L'arnaque des nouveaux pères, enquête sur une révolution manquée
14/9/2024

L'arnaque des nouveaux pères, une révolution manquée

Dans cette enquête percutante, Jourdain, Daudin et Grimée explorent la réalité derrière l'image du "nouveau père". Malgré les apparences d'un investissement accru des hommes dans la parentalité, la répartition des responsabilités reste inégale. Un regard critique sur une révolution parentale qui semble, en vérité, inachevée.

L’arnaque des nouveaux pères : Où est passée la révolution parentale ?

La figure du « nouveau père », cet homme moderne, impliqué et attentif aux besoins de ses enfants, a fait son apparition avec éclat ces dernières décennies.

Nous avons assisté à la montée de ce père qui donne le biberon, accompagne ses enfants à la crèche, et ne rate aucune réunion parent-professeur. Les magazines, les publicités et les réseaux sociaux se sont empressés de célébrer cette nouvelle ère où les pères ne sont plus seulement des soutiens financiers, mais des co-parents à part entière. Pourtant, à bien y regarder, cette révolution annoncée semble bien incomplète.

Que s’est-il passé ? Pourquoi, malgré ces nouvelles représentations, une grande majorité des responsabilités parentales continue de peser sur les femmes ? Explorons ensemble cette question complexe et souvent frustrante.

Les nouveaux pères existent-ils vraiment ?

La promesse du « nouveau père » a émergé au fil des années, au fur et à mesure que les revendications pour l’égalité des sexes ont pris de l’ampleur. Cette figure est venue redéfinir les attentes sociales concernant la parentalité, avec l’idée qu’un père pouvait être tout aussi investi que la mère dans l’éducation des enfants. Ce modèle était censé bouleverser les rapports familiaux traditionnels, en partageant équitablement la charge parentale entre les deux membres du couple.

Mais qu’en est-il vraiment ? Les chiffres actuels racontent une autre histoire.

En France, en 1986, les femmes assumaient 80 % des tâches liées à l’éducation des enfants. Aujourd’hui, ce chiffre n’a baissé que de neuf points, pour atteindre 71 %. Cela signifie que, malgré les discours encourageants sur la répartition des tâches, les femmes continuent de gérer une majorité écrasante des responsabilités domestiques et parentales.

Ce chiffre à lui seul nous interroge : la révolution parentale annoncée a-t-elle réellement eu lieu ou n’a-t-elle été qu’une illusion, une sorte de toile de fond réconfortante, derrière laquelle la réalité n’a que très peu changé ?

Pourquoi cette survalorisation des pères sur les réseaux sociaux ?

Si l’on écoute les témoignages ou que l’on observe la vie quotidienne des familles, il semble que cette évolution existe, mais qu’elle soit plus subtile, et bien moins spectaculaire que les réseaux sociaux voudraient nous le faire croire. Instagram, notamment, regorge de « super papas » qui mettent en scène leurs prouesses parentales : changer une couche, donner le bain, ou emmener les enfants au parc deviennent des moments dignes d’être partagés avec fierté et qui récoltent, sans surprise, de nombreux commentaires élogieux.

Mais pourquoi ces actions, aussi basiques qu’essentielles, provoquent-elles tant d’admiration lorsqu’elles sont accomplies par des pères ?

Ne devrions-nous pas les considérer comme des gestes ordinaires ? Après tout, ces mêmes gestes, effectués quotidiennement par les mères, ne sont pas souvent célébrés de la sorte. Ce qui révèle encore une inégalité fondamentale dans la perception des rôles parentaux.

Ce traitement différencié, cette survalorisation de l’implication des pères, pointe vers un problème plus profond : même si les pères s’investissent davantage, cet investissement est perçu comme exceptionnel, alors qu’il devrait être la norme. Cela montre bien que la révolution parentale est encore loin d’être achevée.

La charge mentale : pourquoi reste-t-elle majoritairement féminine ?

Le terme « charge mentale » a fait son entrée dans le discours public ces dernières années, permettant de nommer un phénomène que beaucoup de femmes vivent sans pouvoir toujours le formuler. Il s'agit de cette responsabilité invisible qui consiste à penser, à organiser, à anticiper les besoins du foyer : savoir qu’il n’y a plus de lait dans le frigo, prévoir les vêtements des enfants pour la rentrée, ou planifier les rendez-vous médicaux.

Bien que de plus en plus de pères modernes s’impliquent dans les tâches domestiques, cette charge mentale reste largement supportée par les mères. Même dans les foyers où les tâches sont réparties de manière relativement équitable, la gestion de la logistique familiale revient encore majoritairement aux femmes. Ce phénomène souligne une autre forme de déséquilibre, plus subtile et moins visible, mais non moins épuisante.

Pourquoi est-ce le cas ? Pourquoi, malgré la montée en puissance des « nouveaux pères », cette charge mentale se conjugue-t-elle toujours au féminin ?

La réponse se trouve probablement dans la persistance des stéréotypes de genre, qui continuent d’associer la femme au rôle de gestionnaire du foyer, même lorsqu’elle travaille à temps plein. Tant que ces attentes resteront en place, il sera difficile de voir un véritable partage des responsabilités parentales.

Pourquoi la révolution est-elle si lente ?

Le rythme auquel évoluent les mentalités et les pratiques familiales est étonnamment lent.

Si l’on observe les politiques publiques, on peut se réjouir de certaines avancées, comme l’allongement du congé paternité en France, passé à 28 jours en 2021. Mais en réalité, cette mesure reste bien en deçà de ce qu’il faudrait pour permettre aux pères de véritablement s’investir dès la naissance de leur enfant. Dans les pays nordiques, par exemple, les pères peuvent bénéficier de congés beaucoup plus longs, ce qui permet une réelle répartition des tâches parentales.

Le retard pris par certaines sociétés, dont la France, peut s'expliquer par plusieurs facteurs. Il y a d’abord les freins culturels : la société continue de valoriser le modèle de l’homme pourvoyeur, celui qui met sa carrière en priorité, tandis que la femme jongle entre travail et vie domestique. Ensuite, il y a des résistances structurelles : dans de nombreuses entreprises, un homme qui demande un congé paternité prolongé ou qui réduit son temps de travail pour s’occuper de ses enfants peut voir sa carrière en pâtir.

Ces deux dimensions, culturelle et structurelle, se rejoignent et se nourrissent mutuellement, empêchant une révolution parentale véritable. Pour l’heure, les modèles familiaux restent largement ancrés dans des schémas traditionnels, même si la surface semble évoluer.

Est-ce que cette révolution est réellement possible ?

Nous voici face à une question capitale : est-il seulement possible d’atteindre un monde où les responsabilités parentales sont véritablement partagées entre hommes et femmes ? Si l’on observe les évolutions actuelles, il est difficile de ne pas être frappé par la lenteur des progrès. Bien sûr, certaines familles parviennent à instaurer une répartition équitable, mais elles restent l’exception plus que la norme.

Le chemin vers une égalité réelle semble encore long et semé d’embûches.

Entre la persistance des stéréotypes de genre, la pression sociale exercée sur les pères pour qu’ils priorisent leur carrière, et la surcharge invisible que supportent les mères, la révolution tant attendue semble plus fragile qu’on ne l’avait espéré. Peut-être finira-t-elle par arriver, mais il est probable qu’elle prendra encore plusieurs générations avant de se concrétiser pleinement.

Pour l'instant, la parentalité reste un terrain inégal, où les attentes sociales pèsent encore fortement sur les épaules des femmes, malgré les progrès apparents. Il reste à espérer que ces petites avancées finiront par se transformer en un véritable changement de fond, mais cela nécessitera des efforts soutenus et un véritable bouleversement des mentalités.

En attendant, la question reste ouverte : combien de temps faudra-t-il pour que le « nouveau père » devienne la norme, et non plus une simple exception ?

Lisez d’urgence L'Arnaque des nouveaux pères : Enquête sur une révolution manquée de Stéphane Jourdain, Guillaume Daudin et Antoine Grimée.

Cette bande dessinée-reportage, aussi pertinente qu'instructive, vous plonge au cœur de la réalité cachée derrière l’image idyllique des « nouveaux pères ».

Alors que la société célèbre ces hommes soi-disant plus investis dans la parentalité, les auteurs révèlent, chiffres et témoignages à l'appui, que la répartition des tâches parentales reste largement déséquilibrée.

Dans un style incisif, les auteurs interrogent les failles d’une révolution annoncée mais qui n’a pas encore porté ses fruits, tout en explorant avec finesse les blocages sociaux et culturels qui freinent une véritable égalité parentale. Un ouvrage à lire pour mieux comprendre les enjeux contemporains de la parentalité et du partage des responsabilités familiales, et surtout pour décoder les illusions souvent véhiculées dans les représentations modernes du père.

Un indispensable pour quiconque s'intéresse à la sociologie de la famille, aux inégalités de genre, ou à la manière dont les rôles parentaux sont (ou ne sont pas) en train d'évoluer.

Par Frédérique Korzine,
psychanalyste à Versailles
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