La violence conjugale à l’encontre des hommes demeure un impensé collectif. Son existence dérange, car elle heurte de plein fouet un ordre symbolique profondément ancré dans la différence des sexes et des rôles qui leur sont attribués.L’homme, supposé porteur de la puissance et de la maîtrise, ne saurait être celui qui subit. Cette représentation traverse à la fois le langage, les structures sociales et les psychismes individuels. Elle est ancrée dans une construction qui associe la masculinité à la force, au contrôle, à la domination, tandis que la féminité serait du côté de la vulnérabilité, de la soumission, de l’attente. Dès lors, comment penser un homme victime d’une femme ?
Il n’existe pas d’espace symbolique où inscrire cette réalité, pas de récit collectif où elle pourrait s’insérer sans heurter les schémas établis.
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Lorsqu’il tente d’en parler, sa parole se heurte à l’incrédulité, à la moquerie ou au doute. Soit on le perçoit comme un menteur, soit comme un homme faible, incapable de s’imposer. Sa douleur n’a pas de traduction sociale : elle est disqualifiée avant même d’être exprimée.
Les politiques publiques, les campagnes de prévention, les structures d’accueil sont pensées essentiellement pour les femmes victimes.
Mais cette asymétrie crée un effet pervers : lorsque les hommes tentent de faire entendre leur souffrance, ils sont perçus comme une menace pour un combat féministe légitime. Comme si parler d’eux revenait à nier l’existence des violences faites aux femmes.
Un phénomène n’existe socialement que lorsqu’il est nommé, décrit, pensé. Tant que la figure de l’homme battu restera un angle mort du discours social, il continuera d’être assigné au silence.
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La femme, quant à elle, est souvent perçue comme celle qui incarne l’Autre, celle qui échappe, celle qui porte le mystère du désir et, parfois, de la castration.
Ces représentations ne sont pas de simples constructions intellectuelles ; elles façonnent nos manières d’être et de sentir, elles s’ancrent en nous dès l’enfance, à travers les récits, les attentes sociales, les injonctions implicites.
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La femme devient celle qui frappe, qui humilie, qui exerce un contrôle absolu. Elle occupe alors une place qui, symboliquement, ne lui revient pas.
L’homme, en position de victime, se trouve privé de ce qui définit son identité masculine dans l’inconscient collectif : il n’est plus celui qui domine, il devient celui qui subit. Et c’est précisément cette inversion qui le condamne au silence.
Si vous êtes dans cette situation, vous avez peut-être déjà ressenti cette impossibilité de dire, cette gêne à exprimer la violence que vous subissez.
À qui parler, quand votre souffrance n’a pas de place dans le langage ? Vous avez sans doute perçu les regards sceptiques, les réponses hésitantes, les silences gênés. Un homme battu, dans l’imaginaire collectif, n’existe pas.
Sa souffrance est niée, non pas parce qu’elle serait impossible en soi, mais parce qu’elle vient fracturer un imaginaire collectif où l’homme ne peut être que le bourreau, jamais la victime.
Vous le sentez peut-être, ce poids du doute qui pèse sur vos épaules. Cette question qui hante et qui ronge : "Pourquoi moi ?" Pourquoi est-ce que vous ne partez pas ? Pourquoi est-ce que vous avez laissé cela arriver ? Pourquoi est-ce que vous vous sentez coupable alors que vous êtes victime ?
C’est tout l’enjeu de l’emprise : elle ne s’installe pas brutalement, elle s’immisce, elle progresse lentement, jusqu’à ce que le regard sur soi-même se brouille. Et lorsque l’on perd ses repères intérieurs, il devient presque impossible de demander de l’aide.
Ce regard qui ne comprend pas, qui juge, qui refuse de reconnaître l’inversion des rôles.
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Ils évitent les questions, les confrontations, parfois même les relations sociales. Ils se replient, incapables d’expliquer ce qu’ils vivent, parce qu’ils savent qu’ils ne seront pas entendus.
Et c’est ainsi que la souffrance se transforme en exil intérieur. Un état où l’on n’a plus de mots pour se dire, où l’on vit sans témoin, enfermé dans une douleur invisible. Et c’est peut-être cela, la violence la plus insidieuse : non seulement être frappé, humilié, méprisé, mais ne pas pouvoir exister comme victime.
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Si vous êtes dans cette situation, il est possible que vous ayez tout tenté pour éviter cette reconnaissance. Peut-être avez-vous justifié certains actes, minimisé leur portée, trouvé des excuses.
Depuis toujours, il a appris que maîtriser, contrôler, ne pas faillir étaient les conditions de son existence sociale et psychique en tant qu’homme. Il a grandi dans un cadre où la force – qu’elle soit physique ou mentale – est un attribut fondamental de son identité.
Se reconnaître comme victime, c’est faire l’expérience d’une impuissance insoutenable, une brèche dans son Moi idéal qui ébranle tout l’édifice de son identité.
Si vous êtes dans cette situation, il est possible que vous ayez tout tenté pour éviter cette reconnaissance. Peut-être avez-vous justifié certains actes, minimisé leur portée, trouvé des excuses. Peut-être avez-vous entendu cette voix intérieure qui vous disait "ce n’est pas si grave", "je peux gérer", "ça va s’arranger".
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Il évite la confrontation directe avec la réalité, il permet de maintenir une illusion de contrôle. Car admettre que l’on subit la violence d’un partenaire, c’est s’exposer à un vertige intérieur : si vous n’êtes pas celui qui maîtrise, alors qui êtes-vous ?
Les hommes victimes n’ont pas de modèle identificatoire clair. Les figures de la masculinité souffrante, lorsqu’elles existent, sont souvent celles de l’homme en rupture, du marginal, du "perdant". Se reconnaître comme victime, c’est risquer d’être assimilé à cette image, une assignation psychiquement difficile à supporter.
Le déni, pourtant, a un coût. Il maintient l’homme battu dans une spirale de souffrance, l’empêchant d’agir, d’exprimer ce qu’il vit, de chercher de l’aide. Il reporte l’inévitable prise de conscience, mais il ne l’empêche pas. Et lorsque cette conscience émerge, c’est souvent dans un contexte de détresse intense, parfois même de destruction intérieure.
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Elle ne se limite pas à un sentiment personnel : elle est sociale, culturelle, ancrée dans un ordre symbolique qui ne fait pas de place aux hommes victimes.
Lorsqu’il parle, il se heurte à l’incompréhension, au doute, voire au mépris. Il ressent le regard de l’autre comme un jugement, et ce jugement agit comme une confirmation de sa propre perte de valeur.
Peut-être avez-vous essayé de parler et rencontré cette réticence, cette gêne, ce rire nerveux chez votre interlocuteur.
Peut-être avez-vous eu le sentiment d’être incompris, d’être perçu comme un cas isolé, comme quelqu’un qui aurait dû "se défendre" ou "partir". Peut-être avez-vous même senti que votre douleur était mise en concurrence avec celle des femmes victimes, comme si votre souffrance ne pouvait être entendue sans que cela remette en question celle des autres.
C’est là l’un des paradoxes les plus cruels pour un homme battu : non seulement il vit une situation de violence, mais il porte en plus le poids d’une honte qui l’empêche d’en sortir. Il se retrouve seul avec sa souffrance, isolé à la fois par le regard des autres et par sa propre incapacité à se reconnaître dans cette position de victime.
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Certains développent des symptômes anxieux ou dépressifs, d’autres sombrent dans l’alcoolisme ou d’autres formes de dépendance, tentant d’anesthésier un mal qui n’a pas de mots.
Car une souffrance qui ne peut être dite s’enkyste, elle se retourne contre celui qui la porte. Certains développent des symptômes anxieux ou dépressifs, d’autres sombrent dans l’alcoolisme ou d’autres formes de dépendance, tentant d’anesthésier un mal qui n’a pas de mots.
D’autres encore s’effacent progressivement : ils abandonnent leurs passions, s’éloignent de leurs proches, se laissent déposséder de leur propre existence. Dans certains cas, cet isolement peut conduire à des actes plus graves, à des pensées suicidaires, à une forme de disparition silencieuse.
Cela ne signifie pas être moins homme, être moins fort, être moins digne. Cela signifie simplement faire face à la réalité, avec la possibilité, enfin, d’agir.
Sortir du déni et de la honte n’est pas un aveu de faiblesse, c’est un acte de lucidité et de courage. Ce n’est pas se soumettre, c’est reprendre du pouvoir sur sa propre histoire.
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👉 Pourquoi est-il difficile de poser des limites dans certaines relations ?
Vous ne reconnaissez plus votre propre voix dans vos décisions, vous surveillez vos mots, vous vous excusez même quand vous n’avez rien fait, vous cherchez à éviter le conflit à tout prix, alors qu’au fond, vous sentez que le conflit est déjà là, permanent, diffus, dans chaque regard et chaque silence.
Vous pourriez penser que cela ne peut pas vous arriver.
Après tout, vous êtes un homme, vous avez toujours su gérer vos relations, affirmer vos choix, poser vos limites.
Pourtant, vous sentez bien que quelque chose ne tourne pas rond. Vous ne reconnaissez plus votre propre voix dans vos décisions, vous surveillez vos mots, vous vous excusez même quand vous n’avez rien fait, vous cherchez à éviter le conflit à tout prix, alors qu’au fond, vous sentez que le conflit est déjà là, permanent, diffus, dans chaque regard et chaque silence.
Ce qui rend cette emprise si pernicieuse, c’est qu’elle ne s’impose pas d’un seul coup. Elle se met en place progressivement, presque imperceptiblement.
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L’emprise n’est pas une simple domination. Elle ne repose pas uniquement sur la peur ou sur un rapport de force physique.
Elle s’immisce dans le psychisme, dans les failles narcissiques et dans les besoins de reconnaissance. Elle transforme une relation intime en un espace de contrôle total, où la victime finit par douter de ses propres perceptions.
Plusieurs stratégies destructrices sont souvent à l’œuvre :
Vous en arrivez à un point où vous n’osez plus penser par vous-même, où vous attendez son approbation avant de faire quoi que ce soit. Vous ne voyez plus la sortie, parce qu’elle a redéfini les murs de votre propre perception.
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Son champ de vision psychique s’est réduit, son monde est devenu un espace clos dans lequel chaque geste, chaque pensée passe sous le contrôle implicite de l’autre.
L’une des armes les plus efficaces de l’emprise est l’isolement. Il ne s’agit pas toujours d’un isolement forcé, où l’agresseur interdit directement les contacts avec l’extérieur. Il est bien plus subtil que cela.
Votre entourage commence à s’éloigner, non pas parce qu’ils ne vous aiment plus, mais parce que vous-même avez cessé de chercher leur présence. Vous avez peur d’expliquer ce que vous vivez, peur qu’ils ne comprennent pas, peur qu’ils jugent. Ou alors, c’est votre partenaire qui s’arrange pour semer le doute : "Tes amis ne t’aiment pas vraiment", "Ta famille ne te comprend pas", "Ils te critiquent derrière ton dos".
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À force de subir des messages contradictoires, vous ne savez plus ce qui est vrai et ce qui est faux.
Un jour, elle vous dit qu’elle vous aime plus que tout, qu’elle ne peut pas vivre sans vous. Le lendemain, elle vous insulte, vous rabaisse, vous frappe. Puis, elle revient avec des excuses : "C’est parce que je t’aime trop", "J’ai tellement peur de te perdre".
Alors, vous vous accrochez à l’illusion. Vous vous dites que c’est une phase, que si vous faites des efforts, si vous l’aimez mieux, plus fort, alors tout redeviendra comme avant. Vous vous accrochez à ses mots doux, à ces moments où elle redevient celle que vous avez aimée au début.
C’est là l’un des pièges les plus redoutables de l’emprise : elle vous fait croire que la violence est un accident, une déviation temporaire, et que vous pouvez la réparer. Mais elle ne se répare pas.
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Il y a aussi la peur : des représailles, de ne pas être cru, de perdre ses enfants. Il y a la culpabilité : "Et si elle avait raison ?", "Et si j’étais le problème ?".
Et puis, il y a le temps. L’emprise ne se brise pas d’un seul coup. Elle se fissure progressivement, par des prises de conscience successives. Elle se défait quand le voile du déni commence à tomber, quand la victime commence à comprendre qu’elle n’est pas responsable, qu’elle ne mérite pas ce qu’elle subit.
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Si le droit reconnaît que toute personne peut être victime de violences conjugales, quel que soit son sexe, la mise en application de cette reconnaissance rencontre plusieurs obstacles. Les réflexes institutionnels, les procédures et les représentations sociales influencent l’accueil des hommes victimes. Lorsqu’un homme porte plainte ou cherche de l’aide, plusieurs stéréotypes peuvent entraver la prise en compte de sa situation :
Ces présupposés ne sont pas toujours explicitement formulés mais peuvent influencer la manière dont les plaintes sont enregistrées, les enquêtes menées et les décisions judiciaires rendues.
Les dispositifs d’accompagnement, de signalement et de mise à l’abri sont historiquement conçus pour répondre aux besoins des femmes victimes, qui restent statistiquement les plus nombreuses.
Cela crée un effet d’exclusion indirecte :
Ces asymétries ne relèvent pas d’une volonté de discrimination, mais du poids des réalités historiques et sociales dans la construction des politiques publiques. Toutefois, elles peuvent accentuer le sentiment d’isolement des hommes victimes, qui, faute d’espaces d’écoute et de reconnaissance, peinent à formuler leur propre souffrance.
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Certains hommes sont contraints de quitter le domicile conjugal, laissant l’agresseur en place, avec les enfants. D’autres se retrouvent en garde à vue alors qu’ils ont eux-mêmes signalé des violences.
Ils peuvent hésiter à signaler les faits, de peur que leur parole ne soit pas entendue ou qu’elle se retourne contre eux.
Le droit de la famille, structuré autour de l’intérêt de l’enfant, prend en compte les conditions de vie du parent protecteur, mais la reconnaissance d’un père victime de violences conjugales reste une situation peu courante dans les contentieux familiaux. Cela peut rendre plus complexe la démonstration de l’exposition des enfants à un climat violent lorsque l’agresseur est la mère.
Dans certains cas, le parent victime peut se retrouver en difficulté pour obtenir la garde ou même un droit de visite sécurisé, notamment si l’autre parent conteste les faits ou inverse la situation. La difficulté réside dans la capacité à établir objectivement les faits de violence et leur impact sur les enfants, particulièrement lorsqu’il s’agit de violences psychologiques.
Si le regard social ne valide pas leur expérience en tant que victime, le risque est que l’homme lui-même peine à se reconnaître comme tel. Cela peut prolonger son maintien dans une relation destructrice et retarder une éventuelle demande d’aide.
Sur le plan psychologique, le sentiment d’impuissance et d’injustice face aux réponses institutionnelles peut aggraver les effets de la violence subie. L’absence de prise en charge adaptée, l’invalidation de leur témoignage ou les difficultés à être entendus peuvent provoquer un repli sur soi, une perte de confiance en la justice et, dans certains cas, une détresse psychique importante.
Certains témoignages évoquent des refus implicites d’enregistrement de plainte, des rappels à l’ordre stéréotypés :
Et lorsqu’une plainte est prise en compte, elle est souvent difficile à instruire. Les hommes victimes hésitent à se rendre chez un médecin pour faire constater leurs blessures, d’autant plus que certaines marques – celles de la violence psychologique – ne laissent aucune trace visible. Sans preuves tangibles, sans témoignages, leur dossier peine à avancer.
Le droit de la famille est marqué par un déséquilibre structurel : la mère est encore largement favorisée dans l’attribution de la garde des enfants. Bien sûr, cela repose sur des réalités historiques et sur le fait que dans de nombreux foyers, les mères assurent encore une part plus importante des soins aux enfants. Mais cela signifie aussi que lorsqu’un homme victime de violences conjugales cherche à protéger ses enfants d’une mère violente, il se heurte à un mur.
Dans certains cas, la femme retourne la situation à son avantage en déposant une plainte pour violences, transformant la victime en bourreau. La justice, confrontée à deux versions opposées, tend à protéger la mère par précaution, notamment parce que les violences conjugales commises par des hommes restent statistiquement plus nombreuses et plus graves. Mais cette asymétrie devient un piège pour ceux qui, réellement, cherchent à protéger leurs enfants d’une femme violente.
D’autres se retrouvent en garde à vue alors qu’ils ont eux-mêmes signalé des violences. D’autres encore n’osent pas engager de procédure, par peur de perdre tout lien avec leurs enfants.
Car exister en tant que victime ne se fait pas seul : cela nécessite un regard extérieur qui valide cette souffrance, qui l’inscrit dans un cadre où elle a du sens. Or, si ni la justice, ni les services sociaux, ni l’entourage ne reconnaissent cette souffrance, elle reste suspendue dans un vide insupportable.
À défaut d’un cadre qui leur permette d’exister en tant que tels, beaucoup finissent par s’effacer. Ils se résignent à subir, par peur de perdre leurs enfants, par peur de ne pas être crus, par peur du ridicule. Certains sombrent dans une dépression sévère, d’autres dans des conduites d’évitement (addictions, isolement social, effondrement professionnel).
Freud, dans ses travaux sur la sexualité et la dynamique des pulsions, associait le masochisme primaire à une disposition féminine inconsciente, une attente de la pénétration, une passivité supposée inhérente à la position féminine dans l’économie psychique. Ce schéma a largement structuré les représentations psychanalytiques du rapport à la domination, laissant peu de place à la possibilité d’un homme en position de soumission, non pas choisie, mais imposée par une dynamique conjugale de violence et d’emprise.
Cela reviendrait à dire que, psychiquement, il aurait adopté une posture passive, ce qui le rendrait inacceptable aux yeux de sa propre construction identitaire.
Cette hypothèse pose plusieurs limites. D’une part, elle tend à essentialiser le féminin comme passif et le masculin comme actif, ce qui ne rend pas compte de la complexité des dynamiques relationnelles et de la diversité des expériences subjectives. D’autre part, elle ne permet pas d’analyser les violences conjugales sous l’angle de l’emprise psychique, qui ne repose pas uniquement sur une opposition masculin-féminin, mais sur des logiques de pouvoir et de domination qui traversent toute relation humaine.
Dans cette perspective, la souffrance de l’homme battu ne se situe pas dans une "féminisation" de sa position, mais dans l’impossibilité de la penser dans le cadre traditionnel de la virilité. Ce n’est pas tant qu’il serait devenu "passif", mais plutôt que sa souffrance n’a pas de place dans les catégories symboliques qui organisent son rapport au monde.
Ces réflexions ont permis d’ouvrir un espace d’écoute pour la parole des femmes victimes, mais ont, dans le même temps, laissé peu de place à la question des hommes victimes.
Lacan, en réinterprétant Freud, a proposé une vision plus souple du féminin et du masculin, non plus comme des essences fixes, mais comme des positions dans le langage et le désir. Pourtant, même dans cette lecture, la position masculine reste largement associée à l’affirmation du désir et du pouvoir, tandis que la position féminine demeure liée au manque, au désir de l’Autre, à une certaine exposition à la souffrance.
Il ne peut être assimilé ni à la puissance virile, ni à la figure du féminin souffrant. Il est, en quelque sorte, hors structure, ce qui rend sa position encore plus difficile à entendre et à reconnaître.
Or, l’emprise conjugale ne se limite pas à une question de sexe. Elle repose sur des mécanismes bien identifiés, tels que :
Ces dynamiques ne sont pas spécifiques aux femmes victimes, elles concernent toute relation d’emprise. La difficulté pour les hommes victimes réside dans le fait que ces mécanismes sont rarement envisagés dans le cadre d’un rapport où l’homme est en position de dominé.
Il devient alors nécessaire d’ouvrir une réflexion plus large sur la violence conjugale et sur la manière dont elle affecte tous les sujets, indépendamment de leur sexe.
La psychanalyse, en tant que discipline du langage et du désir, a les outils pour analyser ces formes de violences d’une manière plus nuancée, sans tomber dans une opposition binaire entre masculin et féminin.
Peut-être conviendrait-il de déplacer la question de la masculinité : plutôt que de la voir uniquement sous l’angle de la puissance et de la maîtrise, il serait intéressant de la penser dans ses zones de vulnérabilité et dans les impasses qu’elle produit lorsqu’elle ne peut être reconnue dans son entier.
D’une part, il existe une représentation sociale profondément ancrée qui associe la violence conjugale aux femmes victimes et aux hommes agresseurs. Cette vision, bien que fondée sur des réalités statistiques majoritaires, empêche la reconnaissance des hommes victimes, qui sont perçus comme des exceptions, voire comme des anomalies.
D’autre part, la difficulté qu’ont ces hommes à témoigner de leur souffrance contribue à cette invisibilisation. La honte, la peur d’être moqué ou de ne pas être pris au sérieux les pousse souvent à minimiser ou à taire leur situation. Enfin, les institutions et les médias ont tardé à intégrer cette réalité, laissant peu de place à une prise de conscience collective.
En France, selon l’Observatoire national des violences faites aux femmes, environ 25 % des victimes de violences conjugales sont des hommes. Ces chiffres varient selon les études et les pays, mais la tendance générale montre qu’une proportion significative d’hommes subit des violences de la part de leur partenaire.
De nombreux hommes n’osent pas porter plainte ou ne se reconnaissent pas comme victimes, ce qui fausse les données officielles. La violence psychologique, plus difficile à mesurer, est également largement sous-déclarée.
Cependant, certaines spécificités existent. Par exemple, la violence psychologique est souvent plus marquée dans les cas impliquant des hommes victimes. Leur compagne peut utiliser des stratégies de dévalorisation, de chantage affectif ou de manipulation pour asseoir son emprise.
De plus, la honte et la peur du ridicule font que les hommes battus hésitent encore plus à parler des agressions physiques. Dans certains cas, ils sont frappés, griffés, mordus, mais ne ripostent pas, de peur d’être accusés d’être les agresseurs. Cette asymétrie dans la perception de la violence conjugale contribue à leur isolement et à leur souffrance.
L’emprise psychologique joue un rôle central : l’agresseur installe un climat de domination qui enferme la victime dans un sentiment d’impuissance. La peur des représailles, le chantage affectif (notamment autour des enfants) et la perte d’estime de soi peuvent empêcher l’homme de partir.
Il y a aussi des facteurs sociaux et économiques. Certains hommes restent par crainte de ne pas obtenir la garde de leurs enfants, ou parce qu’ils sont financièrement dépendants de leur conjointe. D’autres minimisent la gravité de la situation ou espèrent encore un changement. Enfin, le manque de structures adaptées pour accueillir les hommes victimes complique leur départ.
Dans certains commissariats, leur parole est encore accueillie avec scepticisme. Il arrive que des agents minimisent leur souffrance, voire qu’ils inversent les rôles en supposant qu’un homme ne peut être victime sans avoir lui-même provoqué la violence.
Sur le plan judiciaire, les hommes peuvent avoir plus de mal à obtenir des ordonnances de protection ou à faire reconnaître la gravité des faits. Lors des séparations conflictuelles, certains craignent que leur plainte soit retournée contre eux, leur conjointe les accusant à son tour pour des faits difficiles à vérifier. Néanmoins, la prise de conscience progresse et des avocats spécialisés commencent à défendre davantage ces cas.
Il existe quelques associations qui leur viennent en aide, comme l’association SOS Hommes Battus en France, mais elles sont peu nombreuses et manquent de moyens.
Contrairement aux femmes victimes, qui peuvent trouver refuge dans des foyers spécialisés, les hommes disposent de très peu de solutions d’hébergement d’urgence. Certains se retrouvent contraints de rester sous le même toit que leur agresseur ou doivent compter sur des proches pour les héberger. Cette absence de soutien institutionnel renforce leur isolement et rend encore plus difficile leur démarche de sortie de la violence.
Il n’existe pas de profil unique de l’homme battu, mais certains facteurs peuvent accroître le risque de violences.
Les hommes qui vivent avec une partenaire présentant des troubles de la personnalité (notamment narcissique ou borderline) sont souvent plus exposés. Dans certains cas, les dynamiques de couple marquées par un fort déséquilibre émotionnel, des conflits intenses ou une dépendance affective favorisent la violence. Chez les hommes homosexuels, les mêmes mécanismes d’emprise et de domination peuvent exister, avec en plus la crainte d’être discriminé s’ils dénoncent les violences subies.
Il est essentiel de déconstruire l’idée selon laquelle un homme battu "n’aurait qu’à se défendre" ou qu’il "aurait forcément provoqué" son agresseur.
La violence conjugale repose sur des mécanismes d’emprise et de domination, où la victime est progressivement privée de sa capacité à réagir. Ce processus ne dépend pas du sexe de la victime, mais des dynamiques de pouvoir au sein du couple. Remettre en question la responsabilité des hommes victimes, c’est perpétuer leur culpabilisation et renforcer leur silence.
Se reconnaître comme victime implique un bouleversement identitaire majeur, surtout pour un homme, qui a grandi avec l’injonction à être fort, autonome, maître de sa vie.
Beaucoup d’hommes préfèrent donc minimiser ou rationaliser la violence subie : "Ce n’est pas si grave", "Elle est stressée", "Je l’ai peut-être cherché". Ce déni permet de survivre psychiquement, mais il retarde la prise de conscience nécessaire pour sortir du cycle de la violence.
Il conviendrait de déconstruire l’idée que la violence conjugale est uniquement une affaire d’hommes violents et de femmes victimes. Il ne s’agit pas d’opposer les souffrances, mais d’admettre qu’elles existent sous des formes variées.
Un meilleur accueil dans les institutions, une écoute bienveillante dans les commissariats, une meilleure formation des professionnels (policiers, magistrats, travailleurs sociaux) et la création de structures adaptées sont autant de pistes nécessaires. Tant que les hommes battus resteront un impensé collectif, ils continueront à souffrir dans l’ombre, privés de reconnaissance et de soutien.