« J’ai la flemme de travailler. » « J’ai la flemme de faire la vaisselle. » « J’ai la flemme d’aller voir Mamie. » Qui n’a jamais prononcé ces phrases, je vous le demande ? Que celui qui n’a jamais été atteint par une bonne vieille flemme me jette la première pierre. Ce sentiment, aussi insidieux qu’universel, s’invite dans nos vies à n’importe quel moment. Mais pourquoi donc sommes-nous parfois incapables de nous lever du canapé, alors que nous savons pertinemment qu’il faudrait agir ?
Ce phénomène, loin d’être anecdotique, intrigue les chercheurs en psychologie qui tentent d’en comprendre les ressorts et les mécanismes. Mais d’où vient cette flemme, au juste ? Est-elle un défaut moral, un signe de faiblesse ? Ou bien cache-t-elle quelque chose de plus profond ? Et surtout, pourquoi diable est-elle si difficile à combattre ? Spoiler alert : il n’y aura pas de solution miracle dans cet article. Ici, on est là pour s’interroger ensemble, pour décrypter ce mystère fascinant qu’est la « flemmingite aigüe ». Prenez place, on va plonger dans cet océan de mollesse avec un regard aussi curieux qu’amusé.
Et ouip ! Procrastiner, c'est l'art de tout remettre à demain avec une élégance rare. Vous vous reconnaissez ? La procrastination, c’est un peu la cousine plus sournoise de la flemme. Là où la flemme vous empêche d’agir immédiatement, la procrastination, elle, vous fait miroiter que « demain, c’est mieux ».
Que dis-je, demain sera le jour parfait pour accomplir tout ce que vous n’avez pas fait aujourd’hui !
Selon Pychyl (2013), la procrastination est le fait de différer volontairement une action, malgré la certitude que cela aura des conséquences négatives. Dit autrement, c’est choisir consciemment de s’enfoncer dans le canapé tout en sachant pertinemment que cela vous coûtera cher plus tard. Ce comportement, à la limite du masochisme, est pourtant extrêmement courant. À tel point que 15 à 20 % des adultes en souffriraient régulièrement. Pourquoi ? Parce que, comme la flemme, la procrastination est liée à nos émotions et à notre perception de la tâche à accomplir (Laval, 2007).
Elle est souvent la réponse à des émotions négatives : peur de l’échec, angoisse de ne pas être à la hauteur, ou encore perfectionnisme (Cottin, 2018). Remettre à plus tard, c’est un peu comme éviter l’inévitable, se donner un sursis face à une tâche qui nous terrifie ou nous déprime.
Et quand on procrastine assez longtemps, que se passe-t-il ? On se retrouve, la veille d’un examen, à pleurer devant ses notes jamais relues. Ou, pire, à essayer de rattraper un projet professionnel en quelques heures à peine, avec en fond sonore la douce mélodie de l’anxiété qui monte. Vous voyez le tableau ?
Vous seriez alors une machine de productivité, accomplissant vos tâches sans jamais céder à cette sensation désagréable de mollesse. Mais la réalité est plus cruelle. Pourquoi donc la motivation, cette force que l’on tente désespérément de cultiver, est-elle si souvent vaincue par la flemme ?
En fait, notre cerveau est particulièrement doué pour choisir la solution de facilité. Faire défiler ses réseaux sociaux ou regarder un énième épisode d’une série nous apporte une satisfaction immédiate, là où accomplir une tâche importante demande un effort prolongé, souvent sans récompense instantanée.
Selon la théorie de l’autodétermination (Deci & Ryan, 2000), la motivation dépend de plusieurs facteurs : la compétence (le sentiment d’être capable de réaliser une tâche), l’autonomie (le fait de choisir de faire cette tâche), et la connexion sociale (le lien avec les autres à travers cette tâche). Si l’un de ces ingrédients manque, la motivation en prend un coup. Par exemple, si une tâche est perçue comme imposée, inutile, ou trop difficile, notre cerveau déclenche l’alerte « flemme ». Parce qu’après tout, pourquoi faire un effort pour quelque chose qui ne nous apporte ni plaisir ni satisfaction ?
Trop vouloir en faire, c’est parfois comme vouloir boire à une fontaine à incendie : ça déborde. On finit par se sentir dépassé, et là, surprise, la flemme s’installe.
La surmotivation, c’est un peu comme un moteur qui tourne à plein régime sans jamais prendre de pause. À force de pousser toujours plus, on finit par s’épuiser. Cela peut conduire au burn-out, un état d’épuisement total qui nous paralyse (Schaufeli & Enzmann, 2003). Et dans cet état, même les tâches les plus simples, comme répondre à un e-mail, peuvent sembler insurmontables. À long terme, cette surcharge de motivation, paradoxalement, nous prive de notre capacité à avancer. Trop en vouloir, c’est parfois ne plus savoir par où commencer, et cela se termine souvent par… vous l’avez deviné, la flemme.
Après tout, elle nous évite parfois de foncer tête baissée dans des projets absurdes ou d’accumuler des responsabilités inutiles. D’ailleurs, certains psychologues affirment que la flemme, tout comme la procrastination, peut être une forme d’autorégulation. « La procrastination peut parfois être une stratégie d’adaptation pour éviter des émotions négatives », explique la psychologue Mary Lamia (2011). Autrement dit, votre flemme pourrait bien être votre cerveau qui vous protège de l’épuisement ou de la surcharge.
Peut-être que la tâche à accomplir n’est pas en phase avec vos valeurs ou vos désirs. Ou peut-être que vous avez simplement besoin de repos, de relâcher la pression. Dans un monde où l’on valorise tellement la productivité et le « toujours plus », la flemme peut être une manière de ralentir, de retrouver un équilibre (Lemoine, 2016).
Alors non, la flemme n’est pas toujours votre ennemie. Il arrive même qu’elle ait quelques leçons à nous enseigner. Après tout, si vous ressentez de la flemme face à une activité que vous aimez habituellement, c’est peut-être le signe que vous avez besoin d’un peu de variété dans votre routine.
On pourrait penser que la flemme se réserve uniquement pour les corvées, mais non. Même pour des activités agréables comme sortir entre amis, cuisiner ou pratiquer un loisir, il arrive que la flemme pointe le bout de son nez. Pourquoi ?
Quand on fait quelque chose de manière répétée, même si on l’adore, notre cerveau finit par se lasser. C’est ce que les économistes appellent la loi de la diminution marginale du plaisir : plus vous faites une activité, moins elle vous procure de satisfaction avec le temps. Un peu comme manger une tablette entière de chocolat. Au début, c’est délicieux, mais à la fin, vous en avez marre.
Ensuite, il y a la question de la routine. Le cerveau humain adore la nouveauté. Même si vous adorez lire, cuisiner ou pratiquer un sport, si cela devient trop répétitif, il est tout à fait naturel de ressentir une sorte de lassitude, une flemme déguisée. On finit par se dire : « Je le ferai plus tard. »
La flemme est aussi vieille que l’humanité elle-même, et elle traverse toutes les cultures, tous les âges, et tous les milieux. Peu importe où vous allez dans le monde, vous trouverez des gens qui procrastinent, qui remettent tout à demain ou qui se retrouvent paralysés par la flemme.
Les raisons varient d’une culture à l’autre, mais la flemme elle-même est universelle. Dans certaines sociétés, la flemme est vue comme un manque de discipline, un péché capital. Dans d’autres, elle est perçue comme une pause nécessaire, une manière d’écouter son corps et son esprit.
Plutôt que de la combattre à tout prix, peut-être devrions-nous l’écouter, la comprendre. La flemme a ses raisons que la motivation ignore. Alors, que vous soyez en train de procrastiner, de remettre vos projets à plus tard, ou tout simplement de prendre un moment pour vous, sachez que vous n’êtes pas seul. La flemme, après tout, fait partie de la condition humaine (Rouquette, 2015)
Prenez 5 minutes pour vous confronter à la tâche que vous remettez sans cesse à plus tard. Installez-vous face à votre travail, que ce soit un projet professionnel, des études ou une tâche ménagère. Pendant ces 5 minutes, ne vous autorisez aucune distraction : pas de téléphone, pas d'écran supplémentaire, pas de pause café.
L'idée est simple : vous vous engagez seulement à rester présent devant la tâche. Si, au bout des 5 minutes, vous n'avez toujours pas commencé à travailler, alors prenez une décision radicale : décidez de reporter cette tâche... d'un mois entier !