La haine dans le contre-transfert : Impensé nécessaire de la psychanalyse
12/2/2025

La haine dans le contre-transfert : un impensé nécessaire de la psychanalyse

La psychanalyse a souvent été perçue comme une discipline où l’analyste, figure tutélaire de neutralité bienveillante, offre un cadre où l’inconscient du patient peut se dire sans entrave. Pourtant, derrière cette conception idéalisée se cache une réalité bien plus complexe, celle de l’analyste en tant qu’être humain, traversé par ses propres affects, y compris les plus dérangeants. Parmi ces affects, la haine est sans doute le plus tabou.

Peut-on imaginer qu’un analyste ressente de la haine envers son patient ?

Cette simple évocation heurte notre idéal d’écoute et d’accueil inconditionnel.

Pourtant, Donald W. Winnicott, en osant aborder la question dans son article de 1947 La haine dans le contre-transfert, a posé les bases d’une réflexion essentielle : celle de la reconnaissance de la haine comme un élément inévitable du processus analytique. Mais qu’implique cette reconnaissance ? Comment penser une haine qui ne doit ni être niée ni agir sur la relation thérapeutique ?

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Haine et contre-transfert : lever le tabou

La psychanalyse freudienne classique a longtemps soutenu le principe de neutralité analytique, considérant que l’analyste devait se tenir à distance de ses propres affects pour offrir au patient un espace de parole inconditionnel.

Dans cette optique, toute forme d’émotion intense ressentie par le clinicien, et a fortiori la haine, devait être soit maîtrisée, soit reléguée au second plan.

👉 "Sigmund Freud (1910) reconnaît le contre-transfert comme un phénomène inévitable, reflétant les propres réactions inconscientes de l’analyste face à son patient. Toutefois, il insiste sur la nécessité pour l’analyste de l’identifier et de le maîtriser dans sa propre analyse, afin qu’il ne devienne pas un obstacle à la cure. Contrairement aux développements ultérieurs de la psychanalyse, Freud ne le considérait pas encore comme un outil clinique pouvant être intégré au travail analytique."

Pourtant, l’illusion d’une neutralité absolue s’effrite dès lors que l’on admet que l’analyste est un sujet à part entière, traversé par des affects puissants.

Les travaux de Donald W. Winnicott (1947) ont marqué une rupture dans cette vision en osant aborder la question de la haine dans le contre-transfert comme une réalité clinique incontournable. Il ne s’agissait plus seulement de reconnaître le contre-transfert en tant que phénomène parasite à éliminer, mais de le penser comme un matériau de travail indispensable.

Winnicott ne suggère pas pour autant que l’analyste doive exprimer sa haine ou s’y abandonner.

Bien au contraire, il invite à un travail intérieur rigoureux, qui repose sur trois étapes fondamentales :

1. Reconnaître la haine comme un affect légitime : la nier reviendrait à la laisser agir de manière détournée, par le biais d’une froideur excessive, d’interprétations défensives ou d’un désinvestissement subtil du patient.

2. Comprendre ses origines et ses dynamiques : la haine ne surgit pas ex nihilo ; elle prend racine dans la relation transférentielle et dans l’histoire même du clinicien.

3. Contenir cet affect pour éviter qu’il ne déborde sur la relation thérapeutique : cela suppose une élaboration consciente de ce qui se joue, notamment en supervision ou en analyse personnelle.

Dans cette perspective, la haine ressentie envers un patient ne signe pas un échec de la relation thérapeutique, mais une donnée clinique précieuse.

Elle devient une porte d’entrée pour mieux comprendre les enjeux relationnels du patient, en particulier chez ceux pour qui la haine est le seul mode de lien possible.

Nombre de patients arrivent en analyse avec une histoire de rejet, d’abandon, d’humiliations ou de maltraitances, où la figure de l’autre a toujours été perçue comme hostile ou persécutrice.

Pour ces patients, l’analyste n’échappe pas à cette dynamique : il devient une cible, un adversaire à éprouver, voire une figure de destruction nécessaire à leur propre survie psychique.

François Roustang (1994) rappelait que « l’analyste, qu’il le veuille ou non, est pris dans un jeu de forces où il devient tour à tour l’allié ou l’ennemi du patient ».

Face à cela, il est essentiel que l’analyste ne se réfugie pas dans un idéal d’accueil inconditionnel qui pourrait masquer une forme d’évitement défensif. Jacques Lacan (1966) mettait en garde contre la tentation d’un amour sans faille du thérapeute, affirmant que « la haine fait partie du discours analytique autant que le désir ». En d’autres termes, reconnaître la haine dans le contre-transfert, c’est accepter que la relation analytique est un lieu d’intensité où se rejouent des conflits fondamentaux.

Ainsi, la véritable neutralité n’est pas l’absence d’affects, mais la capacité à penser et à élaborer ce qui traverse l’analyste, afin que ces mouvements internes ne viennent pas altérer le cadre de la cure. Si la psychanalyse vise à permettre au patient de reconnaître et d’intégrer ses émotions les plus archaïques, alors

comment un analyste pourrait-il exiger cela de son patient sans l’appliquer à lui-même ?

Loin d’être un tabou ou un échec, la haine dans le contre-transfert est donc un passage obligé du travail analytique. Mieux la penser, c’est offrir un cadre plus authentique et plus humain, où l’analyste ne se contente pas d’endosser une figure idéalisée, mais assume pleinement la complexité du lien thérapeutique.

La haine dans le contre-transfert : le signe de la division du sujet

Il convient, d’emblée, de préciser que Lacan n’a jamais rédigé un traité spécifique sur la haine dans le contre-transfert (en tous cas, à ma connaissance).

Pourtant, sa théorie nous éclaire sur ce phénomène de manière instructive.

Pour Lacan, l’analyste, tout comme le patient, n’est pas un être exempt d’affects ; il est avant tout un sujet divisé – « l’homme ne saurait être autre chose qu’un signifiant » – dont les manifestations affectives, y compris la haine, témoignent de cette scission intrinsèque.

La haine qui émerge dans le contre-transfert n’est pas à interpréter comme une pathologie ou une erreur de la part de l’analyste.

Bien au contraire, elle se présente comme l’indice d’un manque fondamental, ce « manque qui ne saurait être comblé », à l’origine même du désir. Ce manque, cette fracture entre le dire et l’indicible, se révèle dans la dynamique du transfert et du contre-transfert. Lorsque l’analyste ressent, par exemple, une forme de haine, ce n’est pas qu’il dévie de la neutralité ; c’est plutôt la résonance de l’inassimilable qui se fait sentir, le signifiant de ce qui refuse de se symboliser entièrement.

Ainsi, la haine dans le contre-transfert apparaît comme une trace de la division du sujet, une manifestation de l’insaisissable qui, loin d’être à réprimer, invite à une écoute attentive de l’inconscient.

L’analyste est ainsi appelé à reconnaître que son propre être est traversé par des affects qu’il ne peut totalement maîtriser.

Plutôt que de vouloir effacer ou contrôler ces affects, il s’agit de les accueillir comme le reflet d’un processus de symbolisation incomplet, qui ouvre la voie à une compréhension plus profonde du désir en jeu.

En définitive, dans la perspective lacanienne, la haine dans le contre-transfert n’est pas le signe d’un manquement de l’analyste, et non, inutile de vous mettre la rate au court-bouillon, ne changez pas de métier pour autant... mais bien la marque de la division essentielle du sujet ; elle révèle l’impossibilité d’une maîtrise totale et invite, par son insistance, à se confronter à l’inconnu qui structure notre rapport au désir.

D’où vient la haine en séance ?

Loin d’être une « faute » ou un échec du thérapeute, la haine qui surgit dans le contre-transfert est un phénomène clinique inévitable, révélateur des enjeux transférentiels et des souffrances archaïques du patient.

Sigmund Freud (1912) évoquait déjà la puissance des résistances inconscientes, soulignant que « le patient ne se contente pas d’aimer son analyste, il lui oppose aussi une hostilité qui ne demande qu’à émerger ».

La haine peut apparaître dans différents contextes cliniques, et loin de la percevoir comme un obstacle, il s’agit de la lire comme une expression du psychisme du patient, et un indicateur de la dynamique transférentielle en cours.

Les patients régressifs et la dépendance extrême

Certains patients, notamment ceux présentant des troubles narcissiques ou borderline, sollicitent l’analyste de manière envahissante.

Ils peuvent exiger une disponibilité constante, tester sans cesse les limites du cadre, ou exprimer une attente absolue d’être reconnus, validés, contenus. Dans ces configurations, l’analyste peut ressentir une forme d’oppression, voire d’étouffement psychique.

Donald W. Winnicott (1947) insistait sur le fait que « le thérapeute doit tolérer d’être utilisé par le patient, sans se laisser consumer ». La haine qui émerge ici n’est pas une haine personnelle, mais une réaction à l’exigence absolue du patient, qui, incapable d’être seul psychiquement, investit l’analyste comme un prolongement de lui-même.

Si cette haine n’est pas reconnue, elle peut se traduire par :

  • Une lassitude déguisée en neutralité distante.
  • Une rigidité excessive du cadre pour tenter de garder un contrôle sur la relation.
  • Un désinvestissement progressif du patient, vécu comme un fardeau émotionnel.

Plutôt que de rejeter cette haine, l’analyste peut y voir un reflet du vécu archaïque du patient, marqué par une dépendance fusionnelle et une angoisse d’abandon insoutenable.

L’agressivité et la destruction du cadre

Certains analysants testent l’analyste à travers des attaques verbales, des provocations ou un mépris affiché.

Ils peuvent contester le cadre, chercher à éprouver le praticien, ou encore adopter un comportement cynique visant à ridiculiser l’analyse.

Dans ces configurations, l’analyste est parfois convoqué dans une place de persécuteur, rejouant la figure parentale défaillante ou persécutrice du passé du patient.

Jacques Lacan (1953) soulignait que « la haine de l’analysant à l’égard de l’analyste n’est pas un accident, mais une nécessité structurale du transfert ».

Face à ces attaques répétées, il est humain que l’analyste ressente une forme de résistance intérieure, voire une colère latente. Pourtant, c’est dans cet éprouvé même que réside la clé du travail analytique. Cette haine est souvent le seul mode de relation possible pour le patient, qui cherche inconsciemment à vérifier :

  • Que l’analyste ne l’abandonnera pas, même s’il devient insupportable.
  • Que le cadre peut contenir son agressivité, là où ses figures parentales ont échoué à le faire.
  • Que la relation est réelle, car l’amour idéalisé lui est inaccessible, tandis que l’affrontement lui est familier.

Si l’analyste refuse d’admettre son éprouvé négatif, il risque soit de se laisser envahir par le rejet et la défensive, soit d’entrer dans un jeu de domination qui viendrait renforcer la dynamique pathologique du patient.

La frustration et l’impuissance du thérapeute

Il arrive que l’analyste se heurte à un mur.

Certains patients stagnent, tournent en rond, répètent sans jamais élaborer, ou refusent toute interprétation. D’autres cherchent à manipuler la relation thérapeutique, esquivant tout mouvement de changement.

Dans ces cas, une frustration profonde peut émerger. L’analyste peut ressentir une lassitude croissante, qui se transforme insidieusement en rejet ou en désengagement émotionnel. Cette forme de haine est plus insidieuse car elle n’est pas explosive, mais érosive :

  • Les séances deviennent mécaniques, l’analyste se surprend à attendre la fin de l’heure.
  • Les interprétations perdent en justesse, comme si un brouillard émotionnel s’installait.
  • Une tentation d’écourter la thérapie, voire d’encourager le patient à partir, peut émerger.

Irvin Yalom (2002) rappelait que « le sentiment d’impuissance de l’analyste peut devenir un matériau thérapeutique s’il est exploré plutôt que nié ». Il s’agit alors de se questionner : qu’est-ce que ce patient vient rejouer ici ? Se pourrait-il qu’il amène l’analyste à ressentir l’abandon et la lassitude qu’il a lui-même éprouvés dans son histoire ?

La haine en miroir : l’identification projective

Enfin, il existe des situations où le patient infiltre sa propre haine dans le psychisme de l’analyste, via un mécanisme d’identification projective.

Mélanie Klein (1946) a décrit ce processus où le patient, ne pouvant tolérer en lui une émotion insoutenable, l’évacue dans l’autre, qui la ressent alors comme sienne.

Un patient rempli de haine peut ainsi :

  • Rendre l’analyste irritable sans raison apparente.
  • Créer une atmosphère pesante, où tout devient laborieux.
  • Amener l’analyste à éprouver des affects inhabituels, comme s’ils lui étaient étrangers.

Dans ce cas, la haine ressentie par l’analyste n’est pas vraiment la sienne, mais celle du patient qui la lui délègue inconsciemment. François Roustang (1999) soulignait que « le thérapeute est souvent amené à éprouver ce que son patient ne peut encore nommer ».

Face à cela, il est crucial de ne pas se laisser happer par cette émotion. L’analyste doit pouvoir se désidentifier de ce qu’il ressent, et l’analyser comme un élément transférentiel à décrypter.

Une haine à penser, et non à subir

La haine en séance est un signal, non une faute.

Elle vient révéler des processus inconscients puissants, qui ne demandent qu’à être explorés. Que ce soit à travers la dépendance du patient, son agressivité, sa stagnation ou son identification projective, elle constitue une opportunité clinique plutôt qu’un écueil.

Ainsi, la haine n’a pas à être redoutée, mais comprise.

Si l’analyste parvient à l’accueillir comme une matière à élaborer plutôt qu’un malaise à fuir, alors elle devient un outil précieux pour mieux cerner le vécu du patient et ajuster la dynamique thérapeutique.

Reconnaître la haine sans la laisser agir

Donald W. Winnicott (1947) nous met en garde : nier la haine est un danger bien plus grand que la reconnaître.

Lorsque l’analyste refuse d’admettre cette émotion en lui, elle ne disparaît pas : elle agit de manière détournée et insidieuse, risquant d’altérer la relation thérapeutique.

Une haine non reconnue peut se traduire par :
  • Une froideur excessive : le thérapeute, croyant maintenir une « juste distance », devient imperméable, inaccessible, renforçant ainsi chez le patient un sentiment d’abandon ou d’indignité.
  • Un durcissement du cadre : sous couvert de rigueur, l’analyste impose une rigidité qui peut être vécue comme punitive par le patient, inhibant ainsi tout processus de transformation.
  • Une rupture brutale de la relation : un congé précipité, un renvoi du patient sous des prétextes techniques, ou encore une lassitude croissante qui pousse l’analyste à mettre fin au travail sans exploration suffisante de ce qui se joue.

Jacques Lacan (1959) insistait sur le fait que « la haine agit souvent là où elle n’est pas dite », soulignant ainsi l’importance de la mise en pensée des affects du clinicien pour éviter qu’ils ne deviennent destructeurs.

Reconnaître la haine ne signifie donc ni s’y abandonner, ni la nier, mais l’intégrer comme un élément clinique à part entière. Il s’agit d’un processus en plusieurs étapes :

1. Se donner les moyens d’analyser cette haine

Un analyste qui se sent traversé par une haine envers son patient ne doit pas s’en tenir à une posture défensive. Au contraire, il est essentiel d’interroger ce que cet affect révèle :

  • D’où vient cette haine ? Est-elle la sienne ou celle du patient introjectée par identification projective ?
  • Que vient-elle signifier dans la dynamique transférentielle ? Le patient cherche-t-il à provoquer cette réaction ? Quelle figure rejouée le thérapeute incarne-t-il ?
  • Cette haine touche-t-elle un point aveugle chez l’analyste ? Est-ce un écho à une blessure personnelle, une impasse propre à son parcours analytique ?

Cette introspection doit idéalement se poursuivre en supervision ou en analyse personnelle, car un analyste qui refuse d’explorer ses propres affects s’expose à ce que ceux-ci prennent le contrôle de sa pratique, à son insu.

2. Comprendre ce que cette haine dit du patient

Dans la plupart des cas, la haine ressentie par l’analyste n’est pas une émotion purement subjective.

Elle est une expression de la dynamique transférentielle et vient rendre visible un aspect fondamental du fonctionnement psychique du patient.

  • Chez certains patients borderline, elle est un mode relationnel privilégié, car l’autre n’existe que dans l’opposition et l’affrontement. L’analyste devient ainsi le support d’une haine archaïque, qui, dans l’histoire du patient, a été souvent vécue comme une tentative de connexion, aussi destructrice soit-elle.
  • Chez des patients narcissiques, elle peut être un mécanisme de défense contre la dépendance : haïr l’analyste, c’est refuser l’attachement, se protéger d’une menace d’intrusion ou d’humiliation.
  • Dans certains cas d’identification projective, l’analyste hérite d’une haine qui ne lui appartient pas mais qui lui est transmise, afin que le patient puisse en être temporairement soulagé.

Ainsi, la haine n’est pas une émotion hors de la cure, elle est une matière première essentielle, qui doit être accueillie comme un langage psychique du patient.

3. Intégrer la haine comme une donnée clinique, sans la juger comme une faute

Dans la tradition psychanalytique, les affects ressentis par l’analyste sont souvent envisagés comme des indicateurs de ce qui se joue dans la relation.

Carl Rogers (1951) affirmait que « lorsque nous rejetons une part de nous-mêmes, nous rejetons aussi la possibilité de comprendre l’autre ».

Reconnaître la haine en tant qu’affect clinique, c’est donc l’intégrer sans culpabilité, mais aussi sans complaisance. Il ne s’agit pas de se juger, mais d’élaborer ce que cela signifie dans le cadre précis du travail analytique.

Cela implique :

  • D’accepter cette émotion comme une donnée du travail et non comme un échec personnel.
  • D’en faire un outil de compréhension de la souffrance du patient.
  • D’éviter d’agir sous son emprise, en restant dans une position d’écoute et de réflexion.

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4. Se rappeler que cette haine n’est pas personnelle

L’un des risques pour l’analyste est de prendre cette haine pour lui, d’y voir une attaque contre sa personne, ses compétences ou son identité. Or, dans la majorité des cas, cette haine appartient au patient et s’inscrit dans son histoire relationnelle antérieure.

Irvin Yalom (2002) expliquait que « le thérapeute est souvent une toile sur laquelle le patient projette ses conflits passés ». L’analyste devient donc l’objet d’un scénario transférentiel, où il incarne le parent rejetant, l’agresseur du passé, l’adulte indifférent ou l’Autre persécuteur.

Se souvenir de cela permet d’éviter de réagir sur un mode défensif, et de travailler cette haine plutôt que de la subir. Cela permet aussi d’apaiser l’impact émotionnel qu’elle peut avoir sur l’analyste, en réintroduisant une forme de distanciation clinique.

Un travail d’élaboration plutôt qu’un combat

La haine en analyse ne doit ni être niée, ni être laissée en friche.

Elle doit être pensée, travaillée et intégrée comme une composante incontournable du processus thérapeutique.

Le véritable danger ne réside pas dans la présence de cette haine, mais dans son refoulement, qui peut la rendre agissante sous des formes insidieuses : ruptures mal élaborées, jugements inconscients, froideur excessive ou saturation émotionnelle.

L’analyste n’a pas besoin d’aimer inconditionnellement son patient, mais il a le devoir de ne pas répondre à la haine par le rejet, et de l’intégrer comme une expression de la souffrance qui demande à être entendue.

Comme le disait François Roustang (1999), « le praticien ne peut aider son patient à traverser ses abîmes que s’il accepte d’y jeter un regard lucide ». Accepter de voir sa propre haine, c’est ainsi offrir un espace où la haine du patient peut être enfin entendue, contenue et transformée.

Transformer la haine en outil clinique

Si la haine fait partie du contre-transfert, alors elle ne doit ni être considérée comme une entrave, ni être subie passivement.

Au contraire, elle constitue une donnée clinique précieuse, un levier potentiel pour mieux comprendre la dynamique transférentielle et ajuster l’accompagnement du patient.

Mais comment transformer cet affect parfois déstabilisant en un outil de travail plutôt qu’en une gêne parasite ? Cela implique un double mouvement, qui articule travail introspectif de l’analyste et élaboration clinique dans le cadre thérapeutique.

Un travail introspectif : interroger ce que la haine réveille en soi

Lorsque l’analyste ressent de la haine dans le cadre thérapeutique, il doit avant tout se l’approprier en la questionnant. Ce travail ne vise pas à juger, mais à mettre en lumière ce qui se joue en lui.

Certaines questions sont fondamentales pour explorer cette haine :

  • À quoi cette haine fait-elle écho en moi ?
    Résonne-t-elle avec une ancienne blessure ? Un rejet personnel ? Un sentiment d’impuissance déjà éprouvé dans mon parcours ?
  • Cette haine appartient-elle au patient, ou est-elle un effet de mon propre contre-transfert ?
    Est-ce une réaction aux attitudes du patient, ou bien est-ce que j’investis malgré moi cette relation avec une charge émotionnelle excessive ?
  • Quel aspect de moi-même cette haine me contraint-elle à regarder ?
    Renvoie-t-elle à une part de moi que je préfère ignorer ? Un rapport conflictuel à l’autorité ? Une colère refoulée face à certaines formes de dépendance ou d’hostilité ?

Comme le soulignait Carl Rogers (1951) : « Ce que nous refusons de voir en nous-mêmes est souvent ce que nous comprenons le moins chez l’autre ».

Ce travail d’introspection permet d’éviter deux écueils majeurs :

  1. Agir la haine en durcissant inconsciemment le cadre, en s’éloignant affectivement du patient ou en le rejetant brutalement.
  1. Se défendre contre elle en adoptant une posture pseudo-neutralisante, qui masque en réalité un évitement ou une peur de l’affect.

L’analyste n’a pas à être un modèle de pure bienveillance ; il doit avant tout être honnête avec lui-même sur ce qu’il traverse, pour ne pas être le jouet de ses propres réactions inconscientes.

Une élaboration clinique dans le cadre thérapeutique

L’analyste ne peut évidemment pas exprimer directement sa haine au patient, ni l’utiliser de façon brutale dans ses interprétations.

Mais il peut la travailler, la sublimer, et en faire une boussole clinique pour affiner son positionnement.

Comprendre les mécanismes sous-jacents à la haine

La haine ressentie par l’analyste n’est jamais gratuite. Elle témoigne d’une tension particulière dans la relation, souvent liée à :

  • Un transfert massif où le patient projette une figure haïe sur l’analyste.
  • Un mode relationnel où l’hostilité est la seule forme de lien possible pour le patient.
  • Une demande d’étayage extrême, qui épuise et frustre l’analyste.

Comprendre dans quelle logique psychique s’inscrit cette haine permet de mieux ajuster la réponse clinique.

Comme le disait Jacques Lacan (1974) : « L’analyste est le lieu où se dépose ce qui ne peut être dit autrement ». Si l’analyste ressent de la haine, c’est que quelque chose se déplace et se rejoue dans le transfert, et qu’il est nécessaire de l’explorer plutôt que de le subir.

Ajuster son écoute et sa posture

Un patient en grande détresse n’a pas besoin d’un analyste figé dans une posture froide ou surplombante, mais d’un cadre suffisamment solide et souple à la fois, qui contient sans renvoyer l’hostilité.

Concrètement, cela signifie :

  • Ne pas réagir sur un mode défensif face aux attaques du patient. Il ne s’agit pas de répondre à la haine par la haine, mais de l’accueillir comme un message clinique à décoder.
  • Ne pas « punir » le patient par des silences punitifs, une rigidité excessive ou un retrait affectif. La haine du patient est souvent une tentative de mise à l’épreuve du cadre, et non une invitation à l’abandon.
  • Interroger en séance les résistances sans brutalité : dire par exemple « Je ressens qu’il y a ici beaucoup de tension entre nous, et cela me semble important. Peut-on essayer d’en parler ensemble ? ».

L’important est de permettre au patient de vivre une relation où la haine est contenue, pensée, et non expulsée ou rejetée.

Transformer la haine en levier de transformation

Si la haine est travaillée, alors elle peut être un outil puissant pour amener un patient à reconnaître ses propres modes relationnels.

Chez un patient habitué à des relations de rejet ou de confrontation, le fait de ne pas être rejeté malgré sa haine peut être une expérience nouvelle et structurante. Il peut alors commencer à élaborer ce qui le pousse à provoquer l’autre, et entrevoir d’autres manières d’être en relation.

Comme l’évoquait Irvin Yalom (2002) : « Le patient commence à guérir lorsque ce qu’il croyait inévitable cesse de se produire ».

Ainsi, si la haine du patient n’aboutit pas à une rupture, si elle n’effraie pas l’analyste au point qu’il se défende ou s’éloigne, alors elle peut être transformée en une clé d’accès à son vécu profond.

De l’affect à l’outil clinique

Transformer la haine en un outil clinique ne signifie pas la nier, ni s’y abandonner, mais l’élaborer jusqu’à en faire un élément dynamique du travail thérapeutique.

  • Un analyste qui reconnaît sa propre haine peut mieux comprendre les enjeux relationnels du patient.
  • Un cadre thérapeutique qui ne renvoie pas la haine au patient lui permet d’explorer une autre façon d’être en lien.
  • Une analyse bien menée fait de ces affects une opportunité de transformation, plutôt qu’un risque de rupture.

Comme le soulignait François Roustang (1999), « L’analyste n’a pas besoin d’être un roc, mais il doit être un espace où l’affect peut être pensé plutôt qu’agressé ou figé ».

La haine, lorsqu’elle est travaillée avec lucidité, devient un outil puissant pour sortir des impasses transférentielles, et ouvre la voie à une relation thérapeutique plus authentique et plus structurante.

Conclusion

Aborder la haine dans le contre-transfert, c’est finalement reconnaître que l’analyste est un sujet, et non une figure idéalisée dénuée d’affects.

C’est aussi ouvrir un espace de parole pour les cliniciens, afin qu’ils puissent penser ces affects au lieu de les subir en silence. Car si nous exigeons des patients qu’ils reconnaissent et travaillent leur agressivité, pourquoi nous l’interdirions-nous ?

En fin de compte, il ne s’agit pas tant d’éradiquer la haine que de l’apprivoiser, de la comprendre et de la transformer en un outil au service du soin. Car un analyste qui accepte sa propre humanité sera toujours plus à même d’accueillir celle de ses patients.

La haine en séance n’est pas un échec : c’est une matière brute qui, bien travaillée, peut devenir une clé de compréhension précieuse pour accompagner ceux qui, souvent, ne savent exprimer leur souffrance que par l’hostilité.

Et si nous cessions d’avoir peur de cette question pour enfin l’affronter avec la lucidité et la bienveillance qu’elle mérite ?

FAQ : Haine et contre-transfert en psychanalyse – Réponses aux questions fréquentes

Dans le cadre de l’accompagnement des professionnels de la santé mentale, il est essentiel d’aborder des thématiques parfois taboues, comme la haine dans le contre-transfert. Cette section vise à répondre aux questions fréquentes des praticiens et des professionnelles du social, de la thérapie et de l’intervention clinique, afin de favoriser une meilleure intégration de cette question dans les pratiques d’aide et d’accompagnement.

Pourquoi est-il important de reconnaître la haine dans le cadre thérapeutique ?

Reconnaître la haine permet d’éviter qu’elle ne devienne un obstacle au changement et au processus analytique. Si l’analyste refoule cette émotion, elle risque de s’exprimer de manière défensive dans l’intervention clinique : froideur excessive, rigidité du cadre ou désengagement progressif. En intégrant cette donnée comme une réalité psychique du travail analytique, le praticien peut l’utiliser pour approfondir la compréhension des situations cliniques et ajuster son accompagnement des personnes en souffrance.

La haine en séance est-elle un signe d’échec de l’analyste ?

Absolument pas. Tous les professionnels de la relation d’aide et de soin sont traversés par des affects forts au cours des années de pratique. La haine ressentie en séance n’est pas une faute, mais une indication clinique précieuse qui doit être travaillée en supervision individuelle ou en groupe. Elle peut être le reflet du transfert négatif, d’une résistance ou d’une dynamique relationnelle propre à la personne accompagnée.

Quels sont les outils à disposition des professionnels pour mieux gérer la haine en contre-transfert ?

Il existe plusieurs techniques d’analyse et de réflexion clinique pour intégrer cette question dans ses pratiques professionnelles :

  • La supervision : individuelle ou en équipe, elle permet de partager et d’élaborer les tensions ressenties dans le cadre de l’intervention thérapeutique.
  • La recherche sur les pratiques cliniques : l’étude des textes de Winnicott, Freud, Lacan et Yalom permet de mieux comprendre ces phénomènes et de les replacer dans une perspective théorique solide.
  • L’analyse personnelle : pour les praticiens engagés dans un processus de thérapie analytique, il est essentiel d’explorer ce qui résonne en eux et d’identifier les éventuelles difficultés personnelles qui influencent leur posture clinique.

Comment transformer la haine en un levier de changement pour le patient ?

Une intervention thérapeutique efficace consiste à contenir cette haine sans la renvoyer au patient, afin qu’elle puisse être pensée et travaillée dans l’espace analytique.

L’analyste doit ajuster son positionnement pour que la relation ne devienne ni un affrontement, ni une fuite. L’objectif est de permettre au patient de réinterroger ses propres modes relationnels, en lui offrant un cadre suffisamment sécurisant pour explorer ses tensions internes.

Pourquoi cet enjeu concerne-t-il tous les professionnels de l’accompagnement, au-delà de la psychanalyse ?

La question des émotions dans le travail d’aide et d’accompagnement dépasse largement le cadre psychanalytique.

Tous les praticiens en thérapie, en santé mentale, dans le secteur social ou éducatif peuvent être confrontés à des situations où ils ressentent un rejet, une exaspération ou une frustration face aux personnes accompagnées.

Dans ces métiers, la reconnaissance des émotions du professionnel est un enjeu majeur pour :

  • Prévenir l’épuisement émotionnel et la fatigue compassionnelle.
  • Mieux ajuster ses pratiques d’intervention face aux tensions relationnelles.
  • Favoriser un travail d’équipe où ces affects peuvent être abordés sans tabou.

Comment continuer à approfondir cette réflexion dans sa pratique professionnelle ?

L’approche de la haine dans le contre-transfert peut être intégrée dans une dynamique de formation continue, en participant à des groupes de supervision, des séminaires de recherche ou des rencontres interprofessionnelles sur les pratiques cliniques.

Il est également bénéfique de :

  • Lire des articles et ouvrages spécialisés sur les dynamiques transférentielles en thérapie et en intervention sociale.
  • Échanger avec d’autres professionnels pour croiser les regards et les expériences.
  • Explorer comment ces questions sont abordées dans d’autres approches thérapeutiques (systémie, TCC, thérapie humaniste…).

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Par Frédérique Korzine,
psychanalyste à Versailles
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