Imaginez que, sans crier gare, un souvenir, une émotion, une pensée que vous croyiez enfouie à tout jamais, refait surface. Vous vous étiez promis de l'oublier, de le refouler loin dans les profondeurs de votre esprit. Et pourtant, il est là, impérieux, vous forçant à faire face à ce que vous n'aviez pas voulu affronter. Ce phénomène, cher lecteur, est ce que Freud a désigné sous le nom de « retour du refoulé ».
En les refoulant, vous pensiez avoir trouvé un mécanisme de défense efficace. Mais ces contenus ne disparaissent jamais vraiment. Ils s'accrochent dans les plis de votre psyché et reviennent, souvent sous des formes déguisées, comme des symptômes ou des rêves. « Ce qui est refoulé n’est jamais détruit, il ne peut que se cacher », disait Lacan. Une phrase qui, encore aujourd'hui, résonne avec force pour tous ceux qui ont vécu cette brusque irruption du passé.
Peut-être l'avez-vous déjà ressenti sans le savoir. Un malaise diffus, une angoisse inexpliquée, une phrase qui, tout à coup, déclenche en vous une émotion disproportionnée. Le retour du refoulé ne se présente pas toujours sous la forme claire et limpide d’un souvenir précis. Au contraire, il se masque, se faufile dans des symptômes anodins : des lapsus, des actes manqués, des troubles psychosomatiques, et parfois même des rêves récurrents qui vous laissent perplexe au réveil.
Freud lui-même observait que le retour du refoulé peut se manifester sous des formes indirectes et souvent incompréhensibles au premier abord. Par exemple, une vieille blessure émotionnelle que vous pensiez avoir oubliée peut réapparaître sous la forme d’une phobie. Ou encore, une dispute anodine avec un proche peut soudain libérer une rage démesurée, disproportionnée par rapport à la situation. Le refoulé, comme un fauve en cage, trouve toujours une manière de se manifester, mais rarement là où on l'attend.
Pourquoi cette insistance du passé à se rappeler à nous ? La réponse est à chercher dans l'un des principes fondamentaux de la psychanalyse : ce qui est refoulé cherche à revenir.
Le retour du refoulé n’est pas un caprice de l’inconscient, mais plutôt une nécessité psychique. Selon Freud, l’inconscient fonctionne selon une logique propre, où rien ne se perd. Les souvenirs, émotions et désirs refoulés persistent, car ils n’ont pas été intégrés, assimilés.
En réalité, le retour du refoulé pourrait être vu comme une tentative de guérison de l’inconscient. C’est une manière de forcer le sujet à affronter ce qui a été évité, afin que ces contenus psychiques puissent, enfin, être élaborés, traités. Le retour du refoulé, bien qu’angoissant, est peut-être la preuve que l’esprit ne peut se satisfaire d’évitements ou de silences.
Les symptômes qui surgissent – qu’ils soient psychiques ou somatiques – sont souvent le signe d’une lutte interne entre ce qui est refoulé et le moi conscient qui tente de maintenir l’ordre.
Prenons l’exemple du trouble obsessionnel-compulsif (TOC). Pour les psychanalystes, les obsessions et compulsions qui caractérisent ce trouble sont des manifestations indirectes du retour du refoulé. L’individu, confronté à des pensées ou des émotions inacceptables, développe des rituels destinés à contenir l’angoisse générée par ces contenus refoulés. Mais ces rituels, loin de soulager définitivement, ne font que renforcer la pression intérieure.
De même, l’hystérie, ce trouble si souvent associé aux débuts de la psychanalyse, était pour Freud un exemple parfait du retour du refoulé. Les symptômes physiques – paralysies, douleurs, évanouissements – étaient pour lui la preuve que des contenus psychiques interdits cherchaient à s’exprimer autrement, par le corps.
Est-il possible d’échapper à cette mécanique psychique infernale ? Là encore, la psychanalyse ne vous apportera pas de solutions faciles. Le retour du refoulé fait partie intégrante de la structure même de l’inconscient. Il est inhérent au fonctionnement de la psyché humaine. En tentant de fuir ce qui est jugé inacceptable, vous ne faites que retarder l’inévitable. Freud lui-même affirmait que « le moi n’est pas maître dans sa propre maison », une manière de rappeler que l’inconscient exerce une influence déterminante sur nos pensées et comportements, que nous en ayons conscience ou non.
Il serait illusoire de croire que vous pourriez contrôler totalement votre inconscient ou éviter à jamais le retour du refoulé. Ce dernier, d’une manière ou d’une autre, se manifestera. Ce n’est pas une fatalité en soi, mais une dynamique incontournable de la psyché humaine.
Mais pourquoi, vous interrogez-vous peut-être, certains contenus sont-ils refoulés, et d’autres non ? Ce qui est refoulé, selon la théorie freudienne, dépend de la structure psychique propre à chaque individu, mais aussi de la morale et des interdits sociaux. Les contenus refoulés sont ceux qui sont jugés inacceptables par le moi conscient : des désirs inavouables, des traumatismes insupportables, des pulsions incompatibles avec les normes sociales.
Par exemple, les interdits religieux ou familiaux peuvent accentuer le refoulement de certaines pulsions, comme le désir sexuel ou la colère. Mais ces contenus ne disparaissent pas ; ils sont seulement déplacés dans l’inconscient, où ils attendent, patiemment, le moment de revenir à la surface.
Bien que la psychanalyse n’offre pas de solution miracle, elle suggère que la prise de conscience de ces contenus refoulés est la clé. Ce processus de confrontation, bien que douloureux, permet de donner un sens à ce qui revient.
Freud préconisait la cure psychanalytique comme un moyen d’amener le sujet à verbaliser, à mettre des mots sur ce qui, jusque-là, était tu. En permettant au patient d’exprimer librement ses pensées dans un cadre sécurisé, le psychanalyste aide à faire émerger le refoulé sous une forme plus compréhensible. C’est un processus long et complexe, mais il permet de réduire la puissance du retour du refoulé.
Les rêves sont souvent considérés comme une voie royale vers l’inconscient. Freud a longuement insisté sur le fait que les rêves sont des manifestations déguisées de désirs refoulés. Lorsque le refoulé cherche à se manifester, il trouve parfois une échappatoire dans le rêve, où les lois de la réalité sont suspendues.
Peut-être avez-vous déjà fait l’expérience d’un rêve troublant, dont le sens vous échappait, mais qui laissait derrière lui une étrange impression. Le rêve peut être une première tentative de votre inconscient pour vous confronter à des contenus refoulés. Cependant, dans le rêve, ces contenus ne se présentent pas de manière brute. Ils sont déguisés, transformés, souvent symboliques.
L’angoisse est, pour Freud, une réaction de défense du moi face à l’irruption de contenus inconscients menaçants. Lorsque ces contenus refoulés remontent à la surface, ils provoquent une déstabilisation du moi conscient, qui se voit submergé par des éléments qu’il n’a pas intégrés.
L’angoisse est donc, en quelque sorte, un signal d’alarme. Elle vous avertit que quelque chose d’insupportable, pour votre psyché, est en train de refaire surface. Mais paradoxalement, cette angoisse est aussi la preuve que l’inconscient cherche à se libérer, à faire face à ce qui a été évité.
Ce qui refait surface, sous la forme de symptômes ou de rêves troublants, n'est pas là pour vous nuire, mais pour vous pousser à reconnaître ce qui a été caché. Ne voyez pas cette confrontation comme une fatalité, mais plutôt comme une opportunité de mieux comprendre les mécanismes de votre esprit.
Freud, S. (1900). L'Interprétation des rêves. Paris : PUF.
Lacan, J. (1953). Les écrits techniques de Freud. Paris : Seuil.
Laplanche, J., & Pontalis, J.-B. (1967). Vocabulaire de la psychanalyse. Paris : PUF.