Vous vous demandez peut-être : "Quand une psychanalyse est-elle terminée ?" Vous n’êtes pas seul à poser cette question. Des dizaines, voire des centaines de personnes, tapent cette question dans Google chaque jour, avec l’espoir de comprendre les mystères qui entourent le processus psychanalytique. Pourtant, derrière cette interrogation, une réalité troublante se cache : la psychanalyse est-elle jamais véritablement terminée ? Le fondateur de cette discipline, Sigmund Freud, avait lui-même mis en garde contre l’idée d’une analyse "achevée". Il l’exprime ainsi dans l’une de ses réflexions les plus célèbres : "Analyse terminée, analyse interminable". Ce concept soulève de nombreuses questions que nous allons explorer ensemble.
Un moment où le patient se relèverait du divan avec un sentiment d’accomplissement, allégé des fardeaux de l’inconscient qui le tourmentaient. Une clôture triomphante où l’analyste et l'analysé se diraient au revoir, satisfaits du travail accompli.
La vérité est plus complexe, plus déroutante. Freud lui-même s'est penché sur cette question dans son essai publié en 1937, "Analyse terminée et interminable" (Freud, S., 1937). Il y explique que l’idée d'une "fin" est, en soi, illusoire. Chaque individu porte en lui des conflits psychiques qui ne peuvent être complètement résolus, des désirs qui restent inconscients, des traumas enfouis profondément. Même après des années de travail, des éléments de l'inconscient échappent toujours à l'analyse. Vous pouvez ressentir un soulagement, une meilleure compréhension de vous-même, mais prétendre avoir tout compris, tout résolu ? C'est une utopie.
Vous avez peut-être déjà vécu cette sensation : vous pensez avoir fait des progrès dans votre compréhension de vous-même, dans la gestion de vos souffrances, mais soudain, un vieux schéma, une ancienne angoisse resurgit, presque comme un fantôme du passé. Pourquoi ? Pourquoi cette sensation d’être pris dans une spirale sans fin ? Freud explique ce phénomène par la nature même de l'inconscient, cet espace mystérieux, vaste et insondable.
L’inconscient ne se laisse pas dompter si facilement. Il est constitué de couches et de couches de désirs, de pulsions, de souvenirs refoulés. On pourrait comparer cela à un puits sans fond. Chaque analyse approfondit la compréhension de ces mécanismes, mais l’inconscient, lui, continue de produire du nouveau matériel, réarrangeant et transformant les expériences et les désirs au fur et à mesure que la vie du sujet évolue. En somme, ce n’est pas tant que l’analyse est inefficace ou incomplète ; c’est que l’inconscient lui-même est interminable.
On pourrait se demander : "Faut-il que l'analyse ait une fin ?" Pourquoi ne pas accepter que, comme la vie elle-même, l'analyse soit un processus continu, sans début ni fin clairement définissables ? Certaines écoles psychanalytiques modernes, influencées par l’œuvre de Jacques Lacan, remettent d’ailleurs en question la nécessité d'une conclusion absolue. Lacan suggère que le désir, moteur fondamental de l’existence humaine, ne peut jamais être complètement satisfait. Une analyse qui chercherait à tout comprendre ou à tout résoudre serait donc vouée à l’échec.
Au lieu de chercher la fin, peut-être devrions-nous accepter que l’analyse est un chemin, un processus d’exploration de soi-même qui n’a pas vocation à se clore de manière définitive. Mais cela soulève une autre question : combien de temps sommes-nous prêts à rester sur ce chemin ? Un an, deux ans, dix ans ? Cette question demeure ouverte, car chaque sujet, chaque expérience est unique.
C'est une question fréquemment posée : "Pourquoi me sens-je perdu, même après des années d’analyse ?" Vous avez peut-être atteint une forme de conclusion dans votre thérapie, mais le sentiment de perte demeure. Freud avait une réponse à cela : l’analyse ne vous promet pas de délivrance complète. En vérité, même après des années d'exploration analytique, certaines parties de vous-mêmes resteront obscures. Le processus de connaissance de soi est infini, comme l’a montré Freud, et la sensation de "perte" à la fin d'une analyse peut être due au fait que l'on se confronte, pour la première fois, à la réalité de l’inconscient.
En fin de compte, l’analyse ne vous libère pas de l’inconscient, elle vous aide à vivre avec lui. Cela peut sembler paradoxal, voire frustrant, mais c’est aussi la beauté de la psychanalyse : elle nous aide à comprendre que la complexité humaine est infinie.
Freud lui-même, vers la fin de sa carrière, se montre de plus en plus sceptique quant à l’idée d’une guérison totale. La psychanalyse permet de comprendre les causes de la souffrance, d’explorer les mécanismes sous-jacents, mais guérir ? C’est une autre histoire.
Il est essentiel de comprendre que la psychanalyse ne cherche pas à guérir dans le sens médical du terme. Elle vise à offrir au sujet les moyens de vivre avec ses conflits internes, de mieux comprendre ses angoisses, ses désirs et ses peurs. Mais ces derniers ne disparaissent pas. Ils font partie intégrante de notre être, et l’analyse nous aide à les apprivoiser plutôt qu’à les éliminer.
Une citation de Freud illustre parfaitement cette idée : "Le moi n’est pas maître dans sa propre maison" (Freud, S., 1917). Cette phrase, aussi simple soit-elle, nous rappelle que nous ne contrôlons pas tout, que l’inconscient reste maître de bien des aspects de notre existence, et que l’analyse, loin de nous rendre tout-puissants sur notre psychisme, nous permet simplement de mieux cohabiter avec nous-mêmes.
Certains parlent de plusieurs années, d’autres de décennies. Cela peut sembler décourageant, mais la durée d’une analyse dépend entièrement du sujet, de la nature de ses conflits et de son engagement dans le processus. Freud lui-même n’avait pas de réponse universelle à cette question.
Il y a des analyses qui durent cinq ans, d’autres dix ans, et il existe même des exemples d’analyses qui continuent de façon intermittente pendant une grande partie de la vie du sujet. La fin de l’analyse n’est pas une question de temps, mais une question d’évolution, de compréhension, et surtout, d’acceptation de la complexité de soi.
Si l’on suit la pensée freudienne, l'infini de l'analyse n'est pas un signe d'échec, mais plutôt une reconnaissance de la profondeur inépuisable de l'inconscient. L’inconscient est, par nature, dynamique. Il se transforme, se réinvente, et continue de produire des désirs, des peurs, des symptômes. Croire qu’on pourrait un jour "épuiser" tout cela serait une illusion.
Freud nous apprend que la psychanalyse ne vise pas une guérison parfaite ou une solution finale. Elle permet de mieux comprendre ces mécanismes internes, de les dénouer partiellement, mais jamais de manière définitive. C'est en cela que l'analyse interminable est une réussite : elle reconnaît la complexité humaine et la richesse inépuisable de l’inconscient.
Cela peut paraître angoissant, mais c’est aussi une source de liberté. L'infini de l'analyse est une invitation à continuer d'explorer, à ne jamais cesser de se découvrir, et à vivre avec les mystères de l'inconscient.
En fin de compte, l’analyse interminable est un témoignage de l’insondable richesse de l’âme humaine. Si vous y entrez, vous ne trouverez peut-être jamais de fin, mais vous trouverez, à coup sûr, une meilleure compréhension de vous-même. Et n'est-ce pas, en soi, une forme d'accomplissement ?
Références :