Tout le monde ment. Par politesse, pour se protéger, pour éviter un conflit. Mais parfois, le mensonge ne se limite plus à une stratégie occasionnelle. Il devient une seconde nature. Une manière de se sentir exister, de se faire aimer, d'échapper à une réalité trop brutale. Quand le mensonge n’est plus un outil, mais une identité, on parle de mythomanie. Qu’est-ce que la mythomanie ? Pourquoi certaines personnes inventent-elles des récits de toute pièce, même quand elles n’ont rien à y gagner ? Et surtout, que cherche-t-on à fuir à travers le mensonge compulsif ? Entre souffrance narcissique, blessure d’enfance et besoin d’amour, ce trouble psychologique soulève des questions profondes sur la construction du moi et les liens sociaux.
Le terme a été popularisé par le psychiatre Ernst Dupré au début du XXe siècle, qui parlait de « mensonge morbide » pour désigner une pathologie du moi. Il insistait sur le fait que ces personnes ne mentent pas seulement pour tromper les autres, mais souvent pour se raconter une autre vie, plus supportable.
La mythomanie peut s’inscrire dans différents tableaux cliniques :
Mais derrière ces mensonges, le gain n’est pas matériel : il est psychique.
Le mensonge devient alors un moyen de réparer symboliquement une image de soi abîmée.
« Je mens pour ne pas être celui ou celle que je ne supporte pas d’être. »
Dans cette logique, l’embellissement ou la fiction servent à soutenir un moi fragile, à se sentir valorisé, à attirer un regard bienveillant.
Comme le dit si justement Alberto Eiguer :
« Le sujet mythomane n’est pas simplement menteur. Il cherche, par la fiction, à tisser un lien qui compense le manque d’amour ou de reconnaissance. »
Le mensonge devient une tentative désespérée de susciter l’amour, de se faire remarquer, de retrouver une place dans le monde. Il y a souvent dans la mythomanie une dimension relationnelle très forte : sans l’autre, le récit ne prend pas sens.
Certaines personnes mythomanes ont vécu des traumas, des humiliations, ou des abandons précoces.
La fiction devient refuge, l’imaginaire supplée au réel défaillant.
Dans ce cas, le mensonge n’est pas manipulation, mais stratégie de survie psychique.
Cela interroge la porosité entre souvenir, imaginaire et construction identitaire. Le mythomane fabrique une réalité alternative, non pour détruire, mais pour exister autrement. Ce qui pose la question : à quel point avons-nous besoin de fiction pour tenir debout ?
Lorsqu’un enfant ne se sent pas accueilli dans son être profond, ou qu’il n’a pas la liberté d’exprimer ses émotions et ses besoins authentiques, il développe un moi “de façade” : ce faux-self permet d’être accepté, reconnu, aimé… mais au prix d’un renoncement à soi-même.
Dans cette perspective, le mensonge pathologique peut être lu comme une extension de ce faux-self, poussé à l’extrême.
Chaque mensonge devient une brique dans la construction d’un soi alternatif, censé répondre à ce que l’environnement – familial, social ou imaginaire – attend de lui.
Le problème, c’est que ce faux-self, à force d’être investi, devient parfois la seule interface avec le monde. Le sujet n’a plus d’accès à son être véritable, il se perd dans les rôles qu’il invente, et ses relations deviennent profondément faussées, asymétriques, voire toxiques, car basées sur une illusion.
Et le désir d’être aimé pour ce que l’on est devient prisonnier d’un paradoxe : on ne peut plus être aimé, car on ne se montre jamais vraiment.
Du côté de la psychanalyse groupale, le mensonge pathologique peut aussi s’envisager comme une tentative désespérée mais créative de restaurer un lien symbolique, là où les premiers liens – familiaux, affectifs, intersubjectifs – ont été marqués par la rupture, la discontinuité ou l’insécurité.
Le mythe personnel – ces histoires que le sujet invente, transforme, enjolive – n’est pas seulement un mensonge : c’est un récit qui cherche à réparer, à raccrocher le sujet à un ensemble, à une histoire partagée, à un groupe d’appartenance. Il peut prendre la forme d’un drame familial reconstruit, d’une destinée héroïque fictive, ou d’un traumatisme inventé pour justifier une souffrance réelle.
Dans ce cadre, le mensonge n’est pas tant une manipulation qu’un appel à l’inscription dans un tissu symbolique, un scénario groupal qui donne enfin un sens à l’existence.
Ce que le sujet cherche, à travers ses fictions, c’est un lieu où être entendu, reconnu, légitimé. Il s’agit d’être quelqu’un pour quelqu’un, même si cela implique d’être quelqu’un d’autre que soi. Le mensonge devient alors une suppléance relationnelle, une tentative – certes illusoire – de recréer du lien là où il a fait défaut.
Dans de nombreux cas, elle s’inscrit dans une configuration psychique plus vaste, et ne peut être comprise qu’en lien avec le fonctionnement global de la personnalité du sujet. Il ne s’agit donc pas uniquement de “mentir pour mentir”, mais souvent d’un symptôme révélateur d’une organisation plus profonde, qu’elle soit névrotique, limite ou psychotique.
Il ne s’agit pas ici de tromper pour nuire, mais de protéger un moi fragile et hypersensible à la critique. Les récits inventés servent à alimenter une façade de toute-puissance, à compenser des blessures narcissiques anciennes, souvent liées à un défaut de reconnaissance précoce.
Dans ce cas, le mensonge pathologique est moins un mécanisme de défense contre la réalité qu’un moyen de préserver une image de soi valorisée dans le regard de l’autre.
Le sujet peut changer de version selon son état émotionnel, ses besoins affectifs du moment ou ses peurs d’abandon.
Il ne s’agit pas nécessairement d’un mensonge intentionnel, mais d’un rapport flou à la réalité, où le fantasme, le désir et la mémoire se confondent.
Ici, le mensonge est un appel désespéré au lien, souvent dramatique ou victimisant, et ponctué de ruptures et de contradictions.
Ce n’est pas tant la véracité qui importe que l’effet produit sur l’autre.
L’embellissement ou l’invention de situations sert à garder l’attention de l’interlocuteur, et parfois même à éviter l’ennui ou l’abandon.
Le mensonge devient ici un outil de séduction inconscient, une manière d’exister dans le regard d’autrui à travers la mise en scène permanente de soi.
Le mensonge n’est alors plus refuge mais instrument de pouvoir, outil de domination ou de manipulation, utilisé pour troubler l’autre, inverser les rôles, ou se placer en position de contrôle.
Ici, le mensonge est froid, calculé, dissocié du lien affectif, et ne vise pas à fuir la souffrance mais à éviter l’altérité ou la perte de maîtrise.
Mais cette culpabilité ne suffit pas à enrayer la mécanique du mensonge. Elle coexiste avec une honte plus insidieuse, plus tenace : la honte de ne pas être "suffisant" tel quel, la honte d’avoir besoin de fiction pour être regardé, aimé, écouté.
Le mythe personnel devient alors à la fois protection et prison : il protège du rejet, mais enferme dans une identité construite, artificielle, instable.
Certains patients développent même des comportements d’évitement (fuites, ruptures soudaines, changement d’environnement) dès que leur récit vacille. Ils préfèrent disparaître plutôt que d’être confrontés à la chute de leur propre fiction.
Cette tension produit un épuisement émotionnel, une instabilité affective, et souvent un sentiment d’imposture ravageur : “Je ne suis pas celui qu’ils croient, et si je leur dis, je les perds”.
Le sujet vit alors dans une sorte de double contrainte permanente, coincé entre l’angoisse de perdre l’amour et la peur d’être aimé pour de faux.
Et surtout, une incapacité à se construire un sentiment d’identité stable, une narration de soi cohérente, authentique, durable.
Le sujet n’a pas d’espace pour “être” : il doit constamment “paraître”.
Certains patients avouent en séance qu’ils ne savent plus vraiment où est la frontière entre ce qu’ils ont vécu et ce qu’ils ont raconté. Leur histoire personnelle devient floue, fragmentée, envahie de fiction. C’est là que le travail thérapeutique prend tout son sens : aider à retrouver un récit intérieur fiable, incarné, vrai – même s’il est douloureux.
Réseaux sociaux, storytelling personnel, personal branding, mises en scène de la réussite ou du bonheur : tout pousse à embellir la réalité, à la scénariser, à l’exagérer. Dans ce contexte, la frontière entre authenticité et fiction devient floue, surtout pour les personnalités fragilisées, en quête d'identité stable ou de reconnaissance affective.
La mythomanie, jadis symptôme pathologique individuel, semble parfois devenir un mode d’adaptation collective, banalisée sous des formes séduisantes mais psychiquement coûteuses.
Ce que Winnicott appelait faux-self trouve aujourd’hui un écho collectif : une société où il faut “être quelqu’un”, “avoir une image forte”, “construire une marque personnelle”.
Mais à quel prix ?
Cette pression à la représentation peut, chez certains sujets vulnérables, réactiver des blessures narcissiques anciennes ou accentuer un sentiment d’insuffisance, conduisant à fabriquer un moi fictif pour rester dans la course, pour se sentir exister.
Il est devenu difficile de distinguer :
Dans cet écosystème flou, le sujet fragile n’a plus de boussole. Il peut glisser insidieusement vers une forme de mythomanie douce, d’abord ludique, puis structurante, jusqu’à se perdre dans un personnage trop bien huilé pour être vrai.
Dans un monde où chacun doit être remarquable, visible, aimé, performant… qui osera encore dire la vérité nue de son vécu intérieur ?
Le mensonge n’est alors plus une anomalie, mais une tentative d’adaptation extrême à une société qui valorise la mise en scène au détriment de l’être.
La mythomanie devient alors le symptôme collectif d’un désir effréné d’exister autrement, dans un monde où “ce que je suis” ne suffit jamais.
La mythomanie n’est pas une simple “manipulation”. C’est une stratégie de survie psychique, une tentative souvent désespérée de se sentir digne d’amour, d’intérêt, de présence.
Derrière les récits inventés, les diplômes fictifs, les exploits imaginaires, il y a souvent un enfant blessé, un adulte en quête de regard, un sujet qui n’a pas pu construire une image de soi suffisamment solide pour s’exposer au réel.
Accompagner un mythomane, c’est l’aider à retrouver une vérité intérieure, à oser être sans se cacher, à renoncer à la fiction pour se découvrir dans le réel — et y être, peut-être, enfin accueilli.
La mythomanie ne se réduit pas à mentir de temps en temps : elle se caractérise par des mensonges fréquents, compulsifs, parfois involontaires, et qui s’inscrivent dans une tentative de se valoriser, d’attirer l’attention ou de fuir une réalité douloureuse. Si vous avez l’impression de ne plus contrôler vos mensonges, d’en souffrir, ou de vous perdre dans des récits inventés, il est possible que vous soyez concerné(e). Une consultation avec un(e) psychologue ou un(e) psychiatre pourra vous aider à poser un diagnostic et à comprendre ce que vos mensonges cherchent à protéger ou à exprimer.
Le travail consiste à identifier les fonctions inconscientes du mensonge (protection, valorisation, appel à l’amour…), à renforcer l’estime de soi réelle, et à reconstruire une image de soi plus authentique. Avec le temps, la personne peut retrouver le goût de la vérité, apprendre à se montrer telle qu’elle est, et créer des liens sincères, libérés du poids de la fiction. Ce chemin est parfois long, mais il est profondément libérateur.
Ce type de mensonge automatique ou compulsif ne vise pas à tromper, mais plutôt à combler un vide, à se sentir exister, à attirer l’attention. Il s’agit d’un signal de souffrance psychique, pas d’un défaut moral. Une psychothérapie peut vous aider à mieux comprendre ce besoin de mentir, à vous reconnecter à votre histoire personnelle, et à apprendre à exister sans vous camoufler derrière des récits inventés.
Il est important de ne pas humilier, ni de chercher à démontrer systématiquement que la personne ment : cela renforce ses défenses. Essayez plutôt de lui offrir un espace de confiance, où elle peut parler sans peur du rejet. Encouragez-la à consulter un professionnel de la santé mentale, en soulignant que vous vous inquiétez pour elle, sans l’accuser. Rappelez-vous que la mythomanie est une souffrance déguisée, souvent née d’un besoin d’amour, de reconnaissance ou de réparation narcissique.
Dans certains cas, elle prend une forme chronique mais reste compatible avec une vie sociale, bien qu’elle fragilise les liens. Dans d’autres, elle devient invalidante, notamment si elle s’accompagne de souffrance, de repli ou de ruptures fréquentes. Dans tous les cas, il s’agit d’un trouble du lien à soi et aux autres, qui mérite d’être accompagné avec sérieux et bienveillance.