Et si ce n’était pas le vide, ni la foule, ni les serpents que vous craigniez le plus… mais la peur elle-même ? Certaines personnes ne redoutent pas un danger extérieur, mais l’idée même d’avoir peur. Elles vivent dans un état de surveillance intérieure permanente, traquant la moindre sensation corporelle comme le signal d’un effondrement imminent. Le cœur s’accélère, les mains tremblent, la gorge se serre — et déjà la panique s’installe. Bienvenue dans le cercle vicieux de la phobophobie, cette peur de la peur qui emprisonne l'esprit dans l’anticipation constante d’un danger qui ne vient jamais, mais semble toujours prêt à surgir. Sous ses airs discrets, la phobophobie peut transformer le quotidien en terrain miné, nourrir les attaques de panique, et épuiser le sujet dans une lutte intérieure permanente. Pourtant, elle peut aussi devenir un puissant levier thérapeutique, lorsqu'on apprend à écouter ce que cette peur essaie réellement de dire.
Le sujet développe alors une vigilance permanente vis-à-vis de ses propres sensations internes (accélération du cœur, vertiges, souffle court, bouffées de chaleur), qu’il interprète comme des signaux annonciateurs d’une catastrophe.
Le trouble panique se caractérise par des attaques de panique récurrentes, soudaines, d’intensité aiguë, souvent vécues comme incontrôlables et très effrayantes. Ces crises peuvent survenir de manière imprévisible, même au repos, et s’accompagnent fréquemment de symptômes tels que :
Elle se manifeste principalement entre les crises, dans les moments où le sujet n’a pas d’attaque mais craint d’en avoir une. Il adopte alors des comportements d’hypervigilance, d’évitement, et développe une anxiété de fond chronique, nourrie par l’idée d’une possible répétition de l’expérience traumatique.
C’est une peur sans représentation claire, qui fait de l’émotion elle-même un danger.
Le sujet ne fuit pas un lieu, mais la possibilité d’un malaise. Il évite certains contextes non pas parce qu’ils sont intrinsèquement menaçants, mais parce qu’ils pourraient provoquer une montée d’angoisse. Il redoute davantage le fait d’avoir peur que l’objet de la peur lui-même.
Dans les deux cas, il ne s’agit pas d’un mal objectivable au moment présent, mais d’un risque imaginaire, toujours anticipé, jamais réellement là, mais omniprésent dans la pensée du sujet.
Le sujet vit avec une épée de Damoclès invisible, toujours prêt à fuir, à contrôler, à se protéger… d’un danger intérieur qui ne se manifeste pas mais reste menaçant.
Cette forme d’angoisse diffuse mais tenace peut être tout aussi invalidante qu’un trouble panique, car elle alimente l’évitement, la restriction des activités, l’épuisement psychique, et parfois même une forme de désespoir silencieux : celui de ne jamais se sentir vraiment libre, ni totalement en sécurité.
La phobophobie ne se voit pas toujours. Elle agit en sourdine, à bas bruit, mais avec une efficacité redoutable. Les personnes qui en souffrent peuvent mener une vie en apparence « normale », tout en luttant chaque jour contre une peur invisible. Les symptômes sont subtils, souvent minimisés, mais extrêmement invalidants dans le quotidien.
Elle surveille, analyse, interprète : le cœur qui s’accélère, la gorge qui se serre, une sensation de flottement ou de chaleur… Chaque manifestation somatique, même anodine, est vécue comme un signal d’alarme.
Ce n’est plus le monde extérieur qui fait peur, mais ce qui se passe à l’intérieur de soi.
L’hypervigilance déclenche elle-même une activation physiologique, qui est ensuite perçue comme dangereuse — créant ainsi un cercle vicieux autoalimenté. Cette tension constante épuise le système nerveux et entretient un état d’alerte quasi permanent.
Ce ne sont pas les situations elles-mêmes qui sont redoutées, mais ce qu’elles pourraient déclencher :
L’évitement devient une tentative de prévention de la crise… mais il réduit insidieusement le périmètre de liberté du sujet.
Ces scénarios catastrophes alimentent l’anxiété, renforcent l’évitement, et créent un état de stress de fond particulièrement usant. Le sujet peut se retrouver incapable de se concentrer, de se détendre, ou d’envisager sereinement des projets simples du quotidien.
À mesure que l’anxiété prend de la place, le sujet tend à réduire ses interactions sociales et ses activités. Il refuse des invitations, décline des opportunités, refuse les imprévus. Tout ce qui pourrait l’exposer à une crise est évité.
Ce repli, d’abord stratégique, devient progressivement existentiel. La personne s’enferme dans une routine sécurisante, mais aussi appauvrissante. Elle peut cesser de voyager, de sortir seule, de rencontrer de nouvelles personnes.
L’angoisse de l’angoisse finit par couper l’élan vital, enfermant le sujet dans un quotidien prévisible mais vide.
À long terme, ce retrait peut conduire à une forme de dysthymie, de dépression réactionnelle, ou d’altération de l’estime de soi. La vie devient un espace à contourner, plutôt qu’à habiter.
Ce n’est plus l’objet extérieur qui fait peur, mais la peur elle-même, comme un feu qui s’alimente tout seul.
Dans cette logique, le corps devient source d’alerte permanente. Il n’est plus un allié, mais un traître, un déclencheur possible d’effroi. Le sujet développe une forme d’intolérance à l’anxiété, et cherche désespérément à contrôler ses émotions, ce qui ne fait que les amplifier.
Dans tous les cas, le vécu intérieur de la peur devient insupportable, car il est vécu comme une menace pour l’intégrité du moi. D’où la tentative de tout surveiller, tout anticiper, tout éviter.
Le danger n’est pas à l’extérieur : il est au-dedans, sous forme de pulsions, d’émotions, ou de désirs jugés incontrôlables.
Il cherche, par le contrôle anxieux, à préserver une forme de cohérence interne, face à un réel vécu comme menaçant.
Dans cette perspective, la phobophobie témoigne d’un moi fragilisé, submergé par ses propres représentations internes, et qui externalise sa peur pour mieux la maîtriser… en vain.
Elle peut également s’inscrire dans un terrain plus large de sensibilité anxieuse, avec une histoire personnelle marquée par des traumatismes psychiques, une fragilité du narcissisme, ou un manque d’étayage émotionnel précoce.
L’objectif est de symboliser l’angoisse pour qu’elle ne passe plus uniquement par le corps.
Le but n’est pas de ne plus jamais avoir peur, mais de ne plus en avoir peur.
Mais derrière cette peur de la peur, il y a une détresse réelle, une tentative de rester debout malgré une angoisse qui déborde. C’est là que le travail thérapeutique peut faire la différence : aider à rétablir la confiance dans ses sensations, à réintégrer le corps comme allié, à vivre l’émotion sans la fuir.
La liberté retrouvée ne viendra pas de l’éradication de l’angoisse, mais de la capacité à l’accueillir sans panique, à la traverser, à la comprendre… pour enfin sortir du piège de la peur d’avoir peur.