"L'analyste ne s'autorise que de lui-même… et de quelques autres." Voilà une sentence lacanienne qui claque comme un coup de fouet et qui pourtant laisse planer un mystère. De quel "soi-même" parle-t-on ? Qui sont ces "quelques autres" ? S'autoriser, est-ce s'auto-proclamer analyste ? Certainement pas. Alors, comment devient-on analyste ? Par un diplôme ? Une initiation ésotérique ? Une reconnaissance institutionnelle ? Rien de tout cela. La passe, invention géniale de Lacan, répond à cette énigme avec une audace qui continue, encore aujourd’hui, à troubler et diviser le champ psychanalytique.
Mais ce témoignage ne se fait pas en solitaire. Un dispositif rigoureux est mis en place pour recueillir et transmettre ce moment de vérité subjective.
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Le passant – c’est ainsi qu’on nomme celui qui demande à "passer" – confie son récit à des "passeurs", eux-mêmes analysants.
Ces passeurs sont choisis pour relayer la parole du passant à un cartel de passe, composé d’analystes qui doivent examiner la question cruciale : quel savoir s’est produit dans cette cure qui autoriserait un passage vers la position d’analyste ?
Ce qui se joue ici, c'est le saut, la bascule du sujet, qui, ayant traversé l’épreuve de l’inconscient, ne se contente pas de son analyse, mais se sent poussé à en faire quelque chose pour les autres. Car devenir analyste, ce n’est pas simplement "avoir fini son analyse" – c’est prendre la place de celui qui écoute, là où autrefois on parlait.
Mais attention : ce saut n’a rien d’une simple transition linéaire, d’un progrès ordonné.
Là où l’analysant était pris dans les filets du désir de savoir sur lui-même, le voici maintenant placé dans une autre position, celle de garantir un espace pour que le désir de l’autre puisse advenir.
La passe, dans son essence même, n’est pas un rite dans le sens traditionnel du terme, car elle ne s’appuie sur aucun code fixe, aucun cérémonial préétabli, aucun geste d’intronisation. C’est un moment de parole, un moment d’après-coup, un point où quelque chose de l’inconscient se révèle à la fois à celui qui parle et à ceux qui écoutent.
Le cartel de passe ne cherche pas des "bons élèves", ni des performeurs du discours analytique. Ce qui est en jeu, c’est la marque d’un parcours, l’effet d’une traversée, une vérité qui ne peut se décréter, mais seulement se reconnaître… ou se refuser.
Elle tente de cerner si un sujet a véritablement été touché au point où l’analyse l’aura transformé en quelqu’un qui peut désormais occuper cette place, sans garantie, sans filet. Et c’est là que réside tout son enjeu… et toute sa subversion.
Il n’y a pas de cursus standardisé. Il n’y a pas de check-list à valider. Il y a seulement une expérience radicale qui, si elle est suffisamment traversée, peut produire un analyste.
Mais encore faut-il comprendre ce qui, dans cette transformation, se joue.
La réponse tient en un concept fondamental : le désir de l’analyste.
Ce désir n’a rien à voir avec une vocation bienveillante ou une pulsion pédagogique. C’est un effet du vide laissé par l’analyse. Une fois les identifications déconstruites, une fois le fantasme mis à nu, quelque chose subsiste : un désir qui ne se laisse plus capturer par l’imaginaire du moi. C’est ce qui reste quand tout s’est effondré. Et c’est seulement à ce moment-là que le passage peut s’opérer.
Très vite, des résistances apparaissent. Certains voient dans la passe un "examen de passage" déguisé, d’autres une forme d’arbitraire, d’autres encore une tentative impossible de formaliser l’informulable. Et Lacan lui-même ? Il observe, il ajuste, puis il tranche. En 1980, il dissout son École freudienne de Paris, non sans une phrase cinglante : "L’expérience de la passe est ratée." Ratée, vraiment ?
Et si l’expérience a échoué, c’est peut-être précisément parce qu’elle visait un point d’impossible. Devenir analyste n’est pas une procédure qu’on peut encadrer.
Certaines tentent d’en conserver l’esprit d’origine, d’autres l’ont transformée, assouplie, remodelée.
Alors, comment sait-on qu’un analysant est devenu analyste ? On ne le sait pas. On l’éprouve. L’analyste ne se proclame pas, il se démontre dans sa pratique. Et si la passe demeure un mythe ou un scandale pour certains, c’est peut-être parce qu’elle touche au point le plus brûlant de la psychanalyse : son impossibilité même.
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Ce sont des phrases qui résonnent comme des aphorismes, des formules lapidaires qui condensent en quelques mots l’énigme même de l’analyste. Elles ne se contentent pas d’énoncer un principe, elles le font vaciller, forçant celui qui les lit à s’y confronter.
S’autoriser de soi-même, est-ce s’auto-proclamer analyste ? Impossible. Car le "soi-même" dont il est question ici n’est plus le même à l’issue d’une analyse. Ce n’est plus un sujet qui s’identifie à une fonction ou un statut, c’est un être marqué par un vide, par un certain renoncement à l’imaginaire du moi. Mais alors, pourquoi ces "quelques autres" ? Parce que l’analyste ne se fait pas tout seul, il s’inscrit dans une lignée, dans une transmission qui ne passe ni par un diplôme, ni par une quelconque validation institutionnelle. Il s’autorise dans le regard de ceux qui ont eux-mêmes traversé cette expérience du manque.
L’analyste n’est pas un rôle que l’on endosse, ce n’est pas un métier que l’on choisit par inclination ou par goût. Il y a une logique implacable derrière cette phrase : il faut avoir fait l’expérience de l’inconscient jusqu’à un point de non-retour, jusqu’à ce que quelque chose cède dans la structure même du sujet. Ce n’est pas l’apprentissage d’une technique, mais l’effet d’un basculement. On ne décide pas d’être analyste, on se retrouve à occuper cette position comme conséquence d’un trajet analytique qui a porté jusqu’à une certaine traversée du fantasme.
Là où d’autres disciplines sanctionnent la compétence par un titre, Lacan rappelle que le savoir analytique ne se transmet pas sous forme de connaissances. Il ne s’agit pas de maîtriser un corpus théorique ou une grille de lecture, mais d’avoir éprouvé dans son corps et son langage ce qu’est l’inconscient. Pourtant, s’engendrer soi-même ne signifie pas s’inventer analyste ex nihilo. Il y faut une transformation subjective si radicale qu’elle crée un avant et un après, un passage qui ne peut se dire qu’après coup. Ce n’est donc pas un diplôme qui fait l’analyste, c’est un événement dans la structure du sujet.
Ici, Lacan nous plonge au cœur du problème. Car que reste-t-il après une analyse menée à son terme ? Ni une maîtrise, ni une supériorité intellectuelle, ni même une satisfaction d’être arrivé "au bout". Ce qui reste, c’est un désir qui ne peut plus se rabattre sur un idéal, un désir qui n’a plus d’objet fixe. Ce désir, loin d’être un simple vouloir, est une béance qui se fait moteur. Le désir de l’analyste, c’est ce qui pousse un sujet à occuper cette place d’écoute sans garantie et sans assurance, à se tenir là où il n’y a rien d’autre que la parole de l’autre et l’inconnu qu’elle porte.
Ces phrases de Lacan, en apparence simples, portent toute la radicalité de sa pensée sur la transmission analytique.
Elles ne sont pas des maximes rassurantes, elles ouvrent un vertige : peut-on jamais savoir si l’on est analyste ?
La passe, loin d’être une validation institutionnelle, est une tentative de prendre acte de ce moment où un analysant bascule dans une autre position. Mais ce passage n’est jamais complètement transparent, et c’est bien pour cela qu’il continue de hanter la psychanalyse.
La passe est un pari, une audace, un coup de dés lancé dans le vide. Lacan voulait empêcher la psychanalyse de sombrer dans l’institutionnalisation stérile, il a donc imaginé un dispositif qui tente de capturer l’instant où un sujet bascule dans la position d’analyste. Mais ce passage ne se décrète pas, il se produit.
Au fond, la passe est une question bien plus qu’une réponse : comment un analysant devient-il analyste ?
C’est une énigme qui continue de hanter la formation analytique. Et peut-être que cette impossibilité de trancher est précisément ce qui la rend si nécessaire. Car après tout, "la vérité a structure de fiction", disait Lacan.
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