geste n'est pas anodin : il symbolise l’impossibilité de définir une féminité universelle. Le féminin échappe aux tentatives de classification, et ce "La" barré reflète cette absence d'un signifiant stable dans le langage.

Pourquoi Jacques Lacan a-t-il dit que «  L̶̶a̶ femme n’existe pas » ?

Eh bien, peut-être connaissez-vous Lacan : provocateur, toujours prêt à faire une déclaration qui secoue les fondements mêmes de la réalité.

Mais rassurez-vous, il ne voulait pas dire que les femmes n'existent pas dans la chair et le sang. Ce qu’il contestait, c’est la manière dont le langage (et donc notre façon de penser) essaye – et échoue, soyons clairs – de cerner ce qu'est "La femme". Autrement dit, dans l'Ordre symbolique, ce grand théâtre où se jouent nos identités sous l'influence des règles du langage, il n'y a pas vraiment de place pour "La femme".

Pourquoi ? Parce que, dans cette structure qui nous aide à donner du sens à la réalité, tout tourne autour du masculin, ou plutôt du phallus. Oui, le fameux phallus, cet objet symbolique qui, selon Lacan, régit tout le langage. Donc, si tout est centré sur le masculin, que reste-t-il pour définir la femme ? Rien, ou presque. La femme, avec un grand L et un article défini, n'existe pas parce qu’elle ne peut pas être pleinement représentée par les outils de l'Ordre symbolique. Mais ne vous inquiétez pas, selon Lacan, il existe bien des femmes, juste pas « L̶̶a̶ femme ». Ouf, sauvées ?

Qu'est-ce que cela signifie pour la psychanalyse ?

Autant vous le dire tout de suite, cela ne rend pas les choses plus simples. En fait, Lacan nous met face à une impasse.

Si « La femme n'existe pas » dans l'Ordre symbolique, c'est que le féminin appartient en grande partie à ce qu’il appelle le Réel. Non, pas le réel de la vie quotidienne, mais le Réel avec un grand R – ce domaine insaisissable qui échappe aux tentatives de le nommer ou de le comprendre.

Autrement dit, les femmes existent bien, mais le concept de « La femme » comme une identité fixe, stable et universelle n’existe tout simplement pas. Et c'est là que Lacan enfonce le clou : non seulement le féminin échappe au langage, mais il échappe aussi aux tentatives de le réduire à une définition. Quelle ironie, non ? Dans un monde où l’on tente constamment de définir, catégoriser et enfermer tout ce qui nous entoure, « La femme » nous glisse entre les doigts comme du sable.

Lacan est-il misogyne ?

On pourrait le croire, non ? Après tout, une phrase comme « La femme n’existe pas » a tout pour mettre le feu aux poudres.

Mais avant de crier à la misogynie, examinons la situation de plus près.

Lacan n’est pas exactement le type à prendre des pincettes. Sa psychanalyse, profondément influencée par Freud, place le phallus au centre de la scène. D’où l’accusation par certaines féministes, comme Luce Irigaray, que Lacan fait preuve d'un phallocentrisme embarrassant. En d'autres termes, tout tourne autour du masculin, et le féminin est relégué à une sorte de vide indéfinissable. Vous commencez à voir le problème ?

Cela dit, Lacan ne voulait pas dévaloriser les femmes.

Selon lui, le féminin est tellement autre qu’il échappe aux tentatives de le circonscrire par le langage. Alors oui, cela peut sembler un peu condescendant, comme s'il disait que les femmes sont « trop mystérieuses » pour être comprises. Une explication qui pourrait aussi bien sonner comme une excuse bien pratique. Mais, de son point de vue, c'était plutôt une manière de dire que le féminin n’est pas réductible à ce que le langage symbolique (qui, rappelons-le, est conçu autour du phallus) peut exprimer. Ça ne rend pas la pilule plus facile à avaler, je sais.

Pourquoi « La femme » échappe-t-elle au langage symbolique ?

Ici, on touche le cœur du problème : le langage.

C’est bien simple, pour Lacan, le langage est phallocentrique, structuré autour de ce qu’il appelle le phallus, ce symbole du pouvoir et de l’autorité dans l’Ordre symbolique. Oui, vous avez bien lu, tout tourne autour de ça. Dans cette logique, le féminin, qui ne s’inscrit pas dans cette structure, se retrouve hors du champ de ce qui peut être dit ou représenté. Sympathique, non ?

Le féminin appartient donc à une autre sphère : celle de la jouissance.

Une jouissance différente de celle phallique, une jouissance féminine qui, surprise, échappe aussi au langage.

En gros, il y a une part de mystère inavouable qui entoure le féminin, une part que le langage ne peut jamais véritablement saisir. Lacan dira même : « Il y a une jouissance à elle qui est à elle et à elle seule, et sur laquelle elle-même peut n’en rien savoir. » Autrement dit, ce qui définit le féminin échappe aux mots. Voilà pourquoi « La femme » ne peut pas être pleinement intégrée dans l’Ordre symbolique. Voilà pourquoi « L̶̶a̶ femme n’existe pas ». Déprimant, non ?

Pourquoi cette affirmation est-elle si dérangeante ?

Avouons-le, Lacan savait comment faire parler de lui. « L̶̶a̶ femme n’existe pas » résonne comme une bombe dans un monde où la reconnaissance et la visibilité des femmes (et des identités de genre en général) sont au centre des débats. Alors, pourquoi Lacan décide-t-il de tout remettre en question avec une phrase aussi déstabilisante ?

Parce que Lacan adore les paradoxes. Si vous essayez de capturer le féminin dans une définition claire, vous échouez. La réalité du féminin, sa jouissance, est au-delà de ce que le langage peut exprimer. C’est une sorte de trou noir dans la structure symbolique, une absence qui ne peut être comblée. Et c’est précisément cette absence qui fait que « La femme » n'existe pas, du moins pas comme un concept stable ou figé.

Et bien sûr, cette idée est profondément dérangeante. Elle remet en cause notre manière de penser les identités, en particulier dans une société obsédée par les étiquettes et les classifications. Si « L̶̶a̶ femme n’existe pas », alors que dire de tout ce que l’on pense savoir sur le genre ? Sur le rôle des femmes ? Sur le féminisme ? Lacan nous force à admettre qu'il y a des aspects du féminin qui échappent à toute tentative de définition et que peut-être, nous ne sommes pas aussi malins que nous le pensons quand il s'agit de comprendre ce qu'est « être femme ».

Est-il encore pertinent aujourd'hui de parler de « La femme n’existe pas » ?

Avec tout ce que l'on sait aujourd'hui sur le genre, vous pourriez vous demander si cette phrase a encore une quelconque pertinence.

Eh bien, étonnamment, oui.

Dans un monde où les identités de genre deviennent de plus en plus fluides et où les frontières entre masculin et féminin sont constamment redéfinies, l'idée que « L̶̶a̶ femme n’existe pas » trouve un écho particulier.

Lacan avait, en quelque sorte, anticipé une époque où les identités figées de genre seraient remises en question.

Bien sûr, Lacan n'était pas un militant pour les droits des femmes ou des minorités de genre. Il était psychanalyste, préoccupé par la structure de l'inconscient et les jeux de langage. Mais son idée que le féminin échappe à toute tentative de définition résonne particulièrement bien avec les théories queer et postmodernes. Peut-être que Lacan, dans toute sa complexité provocatrice, avait finalement raison : "La femme" en tant qu'identité unique et définie est une construction impossible.

Références

  • Lacan, J. (1999). Le Séminaire, Livre XX : Encore (1972-1973). Paris : Seuil.
  • Irigaray, L. (1977). Ce sexe qui n’en est pas un. Paris : Éditions de Minuit.
  • Mitchell, J. (1982). Psychanalyse et féminisme. Paris : PUF.
Par Frédérique Korzine,
psychanalyste à Versailles
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Psychanalyse, hypnose, coaching, supervision et thérapies brèves.

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