Triangle dramatique de Karpman, laissez votre cape de Sauveur au verstiaire
7/11/2024

Triangle de Karpman, Sauveur, laissez votre cape au vestiaire !

L'enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on. Dans le domaine des relations humaines, cet adage prend tout son sens avec le fameux « triangle dramatique » de Karpman (1968), une dynamique relationnelle où les rôles de Sauveur, de Victime et de Persécuteur se succèdent, chacun croyant bien sûr faire « au mieux ».

Pourquoi se retrouve-t-on si souvent dans le rôle du Sauveur ? Ce besoin irrépressible de secourir autrui peut sembler noble, mais il cache des ressorts psychologiques pour le moins intéressants. Alors, pourquoi endossons-nous si facilement la cape du Sauveur, et qu’est-ce qui cloche vraiment dans cette posture ?

Pourquoi ressent-on le besoin de sauver autrui ?

Le Sauveur, c'est celui ou celle qui ne peut s’empêcher de voler au secours de ses proches – même quand ils n’ont rien demandé.

En analyse transactionnelle, le Sauveur semble animé par un élan altruiste, une volonté quasi héroïque de soutenir les âmes en détresse. En réalité, les motivations sont parfois plus ambiguës. Derrière cette façade de « générosité », se cache souvent un besoin insatiable de reconnaissance. Le Sauveur trouve sa valeur personnelle dans son rôle de bienfaiteur : s’il ne « sauve » pas quelqu’un, que lui reste-t-il ? Selon Despland et Widmer (2017), cette tendance révèle une certaine dépendance émotionnelle : le Sauveur a besoin de se sentir utile pour exister.

Ce besoin de sauver peut être le fruit d’expériences passées ou de valeurs inculquées dès l’enfance.

Les enfants qui apprennent à toujours « penser aux autres avant de penser à eux-mêmes » peuvent finir par associer leur estime de soi à leur capacité à prendre soin d’autrui. Une sorte de réflexe conditionné qui, malgré son allure bienveillante, reste difficilement compatible avec une véritable relation équilibrée. Et puis, soyons honnêtes : le rôle de Sauveur permet aussi de se donner un petit air de supériorité, n’est-ce pas ? Une gratification narcissique dont parle également Kramer (2018).

En quoi le rôle de Sauveur est-il problématique ?

À première vue, que peut-il bien y avoir de mal à vouloir aider les autres ? Eh bien, la réalité est un peu plus compliquée.

Le rôle de Sauveur, dans le triangle dramatique, finit toujours par poser problème.

Non seulement il pousse la « victime » à devenir passive, mais il enferme aussi le Sauveur dans un schéma où il doit constamment faire ses preuves en tant que « bienfaiteur ».

Et si ses efforts ne sont pas appréciés à leur juste valeur, gare aux dégâts !

Cette dynamique empêche tout simplement les deux parties d’évoluer. Selon les travaux de Berne (1972), ce rôle emprisonne les individus dans des relations figées, où chacun reste bloqué dans sa position – et ça peut durer longtemps.

Le triangle dramatique repose, d’ailleurs, sur une base instable, la pointe, créant un terrain de bascule incessant où chaque rôle fluctue. Inévitablement, le Sauveur se fait toujours « baiser » dans cette dynamique. Non seulement il sacrifie son temps et son énergie, mais il finit souvent par susciter du ressentiment – de la part de celui ou celle qu’il sauve, et de lui-même. Quand ses efforts ne sont pas reconnus, le Sauveur bascule, frustré et incompris, dans un rôle de Victime, ou pire, de Persécuteur, cherchant un coupable pour son dévouement non réciproqué. « Le Sauveur finit toujours par s’épuiser », constate Dejours (2019), « car il porte un fardeau qui ne lui appartient pas ».

Comment reconnaître le rôle de Sauveur en soi ?

Bien sûr, personne ne se définit facilement comme un Sauveur, car ce rôle a des connotations assez flatteuses.

Mais certains indices peuvent trahir cette tendance : si vous avez du mal à dire « non » (ouhlala je sens que vous vous reconnaissez déjà) de peur de décevoir, si vous êtes régulièrement déçu que vos efforts passent inaperçus, alors il y a de fortes chances que vous portiez cette fameuse cape sans même vous en rendre compte. Les personnes qui endossent ce rôle présentent souvent des traits de dépendance affective et d’hyper-responsabilité, traits qui les poussent à s’immerger dans les problèmes des autres comme s’ils leur appartenaient.

Et puis, soyons honnêtes : il y a aussi un côté un peu addictif dans le rôle de Sauveur.

Se sentir nécessaire, irremplaçable même, voilà de quoi nourrir l’ego. Widmer et Despland (2017) montrent d’ailleurs que cette posture est souvent liée à des comportements de contrôle déguisé, le Sauveur étant secrètement satisfait de voir que l’autre dépend de son soutien. Mais attention : la victime, lasse de cet état de fait, peut se retirer, laissant le Sauveur face à son propre vide.

Quel est l'impact de ce rôle sur les relations interpersonnelles ?

Comme on peut l’imaginer, le rôle de Sauveur n’est pas sans effets collatéraux sur les relations interpersonnelles.

Ce genre de dynamique crée un déséquilibre où le Sauveur occupe une place de « bienfaiteur » et où la personne « aidée » est reléguée au statut de Victime.

Résultat ? Des relations asymétriques, souvent fondées sur des demandes symbiotiques (attentes implicites), où la réciprocité peine à exister. La posture du Sauveur crée une asymétrie qui limite la possibilité d’une relation authentique, basée sur un véritable échange.

Sur le long terme, le Sauveur risque fort de perdre de vue ses propres besoins, tant il est occupé à répondre à ceux des autres. En cherchant constamment à être le « héros » de la situation, il sacrifie sa propre satisfaction et finit par ressentir, dans bien des cas, une certaine amertume. Quand ses attentes de reconnaissance sont déçues, cela peut même aller jusqu’à créer des conflits ouverts, des non-dits, voire une rupture complète de la relation. Parce qu’en fin de compte, celui qui voulait tout sauver se retrouve souvent seul, face à sa propre incapacité à résoudre son propre besoin de validation.

En quoi le triangle dramatique de Karpman aide-t-il à comprendre la posture de Sauveur ?

Le triangle dramatique de Karpman est une illustration de l’ironie des rôles relationnels figés.

Selon Karpman (1968), le Sauveur, la Victime et le Persécuteur forment une trinité de rôles, chacun « complémentaire » dans cette danse relationnelle toxique.

Mais ce triangle repose toujours sur la pointe, tel un équilibre instable prêt à basculer.

Le Sauveur, dans ce jeu de rôles, est souvent vu comme celui qui « aide » par excellence, mais il est en réalité dépendant des autres pour maintenir sa position. En cherchant à sauver, il devient captif de son propre besoin d’aider, se condamnant à une vie de frustrations et de déceptions.

Ce n’est pas tout : dans la dynamique de Karpman, le Sauveur est rarement aussi désintéressé qu’il le prétend.

Il agit souvent par désir de contrôle ou par besoin d’autosatisfaction, et lorsque ce besoin n’est pas comblé, il bascule vers un autre rôle du triangle, souvent celui de la Victime. Ce terrain de bascule peut devenir un véritable enfer pour celui qui espère simplement maintenir une illusion de « bien ». Comme le souligne Kramer (2018), « la posture de Sauveur finit par emprisonner celui qui s’y attache », car elle le contraint à une forme de dépendance affective déguisée.

Quelles conséquences psychologiques le rôle de Sauveur peut-il entraîner ?

Prendre le rôle du Sauveur n’est pas seulement exigeant, c’est aussi épuisant.

Le Sauveur, qui prend sur lui les fardeaux d’autrui, finit souvent par se vider émotionnellement, accumulant des frustrations non exprimées, des désillusions et, dans certains cas, des troubles anxieux ou des symptômes dépressifs. Et tout cela, bien sûr, en silence, car admettre que ce rôle lui pèse reviendrait à briser la façade du « bon samaritain ».

À force de se concentrer sur les autres, le Sauveur néglige ses propres besoins, se condamnant à une sorte de pauvreté émotionnelle auto-infligée. Pour lui, la reconnaissance d’autrui est essentielle, mais elle est rarement à la hauteur de ses attentes. Et lorsque les relations s’effritent ou que la Victime décide enfin de voler de ses propres ailes, le Sauveur se retrouve face à un vide existentiel. Cette insatisfaction, résultat direct de sa dépendance aux autres, peut finir par se transformer en un sentiment d’amertume ou même de ressentiment.

Pourquoi laisser sa cape de Sauveur au vestiaire ?

En somme, le rôle de Sauveur est un jeu de dupes, une danse où chacun semble satisfait de sa place jusqu’à ce que le déséquilibre devienne intenable.

En endossant cette cape, le Sauveur se condamne à un cycle de frustrations, tout en entretenant des relations superficielles et souvent unilatérales. Laisser sa cape de Sauveur au vestiaire, c’est reconnaître qu’au-delà de ce rôle, il y a un individu qui peut exister sans ce besoin de sauver, qui peut enfin se permettre d’être. Mais comme disait Berne (1972), « Nous devons comprendre les jeux que nous jouons pour être vraiment libres de faire d'autres choix. »

Alors, êtes-vous prêt à abandonner cette cape ?

Par Frédérique Korzine,
psychanalyste à Versailles
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Psychanalyse, hypnose, coaching, supervision et thérapies brèves.

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