Avez-vous déjà eu le sentiment d’être enfermé dans une spirale de souffrance, où les mêmes situations douloureuses se répètent inlassablement ? Avez-vous parfois l’impression que le monde vous en veut, que les autres vous maltraitent ou que, malgré vos efforts, rien ne change ? C’est précisément ce que Guy Corneau, psychanalyste québécois, explore dans son ouvrage Victime des autres, bourreau de soi-même.À travers une approche accessible et bienveillante, il met en lumière les mécanismes psychiques qui nous enferment dans ces cycles de douleur et nous invite à reprendre notre pouvoir personnel. Si nous avons été blessés, nous avons aussi un rôle actif dans notre propre guérison.
L’un des points essentiels soulevés par Corneau est que nous recréons inconsciemment les scénarios qui nous ont fait souffrir. Ce phénomène, connu sous le nom de compulsion de répétition, nous pousse à revivre des situations similaires à celles de notre passé, comme si nous cherchions à réparer ce qui n’a pas pu l’être à l’époque.
Prenons l’exemple de Claire. Enfant, elle avait un père autoritaire qui la rabaissait souvent. Adulte, elle multiplie les relations avec des hommes qui la critiquent et la dévalorisent. Elle ne comprend pas pourquoi elle attire toujours ce type de partenaires, jusqu’au jour où elle réalise qu’elle rejoue inconsciemment une blessure ancienne, en espérant cette fois être reconnue et aimée. Mais à chaque échec, elle ne fait que renforcer son sentiment d’injustice et de rejet.
Si Claire ne prend pas conscience de ce mécanisme, elle risque de perpétuer ce cercle vicieux toute sa vie.
Corneau s’appuie sur le modèle du triangle dramatique de Karpman pour expliquer comment nous nous enfermons dans des rôles relationnels qui alimentent notre souffrance. Dans ce jeu psychologique, trois positions se répondent et s’entretiennent :
Un exemple frappant est celui de Julie. Elle se plaint souvent d’être maltraitée par ses supérieurs et ses collègues, mais chaque fois qu’elle change de travail, elle finit par revivre la même situation. Lorsqu’elle tente de s’affirmer, elle devient agressive, prenant alors le rôle du bourreau. Puis, lorsque l’entourage réagit à son comportement, elle revient à sa posture de victime, renforçant sa conviction que le monde est injuste.
Ce cycle est difficile à briser, car il est profondément enraciné dans notre histoire personnelle et familiale.
Prendre conscience de ces mécanismes est la première étape vers le changement. Mais savoir n’est pas suffisant : il faut aussi agir différemment. Corneau propose plusieurs pistes pour amorcer ce processus de transformation.
Il ne s’agit pas de se culpabiliser, mais de reconnaître que nous avons un rôle actif dans la perpétuation de nos souffrances. Tant que nous nous considérons uniquement comme des victimes, nous restons impuissants. En revanche, en prenant conscience de nos comportements et de nos choix, nous retrouvons une marge de manœuvre.
Julie, par exemple, pourrait se demander :
En changeant de regard, elle pourrait identifier les dynamiques qu’elle alimente elle-même et ainsi commencer à agir différemment.
Beaucoup d’entre nous ont appris à éviter la souffrance en développant des mécanismes de défense comme le déni, la colère ou la fuite. Pourtant, nos émotions sont des indicateurs précieux qui nous renseignent sur nos blessures profondes.
Lorsqu’une situation réactive une douleur ancienne, Corneau conseille de prendre un moment pour l’accueillir, au lieu de chercher à la repousser immédiatement. Il s’agit de se demander :
Cette introspection permet de dissocier le passé du présent et d’éviter de réagir de manière automatique.
Sortir de la position de victime implique souvent d’oser dire non et de s’affirmer. Cela ne signifie pas devenir agressif, mais plutôt apprendre à exprimer clairement ses besoins et ses limites.
Si Claire, qui a longtemps subi des relations toxiques, commence à dire « non » aux comportements irrespectueux, elle brise son schéma de soumission. Au début, cela lui semble inconfortable, mais progressivement, elle prend conscience de sa valeur et attire à elle des relations plus équilibrées.
Plutôt que de laisser la frustration nous enfermer dans une attitude passive ou destructrice, il est possible d’utiliser cette énergie pour construire quelque chose de positif.
Un exemple frappant est celui de Marc, qui a longtemps nourri une rancœur envers sa famille pour son manque de soutien. Plutôt que de ruminer cette douleur, il décide de s’engager dans un travail personnel et d’écrire sur son expérience. En transformant sa souffrance en un projet qui lui tient à cœur, il reprend le contrôle de son histoire.
Parfois, ces schémas sont si ancrés qu’il est difficile de les déconstruire seul. Un accompagnement thérapeutique peut être une aide précieuse pour identifier les blessures inconscientes et apprendre à fonctionner autrement.
Un psychanalyste, un psychothérapeute ou même un groupe de parole peuvent offrir un espace sécurisant pour explorer ces mécanismes et amorcer un véritable changement intérieur.
Le message essentiel de Victime des autres, bourreau de soi-même est que nous ne sommes pas condamnés à rejouer indéfiniment les mêmes souffrances. Certes, nous avons été blessés, mais nous avons aussi la capacité de nous en libérer.
Changer demande du courage, car cela signifie accepter de voir nos propres responsabilités et modifier des comportements profondément enracinés. Mais c’est aussi une opportunité extraordinaire : celle de sortir d’un cycle de douleur pour retrouver une vie plus libre et authentique.
Si nous cessons d’attendre que les autres changent et que nous prenons en main notre propre transformation, alors nous ne sommes plus victimes des autres, ni bourreaux de nous-mêmes. Nous devenons simplement les auteurs de notre propre existence.