Peut-on soigner la dépression sans antidépresseurs ?
14/8/2024

Peut-on soigner la dépression sans médicaments ?

La dépression est devenue omniprésente, avec une explosion des diagnostics ces dernières années. En parallèle, la prescription d'antidépresseurs a fortement augmenté. Pourquoi cette tendance ? Quels rôles jouent les antidépresseurs dans cette prolifération des diagnostics ? Allons-y voir ça d'un peu plus près...

La dépression, autrefois considérée comme un trouble rare et mal compris, est aujourd’hui omniprésente dans notre société. Le nombre de diagnostics a explosé ces dernières années, et avec lui, la prescription de médicaments pour traiter ce mal-être si répandu. Mais cette tendance soulève quelques questions : pourquoi autant de diagnostics ? Et quel rôle jouent les médicaments dans cette prolifération ?

Pourquoi les diagnostics de dépression sont-ils en hausse ?

Une augmentation mondiale alarmante des cas de dépression

Selon un rapport publié en 2023 par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le nombre de personnes souffrant de dépression a augmenté de 28 % entre 2020 et 2022. Cette hausse spectaculaire est en grande partie attribuée à la pandémie de COVID-19, qui a exacerbé les facteurs de stress, l'isolement social, et les difficultés économiques. Aujourd'hui, plus de 350 millions de personnes dans le monde sont affectées par la dépression, ce qui représente près de 5 % de la population mondiale.

Des chiffres préoccupants en Europe et en France

En Europe, les chiffres sont tout aussi alarmants. Un rapport de l'Agence européenne pour la santé publique (ECDC) en 2023 a révélé que le taux de dépression a grimpé de 40 % depuis 2019. En France, une étude menée par Santé publique France en 2023 indique que 13 % des adultes ont souffert d'un épisode dépressif au cours de l'année écoulée, un taux qui était de 8 % avant la pandémie.

Les jeunes particulièrement touchés par la dépression

Les jeunes adultes et les adolescents sont particulièrement touchés par cette montée en flèche des diagnostics de dépression. Une enquête réalisée en 2023 par l'UNICEF révèle que près de 20 % des jeunes âgés de 15 à 24 ans ont souffert de symptômes dépressifs au cours des douze derniers mois. Cette tranche d'âge est confrontée à des niveaux de stress sans précédent, exacerbés par les incertitudes liées à l'avenir, les changements climatiques, et les pressions des réseaux sociaux.

Une explosion des prescriptions d'antidépresseurs

En parallèle à cette augmentation des diagnostics, la prescription d'antidépresseurs a connu une croissance explosive.

En France, les prescriptions ont augmenté de 50 % entre 2010 et 2022, selon un rapport de l'Assurance Maladie publié en 2023. Aux États-Unis, environ 16 % des adultes prennent des antidépresseurs, un chiffre qui a presque doublé au cours des deux dernières décennies.

L'impact du COVID-19 sur la santé mentale

La pandémie de COVID-19 a eu un impact dévastateur sur la santé mentale globale. Une étude publiée en 2023 dans The Lancet a montré que les symptômes dépressifs ont augmenté de 70 % dans les populations touchées par le confinement et les mesures de distanciation sociale. Les travailleurs de première ligne, les personnes âgées isolées, et les jeunes adultes ont été identifiés comme les groupes les plus vulnérables.

Médicaliser nos émotions, est-ce vraiment la solution ?

Il est indéniable que la médecine a fait des progrès incroyables. Les médicaments, en particulier les antidépresseurs, ont aidé de nombreuses personnes à sortir de l’obscurité de la dépression. Mais à force de vouloir tout soigner avec une pilule, ne risquons-nous pas de perdre de vue ce qui fait de nous des êtres humains ?

Quelles sont les conséquences de la médicalisation des émotions ?

Nous ressentons tous de la tristesse, de l’angoisse, ou du stress à un moment ou à un autre.

C’est normal.

Pourtant, dans notre quête du bonheur constant, nous avons tendance à médicaliser ces états d’âme naturels. Au lieu de nous demander pourquoi nous nous sentons ainsi, il est devenu courant de chercher une solution rapide chez le médecin, qui prescrit souvent des médicaments comme réponse à notre mal-être.

Le diagnostic de dépression est-il trop large ?

Il n’est pas rare d’entendre quelqu’un dire qu’il est « déprimé » pour décrire une période de fatigue ou de stress.

Aujourd’hui, le mot « dépression » est utilisé pour décrire une vaste gamme de sentiments et de symptômes. Les médecins, sous pression pour offrir des solutions rapides, peuvent être tentés de poser un diagnostic de dépression même quand il s’agit peut-être de quelque chose de moins grave.

En quoi l'élargissement du diagnostic de dépression est-il problématique ?

Cela ne veut pas dire que la dépression n’est pas un problème sérieux.

Pour ceux qui en souffrent vraiment, le besoin d’aide est réel. Mais en élargissant sans cesse la définition de la dépression, on mélange des états passagers avec des troubles qui nécessitent une attention plus approfondie. Un coup de blues ou une période de stress intense, une période de deuil, ne devraient pas toujours être considérés comme une dépression clinique.

Les médicaments masquent-ils les vraies causes de la dépression ?

Un des dangers à trop compter sur les médicaments, c’est qu’ils peuvent parfois masquer les véritables causes de notre mal-être. Lorsque l’on se sent mal et que l’on prend un médicament pour faire taire les symptômes, on passe souvent à côté de ce qui nous rend vraiment triste ou anxieux.

Pourquoi est-il important de comprendre les causes sous-jacentes de la dépression ?

Chaque personne est unique, et les raisons de se sentir déprimé peuvent varier énormément d’un individu à l’autre. Peut-être que c’est un trauma passé qui refait surface, ou bien un environnement de travail toxique qui pèse sur le moral. Plutôt que de se concentrer uniquement sur les symptômes et de les traiter chimiquement, il serait parfois plus utile de chercher à comprendre ce qui se cache derrière ce sentiment de déprime...

La psychothérapie est-elle une alternative efficace aux antidépresseurs ?

La psychothérapie, en tant que forme de traitement pour la dépression, s'inscrit dans une approche qui diffère radicalement de celle des médicaments. Là où les médicaments visent principalement à modifier les aspects biologiques du cerveau pour atténuer les symptômes de la dépression, la psychothérapie se concentre sur l'exploration des pensées, des émotions et des comportements. Cette méthode implique souvent un dialogue approfondi entre le psychothérapeute et le patient, où les expériences personnelles, les relations, et les ressentis sont mis au centre de l'attention.

En quoi la psychothérapie se distingue-t-elle des antidépresseurs ?

La diversité des approches psychothérapeutiques est vaste, allant de l'exploration des conflits intérieurs profonds à l'examen des interactions sociales et des choix de vie. La psychothérapie permet aux patients d'aborder leur souffrance psychologique à travers des séances régulières où ils sont encouragés à s'exprimer et à réfléchir sur leur vécu. La psychothérapie crée un espace pour explorer des sentiments complexes, des souvenirs troublants ou des situations de vie difficiles, qui ne trouvent pas toujours de solution dans les traitements médicamenteux.

Qu'est-ce qui rend la psychothérapie unique pour chaque individu ?

Ce qui distingue la psychothérapie, c’est sa capacité à s’adapter aux besoins spécifiques de chaque individu. Contrairement aux médicaments, qui sont souvent standardisés pour traiter un large éventail de patients avec des symptômes similaires, la psychothérapie reconnaît la singularité de chaque parcours personnel. Chaque séance peut ainsi varier en fonction des sujets abordés et des objectifs fixés par le patient et le psychothérapeute ou le psychologue. Ce processus d’adaptation continue en fait un traitement très flexible, capable de s’ajuster aux évolutions de la condition mentale du patient au fil du temps.

Quels sont les défis de la psychothérapie ?

L’une des caractéristiques essentielles de la psychothérapie est qu’elle implique un engagement sur la durée. Les effets ne sont pas toujours immédiats, et le progrès peut se manifester par de petites étapes successives plutôt que par des améliorations spectaculaires. Ce processus peut être perçu comme exigeant, car il demande un investissement personnel important, tant en termes de temps que d’efforts émotionnels. Le travail thérapeutique est souvent introspectif, nécessitant de la patience et de la persévérance de la part du patient pour affronter des réalités parfois douloureuses ou inconfortables.

Pourquoi la relation thérapeutique est-elle déterminante ?

Par ailleurs, la psychothérapie repose sur la relation entre le thérapeute et le patient, qui est un élément clé de son efficacité.

Cette relation se construit au fil des séances, et repose sur la confiance, le respect mutuel et une communication ouverte. La qualité de cette interaction peut influencer grandement le déroulement et les résultats de la thérapie. C'est un cadre où les patients peuvent explorer leurs émotions dans un environnement sécurisé, sans crainte de jugement, ce qui peut favoriser une compréhension plus profonde d'eux-mêmes.

Comment la psychothérapie permet-elle une exploration en profondeur ?

L'approche psychothérapeutique n'est pas sans ses défis. Elle peut parfois entraîner des périodes de remises en question intenses ou d'inconfort, car elle pousse à affronter des aspects de la vie ou de soi-même qui ont pu être ignorés ou refoulés. Ce cheminement n'est pas toujours linéaire ; il peut comporter des moments de doute ou de stagnation, ce qui nécessite un soutien constant et un engagement soutenu de la part du patient.

En somme, la psychothérapie offre un cadre où l'exploration des aspects psychologiques et émotionnels de la dépression peut se faire en profondeur. Bien que ses résultats puissent prendre du temps à se manifester et nécessitent un effort continu, elle représente une alternative qui s'attaque aux dimensions subjectives et personnelles de la souffrance, avec une approche qui vise à comprendre, plutôt qu’à seulement soulager les symptômes.

Comme le souligne Lacan, « la dépression n’est pas seulement une question de chimie cérébrale, c’est un signal qui nous invite à revisiter notre relation avec notre propre désir et nos engagements envers les autres ».

Comment pouvons-nous repenser notre approche des médicaments contre la dépression ?

Avec l’augmentation des diagnostics de dépression et l’utilisation croissante des médicaments, il est temps de réfléchir à notre approche de la santé mentale. Les antidépresseurs ont leur place, mais ils ne devraient pas être la seule solution. Pour offrir un vrai soutien, il faut une compréhension plus nuancée de la dépression, qui tienne compte des spécificités de chacun.

La vraie question est : voulons-nous simplement soulager les symptômes ou sommes-nous prêts à creuser plus profondément pour comprendre et traiter les causes de la dépression ? Il est peut-être temps de repenser notre approche et de redonner aux individus souffrant de dépression des soins qui respectent leur singularité et leur histoire.

Après tout, la guérison ne se trouve pas toujours dans une pilule, mais également dans l’attention que l’on porte à soi-même et à ce qui nous entoure...

Par Frédérique Korzine,
psychanalyste à Versailles
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