Manspreading : un comportement anodin ou un reflet des dynamiques de pouvoir ? Le "manspreading" est souvent perçu comme un simple manque de considération, mais il pourrait également révéler des enjeux plus complexes liés aux normes de genre et aux dynamiques de domination dans l’espace public. Analysons ce phénomène sous l’angle de la psychologie.
Soudain, vous tombez sur un spectacle familier : un homme assis, les jambes écartées, occupant généreusement l’espace de deux personnes, voire plus. Ce comportement a un nom : le "manspreading".
Vous vous posez des questions, nous avons des réponses. Un peu cyniques peut-être, mais tout de même basées sur des faits psychologiques.
Autrement dit, il désigne cette posture où certains hommes écartent exagérément les jambes lorsqu'ils sont assis, particulièrement dans les espaces publics comme les transports en commun. Jusque-là, vous me direz, rien de bien fascinant. Alors, pourquoi cela fait-il autant parler ? Peut-être parce que ce comportement, en apparence anodin, soulève des questions plus vastes : respect de l'espace public, inégalités de genre, ou même privilège masculin.
Ce phénomène a pris une ampleur internationale avec des campagnes de sensibilisation, notamment à New York et Madrid, où les autorités ont gentiment rappelé aux hommes qu'ils ne sont pas les seuls à vouloir s’asseoir (Bromley, 2017). Mais derrière cette simple « demande de partage de l’espace », le manspreading semble aussi être le reflet de quelque chose de plus profond.
Si vous demandez à un homme pratiquant le manspreading pourquoi il adopte cette posture, il vous répondra probablement, l’air un peu gêné : "C’est plus confortable". Et en partie, c’est vrai. L’anatomie masculine joue un rôle dans la manière dont certains hommes préfèrent s’asseoir. Mais soyons honnêtes, personne n’a vraiment besoin d’étaler ses jambes au point d’occuper tout un banc dans le métro.
La posture corporelle, selon la psychologie sociale, influence non seulement la manière dont les autres nous perçoivent, mais aussi la manière dont nous nous percevons nous-mêmes (Carney, Cuddy, & Yap, 2010). Les postures expansives, comme celle du manspreading, sont souvent associées à des sentiments de pouvoir et de contrôle. Plus vous prenez de place, plus vous vous sentez important. C’est un peu comme si l’homme qui s’étale dans le métro tentait, inconsciemment, de dire au monde :
C'est aussi, selon certaines théories, une forme de manifestation du privilège masculin. Dans de nombreuses cultures, les hommes sont socialisés dès le plus jeune âge à occuper de l’espace, à se montrer assertifs et expansifs. En revanche, les femmes, elles, apprennent à être plus discrètes, à se restreindre et à ne pas "faire trop de bruit" (Young, 1980).
Certains hommes ont grandi avec l’idée qu'ils avaient droit à plus d’espace — non seulement métaphoriquement, mais aussi littéralement. Lorsqu'ils s’étalent ainsi, ce n’est peut-être pas une intention malveillante, mais plutôt une conséquence inconsciente de normes culturelles profondément ancrées.
Iris Marion Young (1980), dans son célèbre essai "Throwing Like a Girl", explique que les femmes sont encouragées à "contenir leur corps dans un espace limité", tandis que les hommes sont socialisés à s'étendre. Le manspreading pourrait alors être vu comme une sorte d’expression de pouvoir implicite.
Le manspreading pourrait être l’expression d’un besoin inconscient de dominer l’espace. Certains hommes, même sans en être conscients, pourraient adopter cette posture pour affirmer leur présence, marquer leur territoire, et signaler leur importance. Ce n'est pas si surprenant lorsque l'on sait que les comportements de domination ne sont pas toujours intentionnels. Ils peuvent découler de dynamiques de pouvoir que nous avons intériorisées au fil du temps.
La théorie de la domination sociale (Sidanius & Pratto, 1999) nous explique que dans les sociétés patriarcales, les hommes sont souvent socialisés pour occuper des positions de pouvoir. Cela peut se traduire par des comportements apparemment insignifiants, comme écarter les jambes dans le métro. Alors oui, le manspreading pourrait très bien être un petit jeu de pouvoir qui se joue dans l’esprit, même si l’homme en question ne s’en rend pas compte.
Absolument. Comme pour tout comportement humain, la manière dont nous percevons et interprétons le manspreading dépend du contexte culturel dans lequel il se produit. Dans certaines cultures, l’espace public est vu comme un bien commun à partager équitablement, et prendre plus de place que nécessaire est considéré comme une impolitesse flagrante. Dans d'autres contextes, en revanche, une posture expansive peut être interprétée comme un signe de confiance et de leadership.
Par exemple, en Occident, le manspreading a été largement critiqué, car il est perçu comme un symptôme d'une domination masculine injustifiée dans les espaces publics. Dans d’autres régions du monde, cependant, cette posture peut passer inaperçue ou être considérée différemment en fonction des normes locales sur l’utilisation de l’espace public.
Ce qui est fascinant, c’est que le manspreading révèle, une fois de plus, comment l’espace public est un terrain de jeu pour des dynamiques de pouvoir invisibles. Qui prend de la place, qui en cède, et comment cela est perçu, tout cela dépend fortement des normes sociales et culturelles en vigueur.
Selon la psychanalyse, les comportements corporels, comme écarter les jambes, ne sont pas seulement des gestes innocents. Ils peuvent être des manifestations de désirs inconscients ou de conflits internes.
Dans une lecture freudienne, on pourrait dire que le manspreading est une sorte de mise en scène symbolique du "phallus", cet éternel symbole de pouvoir et de virilité. Après tout, l’acte de prendre de l’espace avec son corps peut être interprété comme une tentative, inconsciente bien sûr, de réaffirmer son pouvoir masculin. Est-ce une surinterprétation ? Peut-être. Mais la psychanalyse nous a habitués à voir des symboles là où les autres voient des comportements banals.
Derrière ces jambes écartées, se cachent des dynamiques psychologiques complexes, allant des différences de socialisation entre les hommes et les femmes, aux besoins inconscients de pouvoir et de domination.
La prochaine fois que vous verrez un homme s'étaler dans le métro, ne le jugez pas trop vite. Il ne fait peut-être que réagir à des normes sociales qu'il a intériorisées, ou peut-être qu'il exprime inconsciemment une quête de pouvoir. Ou alors, il a juste oublié qu'il n’est pas seul dans cet espace public. Qui sait ?
Lisez notre article sur le mansplaining...
Bromley, L. (2017). Public Spaces, Private Bodies: Manspreading and the Regulation of Gendered Behavior in Public Transport. Urban Studies Journal, 54(10), 2345-2356.
Carney, D. R., Cuddy, A. J. C., & Yap, A. J. (2010). Power Posing: Brief Nonverbal Displays Affect Neuroendocrine Levels and Risk Tolerance. Psychological Science, 21(10), 1363-1368.
Sidanius, J., & Pratto, F. (1999). Social Dominance: An Intergroup Theory of Social Hierarchy and Oppression. Cambridge University Press.
Young, I. M. (1980). Throwing Like a Girl and Other Essays in Feminist Philosophy and Social Theory. Indiana University Press.