Multiplication des agressions dans le monde du soin
24/5/2023

Multiplication des agressions dans le monde du soin : une approche psychologique et psychanalytique

Comprendre la frustration et trouver des voies de réconciliation

Dans notre société, nous assistons à une préoccupation grandissante liée à la multiplication et à l'aggravation des agressions dans le monde du soin.

Les incivilités, actes de violence verbale, physique et même psychologique se succèdent et se multiplient, émanant parfois des patients eux-mêmes.

Cette réalité nous pousse à réfléchir sur la capacité des individus à tolérer la frustration et à exprimer leur détresse de manière constructive.

Dans cet article, nous aborderons cette problématique sous l'angle de la psychanalyse, afin de comprendre les mécanismes psychiques qui sous-tendent ces comportements agressifs et d'explorer des voies de réconciliation.

La frustration : un moteur de conflits non résolus

La frustration est une expérience universelle que nous partageons tous en tant qu'êtres humains.

Elle surgit lorsque nos désirs et nos attentes ne sont pas satisfaits, générant un sentiment de privation.

Notre développement psychique et émotionnel est étroitement lié à notre capacité à tolérer cette frustration.

La psychanalyse nous enseigne que des traumatismes, des blessures narcissiques ou des carences affectives peuvent altérer cette capacité et engendrer des réactions disproportionnées face à la frustration.

La violence comme expression de la détresse mais également d'un individualisme devenu forcené

En effet, la violence peut être considérée comme une expression de la détresse, mais elle peut également être alimentée par un individualisme devenu forcené dans notre société contemporaine. L'individualisme extrême se caractérise par une focalisation excessive sur les besoins, les désirs et les intérêts personnels, au détriment du bien-être collectif et de la considération des autres.

Dans une société où l'individualisme est privilégié, les frustrations et les insatisfactions peuvent être exacerbées. Lorsque les individus sont principalement préoccupés par la réalisation de leurs propres désirs et ambitions, ils peuvent avoir du mal à gérer les contraintes et les obstacles qui se présentent à eux. La frustration de ne pas obtenir ce qu'ils veulent peut alors déclencher des réactions agressives ou violentes, dans une tentative de s'affirmer ou de se libérer de ce qui est perçu comme une entrave à leur individualité.

Individualisme qui peut engendrer une perte de la notion de responsabilité et de solidarité envers autrui.

Lorsque les intérêts personnels priment sur l'intérêt collectif, il devient plus difficile de développer une empathie et une compréhension envers les autres. Les comportements violents peuvent ainsi être justifiés par une vision égocentrique du monde, où la satisfaction personnelle prime sur le respect des limites et des droits des autres.

La psychanalyse comme outil de compréhension et de résolution

La psychanalyse offre un éclairage intéressant sur ces dynamiques. Elle met en évidence les mécanismes psychiques qui sous-tendent ces comportements violents, tels que le refoulement des pulsions agressives, les conflits internes et les blessures narcissiques non résolues.

La psychanalyse peut aider à comprendre comment un individualisme exacerbé peut conduire à des formes de violence, en explorant les processus inconscients qui influencent notre rapport aux autres et à nous-mêmes.

La psychanalyse offre une exploration approfondie des processus inconscients qui sous-tendent les comportements humains. Elle permet de mettre en lumière les mécanismes psychiques qui conduisent à la violence et à l'agression.

En travaillant sur l'élaboration des affects refoulés, des conflits internes et des traumatismes passés, la psychanalyse offre la possibilité de transformer ces émotions destructrices en une parole constructive. Le processus analytique renforce également notre capacité à tolérer la frustration et à trouver des modes d'expression plus adaptés.

Que dit Lacan de la frustration ?

Jacques Lacan, célèbre psychanalyste français, a développé des idées importantes sur la frustration dans le cadre de sa théorie psychanalytique. Selon Lacan, la frustration est un élément fondamental de la condition humaine et joue un rôle crucial dans la formation de la structure psychique.

Lacan soutient que la frustration découle de la relation entre le sujet et l'objet de son désir.

Il met l'accent sur le fait que le désir humain est essentiellement marqué par le manque et l'incomplétude. Nous désirons ce qui nous manque, ce qui est absent ou inaccessible.

Cette dynamique crée une tension entre le sujet et l'objet de désir, générant ainsi la frustration.

Pour Lacan, la frustration est un moteur essentiel de la vie psychique.

Elle est liée à la manière dont le sujet (nous) se constitue en tant qu'individu distinct, séparé du monde extérieur et des autres.

C'est à travers la frustration que le sujet apprend à différer la satisfaction immédiate de ses pulsions et à entrer dans le domaine de la symbolisation et du langage. La frustration joue un rôle dans la construction du désir et dans la formation de l'identité du sujet.

Frustration ou privation ?

Lacan distingue la frustration de la privation.

Alors que la privation renvoie à une absence réelle d'un objet, la frustration est davantage liée à la structure psychique et à la relation fantasmatique entre le sujet et l'objet. La frustration, dans cette perspective, est moins déterminée par des facteurs externes que par la dynamique interne du sujet.

Lacan souligne également que la frustration peut engendrer des conséquences psychiques importantes. Lorsque la frustration n'est pas suffisamment élaborée ou symbolisée, elle peut conduire à des troubles psychologiques tels que l'angoisse, la dépression ou l'agressivité. La manière dont chaque individu gère et travaille avec la frustration peut varier et est influencée par des facteurs complexes, y compris le contexte familial, social et culturel.

La frustration serait donc un élément essentiel de la condition humaine et de la vie psychique. Elle est liée à la relation entre le sujet et l'objet de désir, et joue un rôle dans la formation du désir et de l'identité du sujet. Une compréhension et une élaboration adéquate de la frustration sont importantes pour le développement psychique et la santé mentale.

Le Covid est passé par là

C’est indéniable, la pandémie de Covid-19 a eu un impact significatif sur notre manière d'appréhender et de faire face à certaines situations. Cette crise sanitaire mondiale a perturbé notre vie quotidienne, nos routines et nos interactions sociales, entraînant des changements profonds dans notre façon de penser, de ressentir et d'agir.

Tout d'abord, la peur et l'incertitude qui entourent le Covid-19 ont eu un effet sur notre psyché collective. La propagation rapide du virus et les conséquences sanitaires, économiques et sociales qui en découlent ont généré un climat d'anxiété généralisée. Les préoccupations liées à notre santé et à celle de nos proches, ainsi que l'incertitude quant à l'avenir, peuvent engendrer des sentiments de stress, de frustration et de peur face à l'inconnu.

En outre, les mesures de distanciation sociale, telles que le confinement, la limitation des contacts sociaux et les restrictions de déplacement, ont modifié notre façon d'interagir avec les autres. L'isolement social, la diminution des occasions de rencontres et d'échanges en personne ont pu entraîner une sensation de solitude, de frustration et de déconnexion sociale. Les relations professionnelles, familiales et amicales ont été impactées, ce qui a pu susciter des difficultés relationnelles et émotionnelles.

La crise du Covid-19 a également révélé des inégalités sociales et économiques préexistantes, affectant de manière disproportionnée certaines populations vulnérables. Les personnes précaires, les travailleurs essentiels, les personnes âgées et les groupes marginalisés ont été particulièrement touchés par les conséquences de la pandémie, ce qui a amplifié les inquiétudes et les frustrations liées à leur situation.

Elle a également montré notre capacité d'adaptation et de résilience. Nous avons développé de nouvelles habitudes et stratégies pour faire face à cette situation inédite. Nous avons appris à utiliser les technologies de

communication à distance pour maintenir le lien avec nos proches, à respecter les mesures de prévention sanitaire et à adopter des comportements responsables pour protéger notre santé et celle des autres.

Des voies de réconciliation pour le monde du soin

Face à la multiplication des agressions, il semble urgent d'instaurer des mesures de prévention et de soutien au sein du monde du soin. E

n tant que professionnels de la santé, nous pouvons bénéficier de formations axées sur la gestion des situations de violence, la communication bienveillante et l'empathie. Les espaces de dialogue et de supervision sont également essentiels pour nous permettre de partager nos expériences, de décharger nos émotions et de trouver des réponses adaptées aux situations complexes que nous rencontrons.

Avoir un lieu pour soi

La supervision est un élément clé pour promouvoir la santé et le bien-être des professionnels du monde du soin, en particulier dans le contexte où les agressions se multiplient.

La supervision consiste en des sessions régulières au cours desquelles les professionnels de la santé peuvent discuter de leur travail, de leurs expériences, de leurs difficultés et de leurs émotions avec un superviseur qualifié.

Elle offre un espace sécurisé et confidentiel où il est possible de penser de manière réflexive sa pratiques, explorer les aspects émotionnels et psychologiques de son travail et recevoir un soutien approprié. Elle permet de prendre du recul par rapport aux situations complexes, de mieux comprendre les enjeux, d'identifier les facteurs de stress et de développer des stratégies pour y faire face de manière efficace et saine.

Dans le contexte spécifique des agressions dans le monde du soin, la supervision peut jouer un rôle essentiel dans la prévention et la gestion de la violence. Elle permet aux professionnels de partager leurs expériences d'agression, de décharger les émotions associées et d'explorer des moyens de renforcer leur résilience et leur capacité à faire face à ces situations difficiles.

La supervision peut également contribuer à la sensibilisation et à la prévention des agressions. En analysant les expériences vécues, les soignants peuvent identifier les facteurs de risque et les signes précurseurs de violence. De plus, la supervision permet de renforcer les compétences de communication et d'empathie, qui sont essentielles pour établir des relations de confiance avec les patients et réduire les tensions potentielles.

La supervision, organisée individuellement ou en groupe en fonction des besoins et préférences de chacun, peut être considérée comme un outil de soutien et de développement personnel et professionnel. Elle favorise la réflexion critique, l'apprentissage continu et l'amélioration de la qualité des soins.

Comment gérez-vous votre frustration ? 

C'est une question essentielle que nous souhaitons aborder dans le cadre de cet article.

La frustration fait partie intégrante de la condition humaine et se manifeste dans différentes situations de notre vie quotidienne. Chacun d'entre nous est confronté à des désirs inassouvis, à des attentes non réalisées et à des obstacles qui se dressent sur notre chemin.

La manière dont nous faisons face à la frustration peut varier d'une personne à l'autre. Certains individus réagissent de manière constructive en cherchant des solutions alternatives, en ajustant leurs attentes ou en trouvant des compromis. D'autres peuvent ressentir de l'irritation, de la colère ou de l'insatisfaction, ce qui peut parfois conduire à des réactions impulsives ou agressives.

La psychanalyse nous invite à explorer les mécanismes psychiques qui sous-tendent notre rapport à la frustration. Elle nous permet de prendre conscience des émotions, des fantasmes et des pensées inconscientes qui peuvent influencer nos réactions face à la frustration. En examinant nos schémas de pensée et nos comportements, nous pouvons mieux comprendre pourquoi nous réagissons d'une certaine manière et trouver des moyens de faire face à la frustration de manière plus constructive.

Il est important de souligner que la gestion de la frustration est un processus individuel et complexe. Cela implique souvent un travail sur soi, une réflexion introspective et éventuellement l'aide d'un professionnel de la santé mentale.

Certaines approches thérapeutiques, comme la psychanalyse, offrent un espace sécurisé pour explorer nos réactions émotionnelles et nos schémas de pensée, nous permettant ainsi d'acquérir une meilleure compréhension de nous-mêmes et de développer des stratégies plus adaptées pour faire face à la frustration.

En conclusion, la manière dont nous gérons notre frustration est une question cruciale dans notre développement personnel et notre bien-être émotionnel. La psychanalyse peut nous aider à explorer les dimensions psychiques de la frustration, à prendre conscience de nos réactions et à développer des

mécanismes plus sains pour y faire face. En prenant du recul, en cherchant à comprendre nos motivations internes et en apprenant des stratégies d'adaptation positives, nous pouvons progressivement améliorer notre capacité à gérer la frustration de manière constructive.

Par Frédérique Korzine,
psychanalyste à Versailles
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Psychanalyse, hypnose, coaching, supervision et thérapies brèves.

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