« Un homme, ça s’empêche. Voilà ce que c’est, un homme. Ou sinon… ce n’est rien. » — Albert Camus. Cette phrase, courte et tranchante comme une épée, est une déclaration de guerre au nihilisme contemporain. Une boussole morale. Une claque salutaire. Dans un monde saturé de droit à tout, de libération sans limites, de pulsion érigée en vertu, Camus rappelle que l’humanité commence là où on se retient. Mais que veut dire s’« empêcher » ? Que dit cette formule de notre rapport au désir, à la pulsion, au lien social ? Que révèle-t-elle de l’homme, au sens fort du terme, dans ce qu’il a de plus noble mais aussi de plus fragile ? Plongée au cœur d’une éthique silencieuse mais radicale, aux frontières de la psychanalyse, de la philosophie et de la clinique.
S’autoriser à penser autrement, c’est parfois commencer par une psychanalyse à Versailles.
C’est dans une lettre de reconnaissance bouleversante adressée à Germain, après avoir reçu le prix Nobel, que Camus lui rend hommage : « Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue à l’enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. »
D’autres sources rattachent la formule directement à Camus lui-même, notamment dans le cadre d’une conférence donnée en 1957 à Uppsala, en Suède, ou encore dans ses dialogues avec des lycéens où il évoquait l’idée d’une virilité morale, à rebours de toute posture guerrière ou brutale.
Elle oppose une éthique du frein intérieur au déchaînement pulsionnel. Elle propose un idéal à contre-courant des figures héroïques destructrices : celle d’un homme capable de résister à ses propres débordements, de ne pas devenir un tyran pour les autres — ou pour lui-même — sous prétexte d’être « lui-même ».
Un homme, selon Camus, ce n’est pas celui qui fait ce qu’il veut. Ce n’est pas celui qui confond liberté et déversement de soi. C’est celui qui sait ne pas tout faire, parce qu’il en comprend les conséquences. Celui qui mesure son impact sur le monde, et qui choisit de ne pas nuire — même quand il en aurait le pouvoir.
S’empêcher, c’est ne pas se laisser happer par la fulgurance pulsionnelle. C’est prendre le risque de différer, de symboliser, de faire du lien là où il y avait de la tension brute. C’est transformer le cri en parole, la colère en adresse, le manque en désir. C’est choisir de traiter ce qui surgit autrement que par le passage à l’acte.
Quand le sujet est débordé, saturé, colonisé par ce qui l’envahit. Il n’agit pas tant par volonté que par nécessité défensive. Il se soulage — souvent au prix d’une violence faite à soi ou aux autres, parfois irréversible.
Le passage à l’acte, c’est la défenestration du sens. Le court-circuit du langage. Le moment où le sujet s’absente de son propre geste.
C’est rester dans le champ du symbolique, là où la pulsion peut être transformée, travaillée, réinventée.
C’est dans ce champ que le sujet se constitue comme parlant, et non comme agissant automatique. C’est là que naît la subjectivité, non pas comme identité figée, mais comme processus d’élaboration de ce qui insiste. Là que s’invente le style singulier d’un sujet, sa manière unique de dire, de lier, de transformer ses conflits internes.
S’empêcher, ce n’est pas se contraindre. C’est faire œuvre de soi-même.
Et c’est, au fond, assumer la responsabilité d’être sujet — c’est-à-dire un être qui peut dire « non » à ce qui le traverse… et « oui » à ce qu’il peut en faire.
Est-ce qu’exprimer tout ce qui nous traverse, sans médiation, sans élaboration, serait la preuve d’une existence pleinement assumée ? Ou bien est-ce, parfois, le signe d’un sujet qui ne se pense plus, qui confond pulsion et vérité, et qui s’effondre dans la jouissance immédiate ?
L’authenticité brute, c’est souvent la forme chic du passage à l’acte.
Une sincérité sans cadre, une parole sans adresse, une émotion sans responsabilité.
Sous couvert d’authenticité, la pulsion se déchaîne. L’homme oublie qu’il est un être parlant, pas un animal. Qu’il est pris dans un tissu de relations, de lois, de responsabilités. Qu’il n’est pas seul au monde, mais inscrit dans un champ symbolique où les mots engagent, où les actes marquent, où les silences parlent.
Voilà le crédo d’un narcissisme contemporain triomphant, qui se vit comme liberté mais qui n’est que servitude vis-à-vis de l’instant. L’homme sans frein. L’homme sans Autre.
Celui qui ne connaît plus la retenue, parce qu’il refuse d’être traversé par le manque, la frustration, la loi.
Mais en psychanalyse, nous savons que la vérité ne réside pas dans l’immédiat. Elle ne jaillit pas toute crue comme une évidence. Elle se construit, se creuse, se formule dans le transfert, dans la mise en récit, dans le travail du négatif.
Si je le ressens, alors c’est juste. Si je le pense, alors je dois le dire. Si je le désire, alors je dois l’obtenir.
Ce fonctionnement court-circuite l’instance tierce, celle du surmoi, de la loi, de l’altérité. Il ne reconnaît plus de limites, ni internes ni externes. C’est le moi devenu totalitaire, qui ne supporte aucune frustration, et qui prend son vécu pour une norme universelle.
Car ce qui nous distingue de l’animal, ce n’est pas la capacité à ressentir, mais la capacité à différer. À dire. À représenter. À sublimer.
Une volonté de ne rien s’interdire, de ne rien transformer, de ne rien porter.
Mais la liberté véritable n’est pas dans le déchaînement. Elle est dans le choix réfléchi, dans la capacité à ne pas faire ce qu’on pourrait faire, dans la puissance de dire non à soi-même.
Car il ne supporte plus la frustration, l’attente, l’écart entre soi et le monde.
Et ce qui se présentait comme un idéal de sincérité finit par devenir une machine à exclure, blesser, rompre. Car l’autre n’est plus accueilli comme altérité, mais vécu comme menace. Le monde n’est plus un terrain de cohabitation, mais une scène de projection où le moi exige satisfaction immédiate.
C’est le fondement du lien symbolique. C’est ce qui permet la parole, l’amour, le soin, la transmission.
S’empêcher, ce n’est pas trahir son ressenti.
C’est lui faire une place dans le langage, plutôt que de le jeter à la figure de l’autre comme une arme.
C’est transformer l’émotion en communication, la pulsion en création, le besoin en désir.
Entre pulsion et parole, il y a l’espace du sujet. Cet espace se travaille ici.
Cette phrase n’est pas qu’une mise en garde historique. Elle est un principe anthropologique fondamental :
S’empêcher, c’est précisément se retenir de nuire, même quand on en aurait le pouvoir ou la légitimité apparente.
C’est mettre une limite là où l’instinct pousse à l’emportement, là où la pulsion exige une décharge. C’est refuser la logique du plus fort, pour choisir celle du plus humain.
Mais attention : il ne s’agit pas d’une soumission extérieure ou d’un écrasement du désir. Il s’agit d’un compromis fondateur : je renonce à la toute-puissance de mes pulsions pour accéder à un monde partagé, où la parole, la loi et la culture ont droit de cité.
Ce renoncement est la condition du lien social, de l’amour, de la pensée, de la créativité.
Et il ne peut être véritablement opérant que s’il est consenti, assumé, intégré par le sujet.
Ce n’est pas une castration imposée.
C’est un choix éthique du sujet : celui d’habiter son manque plutôt que de le fuir, de penser son désir plutôt que de le décharger.
Chez Freud, le lien entre pulsion et civilisation est fondamental. Dans Le Malaise dans la culture (Das Unbehagen in der Kultur), il montre que la société humaine repose sur un pacte implicite : celui du renoncement à certaines satisfactions pulsionnelles. L’agressivité, la sexualité, les motions de destruction doivent être — non pas supprimées — mais recanalisées, sublimées, transformées.
Ce renoncement n’est pas une faiblesse : il est le socle du lien social. Il permet à la pulsion de devenir création, à la tension interne de s’ouvrir à une autre scène : celle de la symbolisation.
Quand Lacan affirme que « le désir de l’homme est le désir de l’Autre », il ne parle pas de conformité sociale. Il désigne une vérité structurelle : le désir humain n’est pas pur besoin. Il est médiatisé, traversé, façonné par le langage et l’Autre.
Autrement dit, ce n’est pas en obtenant tout que je désire. C’est en rencontrant un interdit, une limite, une absence.
Là où l’Autre me dit : « Tu ne peux pas tout », je découvre que je désire.
Ce que je ne peux pas faire devient ce que je peux penser, sublimer, détourner, jouer.
C’est là que naît le sujet parlant, et non dans le tout-jouir.
C’est reconnaître l’Autre comme fondement du lien, et donc du désir même.
C’est accepter que ma liberté n’a de sens que dans un monde partagé.
Freud, Camus et Lacan, chacun à leur manière, nous rappellent une vérité essentielle :
C’est ce choix-là qui fonde l’éthique, la subjectivité, la responsabilité.
C’est lui qui permet de désirer avec l’Autre, plutôt que contre lui.
C’est lui qui fait advenir un sujet capable de parole, de pensée, d’amour.
Cette opposition est illusoire, si l’on comprend ce que Lacan désigne réellement par « désir ». Il ne s’agit pas d’une pulsion brute qu’il faudrait satisfaire à tout prix, mais d’un désir structuré par le langage, mis en tension par la loi symbolique. Ne pas céder sur son désir, ce n’est pas céder à la pulsion, ni faire ce que l’on veut sans entrave. C’est au contraire reconnaître ce que l’on désire au-delà des objets immédiats, au-delà de la jouissance, au-delà du caprice du moi.
C’est résister à la tentation de la décharge pulsionnelle pour tenir une position subjective dans le langage.
Quand tout déborde, il est possible de retrouver du sens avec un accompagnement psychanalytique à Versailles.
Elle vise la saturation, là où le désir introduit une béance féconde.
Céder à la jouissance immédiate, c’est justement trahir son désir.
C’est court-circuiter le travail du sujet, pour se livrer au soulagement du corps.
S’empêcher, dans ce cadre, ce n’est donc pas réprimer le désir. C’est ne pas confondre désir et jouissance, ne pas s’abandonner à la compulsion, tenir la distance nécessaire pour que le désir survive et se formule.
Là où Camus dit : « Un homme, ça s’empêche », Lacan répond en écho : « Un sujet, ça se supporte. Ça s’élabore. Ça ne se décharge pas. »
Ainsi, s’empêcher et ne pas céder sur son désir désignent deux versants d’un même mouvement éthique :
S’empêcher n’est donc pas se trahir. C’est, au contraire, se donner la possibilité de désirer vraiment.
Désirer sans dominer. Désirer sans consumer. Désirer sans se dissoudre.
Leur problématique n’est pas celle de la liberté, mais celle de la perte de la limite interne. Loin d’être des êtres « affranchis », ces sujets sont souvent en grande détresse, pris dans un vécu d’urgence, de désorganisation, de confusion.
Ce qu’il appelle parfois « spontanéité », « franchise » ou « intensité » est souvent, en réalité, une incapacité à différer, à symboliser, à se contenir.
La frustration, l’interdit, l’attente, le non, ne sont pas des violences faites au désir, mais des conditions pour qu’il puisse se dire, se chercher, se transformer.
Quand cette limite est absente — parce qu’elle n’a jamais été transmise, ou parce qu’elle a été bafouée — le sujet se dissout dans un excès d’activation permanente. Il vit dans un état d’agir perpétuel, incapable de pause, de recul, de mise en mots.
Dans ces cas-là, la fonction thérapeutique consiste à restaurer une contenance psychique.
À faire exister une frontière là où tout déborde.
À offrir un cadre pour que le sujet puisse à nouveau se penser et se dire.
C’est souvent une étape douloureuse, car il faut renoncer à l’illusion d’une toute-puissance pulsionnelle. Mais c’est la condition d’une réappropriation du désir véritable.
👉 S’empêcher, c’est retrouver une frontière.
Une intériorité. Une pensée. Une parole.
Dans un couple, dans une fratrie, dans une relation thérapeutique, dans une scène sociale ou politique, l’empêchement volontaire est ce qui protège l’espace relationnel de la dévastation pulsionnelle.
Ce n’est pas se nier, ni se soumettre : c’est refuser d’écraser.
C’est faire place à l’autre, même dans la tension, même dans le désaccord.
C’est créer un espace entre le ressenti immédiat et l’agir destructeur, un espace où peut s’inventer une réponse symbolique.
S’empêcher, c’est ne pas s’autoriser à faire mal, même quand on est blessé.
Non pas par faiblesse, mais par respect du lien, par choix d’être sujet plutôt que pulsion.
Ce n’est pas fuir le conflit, ni s’effacer dans l’oubli de soi. C’est refuser que le lien soit un champ de bataille, et décider qu’il puisse devenir un lieu de parole, de traversée, d’élaboration.
Dans la relation, l’instant d’empêchement est souvent l’instant de bascule : celui où l’on aurait pu détruire, mais où l’on a choisi d’attendre, de transformer, de dire autrement. Ce geste-là, imperceptible mais puissant, fabrique de l’humanité.
Ce n’est pas l’inhibition, la soumission, le silence empoisonné.
C’est une retenue active, choisie, orientée vers la parole future, vers la symbolisation possible du conflit, vers le maintien du cadre relationnel.
C’est différer pour mieux dire, retenir pour mieux relier, choisir de construire plutôt que de détruire.
Un homme, ça s’empêche… ou ça choisit de se dire, en psychanalyse.
Un homme viril, est-ce celui qui agit sans penser ?
Ou celui qui se pense en agissant ?
Celui qui impose ou celui qui choisit la parole, l’élaboration, le respect du lien ?
Mais cette posture est un déni du manque, une défense contre la castration symbolique.
Le « vrai homme » ne s’empêche pas, parce qu’il ne doute pas. Il agit. Il tranche. Il « assume ».
Mais derrière cette façade virile se cache une terreur de l’impuissance, de la vulnérabilité, de l’Autre.
Il se met alors à dominer pour ne pas vaciller, à agresser pour ne pas douter, à jouir pour ne pas ressentir le vide.
Un homme qui se connaît, qui se pense, qui accepte de ne pas être tout, et qui renonce à détruire pour exister.
S’empêcher devient alors un acte de force véritable, non de passivité :
Un homme, ça s’empêche, non pour plaire, mais pour tenir sa place dans le lien.
Non pour se soumettre, mais pour se différencier d’une animalité qui ignore l’Autre.
Elle invite à penser une masculinité non plus fondée sur le pouvoir, mais sur la capacité à soutenir une tension intérieure sans la décharger immédiatement.
À rester debout sans écraser. À parler sans blesser. À désirer sans posséder.
Et c’est peut-être là, dans ce choix radical de ne pas céder à l’agir, que l’homme contemporain peut réinventer sa place dans le lien social, conjugal, parental — et dans sa propre subjectivité.
Apprendre à un enfant à s’empêcher, ce n’est pas le formater ni l’éteindre. Ce n’est pas lui faire honte de ses pulsions, ni le couper de ses élans. C’est lui permettre de les mettre en pensée, en mots, en lien.
Mais au fil de la croissance — s’il est accompagné, contenu, écouté, et non seulement puni — il apprend que ce qu’il ressent peut être dit autrement. Il découvre le langage comme lieu possible de ses tensions internes.
S’empêcher, c’est le signe qu’il est en train de devenir sujet.
C’est la preuve qu’il peut faire un pas de côté par rapport à sa pulsion.
Qu’il n’est pas que son besoin, mais aussi son rapport au désir.
Car une limite non posée n’émancipe pas : elle abandonne. Et une limite posée avec brutalité traumatise.
La véritable autorité parentale, c’est celle qui permet à l’enfant de se différencier de sa propre impulsivité, sans se sentir rejeté pour autant.
C’est celle qui l’aide à intérioriser un cadre, à construire une loi interne, à élaborer un surmoi contenant plutôt qu’écrasant.
Il vit dans un monde où tout devrait lui être accordé, et il confond besoin et exigence, désir et droit.
Ce n’est pas un sujet libre, c’est un enfant blessé qui n’a jamais pu intégrer la loi comme tiers protecteur.
À enseigner que la liberté se construit dans la limite, que le désir se nourrit du différé, que l’élaboration est plus puissante que l’agir.
C’est donner à l’enfant les moyens d’être libre, pas tout-puissant.
C’est lui permettre d’être sujet, et non tyran ou victime.
Freud n’a jamais cherché à éradiquer la pulsion, mais à la mettre en lien avec la culture. Dans Malaise dans la culture ou Au-delà du principe de plaisir, il montre que l’excès de répression rend malade, mais qu’un excès de jouissance déchaînée le peut tout autant.
Ce que Freud propose, ce n’est pas la soumission du sujet à un ordre moral, mais une mise au travail des forces pulsionnelles, un espace où le corps et le langage peuvent se rencontrer, où l’humain se fabrique à travers la transformation de ses tensions.
La pulsion n’a pas d’éthique en soi. C’est le sujet qui l’intègre, la canalise, la détourne, qui en fait un mode d’être au monde.
Une même énergie pulsionnelle peut conduire à frapper ou à écrire, à insulter ou à créer, à se détruire ou à se comprendre.
Tout dépend de la capacité du sujet à s’empêcher — non de sentir, mais d’agir sans médiation.
La création artistique, l’humour, l’engagement politique, la pensée, l’amour — toutes ces formes humaines riches sont des issues sublimées de la tension pulsionnelle.
Le sujet ne renonce pas à la pulsion : il l’élève, il la transpose, il en fait œuvre.
Et c’est cela que signifie aussi « s’empêcher » : refuser la jouissance immédiate pour ouvrir un espace de création subjective. Un espace où le sujet devient plus que ce qu’il subit.
« Je t’entends. Mais je vais faire quelque chose de toi. Je ne te renie pas, mais je ne te laisse pas me détruire non plus. »
C’est dans ce travail que se fabrique la subjectivité. Pas dans le déni du corps, ni dans sa dictature, mais dans l’élaboration d’un espace où le corps et la parole coexistent sans s’annihiler.
C’est le passage à l’acte sans pensée. C’est la jouissance sans lien.
Ce que vous ressentez peut devenir langage, dans le cadre d’une psychanalyse à Versailles.
Ce n’est pas dans la démesure que l’homme se découvre, mais dans sa capacité à poser une limite à ce qui le déborde.
Dans un monde qui exalte la libération tous azimuts, la spontanéité brute, l’expression sans entrave, cette phrase sonne comme un rappel fondamental :
Ce n’est pas en cédant à tous ses désirs que l’on devient libre, mais en choisissant lesquels méritent d’être poursuivis, pensés, incarnés.
Il ne suit pas aveuglément ses pulsions. Il ne se fond pas dans l’immédiateté.
Il devient sujet de ses actes. Responsable. Inscrit dans un tissu de relations, d’histoire, de symboles.
S’empêcher, c’est refuser de céder à la tyrannie du soi instantané. C’est s’inscrire dans une temporalité où l’on pense avant d’agir, où l’on désire plutôt que de consommer, où l’on se parle plutôt que de se frapper.
Là où l’homme brut réagit, l’homme éthique élabore.
Là où la pulsion pousse à l’agir, le sujet construit du lien.
Là où l’instinct exige la jouissance, le sujet invente du sens.
Ce n’est pas réprimer la vie, c’est la travailler, la rendre partageable, signifiante, durable.
C’est préférer la transmission au soulagement, le langage au coup, le désir à la décharge.
Un homme, au sens humaniste du terme, ne s’interdit pas de sentir. Il s’autorise à ne pas tout faire de ce qu’il ressent.
C’est là que commence le sujet parlant, désirant, responsable.
La culture, l’amour, la pensée, le soin, la démocratie — tout ce qui rend la vie humaine vivable — naît dans cet espace où l’on a choisi de ne pas céder à la toute-puissance.
C’est dans cette brèche entre le pulsionnel et le symbolique que s’ouvre le lieu du sujet.
Et c’est dans cette éthique silencieuse, mais intransigeante, que l’humanité, à chaque fois, se rejoue.