Qu'est-ce que la phobophobie ? Un cercle vicieux, celui de l'angoisse
21/4/2025

Phobophobie : le cercle vicieux de l’angoisse

Et si ce n’était pas le vide, ni la foule, ni les serpents que vous craigniez le plus… mais la peur elle-même ? Certaines personnes ne redoutent pas un danger extérieur, mais l’idée même d’avoir peur. Elles vivent dans un état de surveillance intérieure permanente, traquant la moindre sensation corporelle comme le signal d’un effondrement imminent. Le cœur s’accélère, les mains tremblent, la gorge se serre — et déjà la panique s’installe. Bienvenue dans le cercle vicieux de la phobophobie, cette peur de la peur qui emprisonne l'esprit dans l’anticipation constante d’un danger qui ne vient jamais, mais semble toujours prêt à surgir. Sous ses airs discrets, la phobophobie peut transformer le quotidien en terrain miné, nourrir les attaques de panique, et épuiser le sujet dans une lutte intérieure permanente. Pourtant, elle peut aussi devenir un puissant levier thérapeutique, lorsqu'on apprend à écouter ce que cette peur essaie réellement de dire.

Qu’est-ce que la phobophobie ?

Le mot peut surprendre, mais il est explicite : phobos (la peur) + phobos = la peur d’avoir peur.

La phobophobie désigne une crainte excessive, souvent obsessionnelle, de ressentir de l’anxiété ou de vivre une crise d’angoisse.

Le sujet développe alors une vigilance permanente vis-à-vis de ses propres sensations internes (accélération du cœur, vertiges, souffle court, bouffées de chaleur), qu’il interprète comme des signaux annonciateurs d’une catastrophe.

C’est un trouble autoalimenté :

  • J’ai peur d’avoir une crise →
  • Je surveille mes sensations →
  • L’hypervigilance déclenche une montée d’adrénaline →
  • Je commence à paniquer →
  • La peur s’installe →
  • Je redoute d’avoir à nouveau peur.

Ainsi s’enclenche un engrenage mental et corporel où la peur ne vient plus de l’extérieur, mais de soi-même.

Phobophobie ou trouble panique ?

La phobophobie est souvent confondue avec le trouble panique, et il est vrai qu’ils entretiennent des liens étroits.

Dans certains cas, la phobophobie précède, accompagne ou découle d’un trouble panique. Mais il existe une distinction essentielle, à la fois clinique et phénoménologique, entre les deux.

Le trouble panique se caractérise par des attaques de panique récurrentes, soudaines, d’intensité aiguë, souvent vécues comme incontrôlables et très effrayantes. Ces crises peuvent survenir de manière imprévisible, même au repos, et s’accompagnent fréquemment de symptômes tels que :

  • Palpitations cardiaques,
  • Sensation d’étouffement,
  • Sueurs, tremblements, vertiges,
  • Peur de devenir fou, de perdre le contrôle, ou de mourir.

La phobophobie, en revanche, n’est pas centrée sur la crise elle-même, mais sur la crainte anticipée de la revivre.

Elle se manifeste principalement entre les crises, dans les moments où le sujet n’a pas d’attaque mais craint d’en avoir une. Il adopte alors des comportements d’hypervigilance, d’évitement, et développe une anxiété de fond chronique, nourrie par l’idée d’une possible répétition de l’expérience traumatique.

La phobophobie, une peur sans objet extérieur

Là où la phobie classique cible un objet ou une situation identifiable (araignée, avion, foule), la phobophobie cible une expérience interne : celle d’être débordé par l’angoisse.

C’est une peur sans représentation claire, qui fait de l’émotion elle-même un danger.

Le sujet ne fuit pas un lieu, mais la possibilité d’un malaise. Il évite certains contextes non pas parce qu’ils sont intrinsèquement menaçants, mais parce qu’ils pourraient provoquer une montée d’angoisse. Il redoute davantage le fait d’avoir peur que l’objet de la peur lui-même.

Une analogie parlante : phobophobie et hypocondrie

On pourrait dire que la phobophobie est à l’anxiété ce que l’hypocondrie est à la maladie.

Dans les deux cas, il ne s’agit pas d’un mal objectivable au moment présent, mais d’un risque imaginaire, toujours anticipé, jamais réellement là, mais omniprésent dans la pensée du sujet.

  • L’hypocondriaque guette le symptôme corporel comme le signe d’une maladie grave à venir.
  • Le phobophobique guette la moindre variation de ses sensations comme le signe annonciateur d’une panique imminente.

Dans les deux cas, le trouble n’est pas dans le corps mais dans l’interprétation, et le rapport au futur devient source de souffrance, saturé de scénarios catastrophiques.

Une peur plus insidieuse, mais tout aussi invalidante

Ce qui rend la phobophobie particulièrement redoutable, c’est qu’elle ne donne aucun répit. Là où les attaques de panique sont souvent brèves (même si très intenses), la phobophobie s’installe dans la durée, dans le quotidien, comme une tension de fond constante.

Le sujet vit avec une épée de Damoclès invisible, toujours prêt à fuir, à contrôler, à se protéger… d’un danger intérieur qui ne se manifeste pas mais reste menaçant.

Cette forme d’angoisse diffuse mais tenace peut être tout aussi invalidante qu’un trouble panique, car elle alimente l’évitement, la restriction des activités, l’épuisement psychique, et parfois même une forme de désespoir silencieux : celui de ne jamais se sentir vraiment libre, ni totalement en sécurité.

La phobophobie ne se voit pas toujours. Elle agit en sourdine, à bas bruit, mais avec une efficacité redoutable. Les personnes qui en souffrent peuvent mener une vie en apparence « normale », tout en luttant chaque jour contre une peur invisible. Les symptômes sont subtils, souvent minimisés, mais extrêmement invalidants dans le quotidien.

Hypervigilance corporelle : quand le corps devient un ennemi

La personne phobophobique développe une attention exacerbée à ses sensations corporelles.

Elle surveille, analyse, interprète : le cœur qui s’accélère, la gorge qui se serre, une sensation de flottement ou de chaleur… Chaque manifestation somatique, même anodine, est vécue comme un signal d’alarme.

Ce n’est plus le monde extérieur qui fait peur, mais ce qui se passe à l’intérieur de soi.

L’hypervigilance déclenche elle-même une activation physiologique, qui est ensuite perçue comme dangereuse — créant ainsi un cercle vicieux autoalimenté. Cette tension constante épuise le système nerveux et entretient un état d’alerte quasi permanent.

Évitement des situations à risque : fuir la peur avant qu’elle n’arrive

Face à la peur d’avoir peur, le sujet adopte des stratégies d’évitement. Il évite les lieux, les activités ou les moments de la journée susceptibles de favoriser une montée d’angoisse.

Ce ne sont pas les situations elles-mêmes qui sont redoutées, mais ce qu’elles pourraient déclencher :

  • Prendre les transports en commun (et ne pas pouvoir s’échapper),
  • Aller chez le coiffeur (être coincé dans un fauteuil, exposé, vulnérable),
  • Parler en public (et perdre ses moyens),
  • Faire du sport (et ressentir des palpitations « suspectes »),
  • Boire du café ou de l’alcool (de peur de « perdre le contrôle »).

L’évitement devient une tentative de prévention de la crise… mais il réduit insidieusement le périmètre de liberté du sujet.

Pensées obsessionnelles anticipatoires : le cerveau en boucle

La personne phobophobique vit avec un flux continu de pensées anticipatoires anxieuses, qui surgissent même en l’absence de danger réel. Ces pensées, souvent intrusives, tournent autour des mêmes thèmes :

  • Et si je fais une crise en public ?
  • Et si je m’évanouis ?
  • Et si je perds la raison ?
  • Et si personne ne peut m’aider ?

Ces scénarios catastrophes alimentent l’anxiété, renforcent l’évitement, et créent un état de stress de fond particulièrement usant. Le sujet peut se retrouver incapable de se concentrer, de se détendre, ou d’envisager sereinement des projets simples du quotidien.

Isolement et repli sur soi : une vie sous cloche

À mesure que l’anxiété prend de la place, le sujet tend à réduire ses interactions sociales et ses activités. Il refuse des invitations, décline des opportunités, refuse les imprévus. Tout ce qui pourrait l’exposer à une crise est évité.

Ce repli, d’abord stratégique, devient progressivement existentiel. La personne s’enferme dans une routine sécurisante, mais aussi appauvrissante. Elle peut cesser de voyager, de sortir seule, de rencontrer de nouvelles personnes.

L’angoisse de l’angoisse finit par couper l’élan vital, enfermant le sujet dans un quotidien prévisible mais vide.

À long terme, ce retrait peut conduire à une forme de dysthymie, de dépression réactionnelle, ou d’altération de l’estime de soi. La vie devient un espace à contourner, plutôt qu’à habiter.

Une spirale auto-entretenue

La phobophobie est le prototype du cercle vicieux anxieux : la peur génère des symptômes, qui deviennent la cause d’une nouvelle peur.

On entre dans un mécanisme d’amplification émotionnelle, où chaque sensation est vécue comme dangereuse.

Ce n’est plus l’objet extérieur qui fait peur, mais la peur elle-même, comme un feu qui s’alimente tout seul.

Dans cette logique, le corps devient source d’alerte permanente. Il n’est plus un allié, mais un traître, un déclencheur possible d’effroi. Le sujet développe une forme d’intolérance à l’anxiété, et cherche désespérément à contrôler ses émotions, ce qui ne fait que les amplifier.

Ce que cache la phobophobie : une peur du débordement

Derrière la peur d’avoir peur, on retrouve souvent une angoisse plus primitive : celle de perdre le contrôle, de devenir fou, de s’effondrer, voire de mourir.

Ces angoisses archaïques peuvent avoir des racines anciennes :

  • Une enfance marquée par un climat d’insécurité ou d’imprévisibilité,
  • Des expériences traumatisantes non élaborées,
  • Une hypersensibilité émotionnelle non reconnue,
  • Un fonctionnement perfectionniste ou suradapté.

Dans tous les cas, le vécu intérieur de la peur devient insupportable, car il est vécu comme une menace pour l’intégrité du moi. D’où la tentative de tout surveiller, tout anticiper, tout éviter.

Lecture psychanalytique : le moi assiégé par l’angoisse

La phobophobie peut être pensée, d’un point de vue psychanalytique, comme une tentative de mise à distance d’un noyau d’angoisse irréductible.

L’angoisse de castration ou d’effondrement

La peur d’avoir peur peut être vue comme un signal d’une angoisse plus profonde, parfois pré-verbale, que le sujet ne parvient pas à symboliser.

Le danger n’est pas à l’extérieur : il est au-dedans, sous forme de pulsions, d’émotions, ou de désirs jugés incontrôlables.

Une défense contre l’angoisse de séparation ou de mort

Le sujet phobophobique tente de se défendre contre une perte d’unité du moi.

Il cherche, par le contrôle anxieux, à préserver une forme de cohérence interne, face à un réel vécu comme menaçant.

Dans cette perspective, la phobophobie témoigne d’un moi fragilisé, submergé par ses propres représentations internes, et qui externalise sa peur pour mieux la maîtriser… en vain.

Phobophobie et autres troubles anxieux associés

La phobophobie ne se manifeste que rarement seule.

Elle est souvent associée à d’autres troubles anxieux, notamment :

  • Le trouble panique, comme vu plus haut,
  • Le trouble d’anxiété généralisée (TAG),
  • Les phobies spécifiques (agoraphobie, phobie sociale…),
  • Le trouble obsessionnel compulsif (TOC),
  • Parfois même des états déréalisation/dépersonnalisation.

Elle peut également s’inscrire dans un terrain plus large de sensibilité anxieuse, avec une histoire personnelle marquée par des traumatismes psychiques, une fragilité du narcissisme, ou un manque d’étayage émotionnel précoce.

Comment sortir de la phobophobie ?

Bonne nouvelle : ce trouble, bien que envahissant, peut évoluer très favorablement avec un accompagnement adapté.

Plusieurs approches thérapeutiques ont montré leur efficacité.

Thérapie cognitivo-comportementale (TCC)

C’est l’approche la plus couramment utilisée. Elle propose :

  • Une restructuration des pensées catastrophiques,
  • Un travail d’exposition progressive à l’anxiété,
  • Des exercices de désensibilisation aux sensations corporelles (respiration, cœur, vertiges…),
  • Une réappropriation du corps comme espace sécurisé.

Thérapie psychodynamique / psychanalytique

Utile pour explorer les origines inconscientes de l’angoisse, les scénarios internes, les traumatismes enfouis, la construction du moi…

L’objectif est de symboliser l’angoisse pour qu’elle ne passe plus uniquement par le corps.

Hypnose, relaxation, sophrologie

Ces outils permettent de travailler la régulation émotionnelle, de réduire l’hypervigilance, et de reconnecter le sujet à des sensations corporelles positives.

Thérapie systémique ou familiale

Indiquée si le trouble s’inscrit dans une dynamique relationnelle figée, ou s’il est renforcé par des interactions anxiogènes dans l’environnement proche.

Quelques pistes d’auto-régulation

En parallèle d’une thérapie, certaines pratiques peuvent aider à apprivoiser la peur de l’angoisse :

  • Respiration diaphragmatique, en cas de montée anxieuse,
  • Journal de bord des peurs anticipées, pour objectiver les pensées,
  • Techniques de recentrage corporel (ancrage, cohérence cardiaque…),
  • Visualisation de situations anxiogènes en sécurité,
  • Méditation de pleine conscience, pour observer sans juger ses sensations.

Le but n’est pas de ne plus jamais avoir peur, mais de ne plus en avoir peur.

Conclusion : une peur qui mérite d’être écoutée

La phobophobie est un trouble discret, souvent mal compris, mais d’une grande violence intérieure.

Elle enferme le sujet dans un cercle vicieux de surveillance et d’anticipation, où la peur se nourrit d’elle-même et fait du corps un ennemi.

Mais derrière cette peur de la peur, il y a une détresse réelle, une tentative de rester debout malgré une angoisse qui déborde. C’est là que le travail thérapeutique peut faire la différence : aider à rétablir la confiance dans ses sensations, à réintégrer le corps comme allié, à vivre l’émotion sans la fuir.

La liberté retrouvée ne viendra pas de l’éradication de l’angoisse, mais de la capacité à l’accueillir sans panique, à la traverser, à la comprendre… pour enfin sortir du piège de la peur d’avoir peur.

Par Frédérique Korzine,
psychanalyste à Versailles
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Psychanalyse, hypnose, coaching, supervision et thérapies brèves.

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