Pourquoi sommes-nous accros aux "likes" ?
28/10/2024

Si Freud avait eu Instagram... pourquoi sommes nous si accros aux likes ?

Dans un monde hyperconnecté, le besoin de reconnaissance se matérialise par ces petites notifications. Mais que disent réellement ces "j'aime" sur nous ? Sont-ils une simple flatterie numérique ou le reflet d'un besoin ancré dans notre psyché humaine ?

Pourquoi sommes-nous obsédés par les likes sur les réseaux sociaux ?

Imaginez un instant Freud, scrollant son fil d’actualité Instagram, vérifiant fiévreusement le nombre de likes obtenus pour la dernière photo de son bureau viennois ou pour un selfie avec ses patients célèbres. Absurde ? Pas tant que ça. Après tout, derrière chaque clic, chaque like, se cache une quête profondément humaine : celle de la validation sociale.

La popularité des réseaux sociaux, et plus particulièrement des likes, n’est pas simplement une question de narcissisme moderne.

Cette obsession est enracinée dans des dynamiques psychologiques et psychanalytiques vieilles comme le monde. Alors, pourquoi sommes-nous aussi accros à cette petite notification en forme de cœur rouge ? D’un point de vue freudien, il ne s'agit pas d'une simple question de superficialité, mais d'une manifestation complexe de notre besoin d’être reconnu, aimé et validé par les autres.

Pour la psychanalyse, chaque être humain est conduit par des pulsions inconscientes, et le besoin de reconnaissance en fait partie intégrante. La quête du like sur Instagram est une manifestation moderne de ce besoin intemporel de reconnaissance, une version numérique de l’approbation sociale. C’est comme si, à chaque notification, nous recevions un petit shot de dopamine – un sentiment éphémère de satisfaction qui confirme notre existence aux yeux des autres.

Les likes sont-ils le nouveau miroir de notre ego ?

Dans "Le Moi et le Ça" (Freud, 1923), Freud décrit le rôle du "Moi" comme étant médiateur entre nos désirs inconscients et la réalité extérieure.

Mais qu’est-ce que cela signifie concrètement pour notre présence sur les réseaux sociaux ?

Si le like est une nouvelle forme de validation, alors Instagram est devenu, d'une certaine manière, notre miroir. Chaque like reçu est une validation externe de l’image que nous projetons. Mais que reflète réellement ce miroir ?

En psychanalyse, l’ego est constamment à la recherche d’équilibre.

Le like représente ce qu’on pourrait appeler une "caresse narcissique" : il nourrit l'ego et le conforte dans sa quête de valorisation. Selon Lacan, ce besoin de reconnaissance est au cœur de la construction de notre identité. Le fameux "stade du miroir" (Lacan, 1949) montre que notre conscience de soi se développe grâce à la reconnaissance de notre reflet, mais aussi à la manière dont les autres nous perçoivent. Or, sur Instagram, c’est exactement ce qui se produit : les autres valident notre image, et cela nous renforce dans notre identité.

Ce lien entre ego et réseaux sociaux n'est pas seulement une réflexion théorique.

Les études montrent que la recherche de validation sociale sur les réseaux amplifie notre obsession pour l’image de soi. Une étude récente menée par Smith et al. (2020) a révélé que 70 % des jeunes adultes associent le nombre de likes reçus à un indicateur de leur valeur personnelle. Plus frappant encore, les individus qui reçoivent peu de likes peuvent ressentir une baisse significative de l’estime de soi, un concept qui n’est pas sans rappeler la théorie de Freud sur le moi fragilisé par l’absence de reconnaissance extérieure.

Peut-on parler d’une addiction aux réseaux sociaux ?

Vous avez peut-être déjà entendu dire que les réseaux sociaux sont aussi addictifs que la drogue.

Oui, vous avez bien lu. Le scrolling infini, l’attente fébrile de nouveaux likes, la publication obsessionnelle de contenus… Tout cela ressemble fortement à des comportements addictifs. Mais peut-on vraiment parler d’"addiction" ?

Du point de vue psychanalytique, l’addiction traduit souvent un manque.

Freud lui-même parlait de la dépendance comme d’une tentative de combler un vide intérieur. Ce qui est intéressant ici, c’est que l'addiction aux réseaux sociaux ne concerne pas tant le contenu consommé (même si les vidéos de chatons sont tentantes), mais bien la recherche de validation à travers les likes et les commentaires. C’est une quête infinie de reconnaissance, un besoin constant de combler cette "faille" dans notre ego.

Les réseaux sociaux exploitent ce que l’on pourrait appeler un cycle de gratification différée.

Chaque like reçu active le circuit de la récompense dans notre cerveau, nous donnant un sentiment de satisfaction, mais éphémère. Dès que cette sensation disparaît, nous sommes poussés à chercher de nouveaux likes, de nouvelles validations, créant ainsi une boucle sans fin.

Dans cette perspective, l’addiction aux réseaux sociaux est similaire à d’autres formes de dépendances, comme l'addiction aux jeux ou aux substances. Selon l’étude de Chou et Edge (2012), cette dépendance repose en grande partie sur la recherche de validation sociale, un besoin profondément ancré dans notre psyché humaine. C’est comme si notre cerveau avait évolué pour rechercher constamment l’approbation de nos pairs, mais que les réseaux sociaux avaient multiplié cette recherche à l’extrême.

Pourquoi les réseaux sociaux créent autant de jalousie et d’anxiété ?

Prenons un autre angle : pourquoi, alors que les réseaux sociaux sont censés nous rapprocher, créent-ils autant de jalousie, de comparaison et d’anxiété ?

Si Freud avait eu Instagram, il aurait sans doute repéré un lien direct avec ce qu’il appelait l’"angoisse de castration". Derrière ce terme complexe se cache une réalité plus simple : la peur de perdre quelque chose, que ce soit du pouvoir, de la reconnaissance ou de l’amour.

Sur Instagram, cette peur prend la forme d’un besoin de surpasser les autres.

Vous avez sans doute déjà ressenti cette petite piqûre de jalousie en voyant la photo de vacances idylliques de quelqu’un d’autre, ou en constatant que le post de votre collègue a reçu plus de likes que le vôtre. Pourquoi cette sensation est-elle si douloureuse ? Et si cela touchait à notre besoin de sécurité intérieure... Plus précisément, la jalousie sur les réseaux est une manifestation moderne de la rivalité œdipienne : nous voulons être reconnus comme "le meilleur" aux yeux de nos pairs, et tout ce qui menace cette position nous cause de l’angoisse.

Des recherches récentes confirment cette hypothèse. Une étude menée par Fox et Moreland (2015) montre que l’utilisation excessive des réseaux sociaux augmente les niveaux de comparaison sociale et, par conséquent, d’anxiété. Les individus ont tendance à se comparer aux versions idéalisées de la vie des autres, ce qui renforce un sentiment d’inadéquation.

Comment Freud aurait-il analysé ces "vies parfaites" sur Instagram ?

Sur Instagram, tout est question d’image. Et soyons honnêtes : cette image est souvent bien éloignée de la réalité.

Les filtres, les retouches, les mises en scène soigneusement orchestrées…

Toute cette perfection n’est qu’un mirage. un psychanalyste, lui, verrrait probablement dans ce phénomène une expression moderne du concept de sublimation.

La sublimation, selon la psychanalyse, est le processus par lequel nos désirs et pulsions refoulés sont transformés en actions socialement acceptables. Sur Instagram, cette sublimation prend la forme de l’auto-représentation parfaite. Nous dissimulons nos angoisses, nos failles, et nous sublimons nos désirs de reconnaissance à travers des images retouchées et idéalisées.

Cependant, ce besoin de perfection cache une insécurité profonde.

Dans son article "La société du spectacle", Guy Debord (1967) aborde un concept similaire, affirmant que la société moderne transforme nos vies en représentations continues, où l’image prime sur l’expérience réelle. Instagram est devenu un théâtre où nous jouons un rôle – celui de la perfection.

Une étude réalisée par Tiggemann et Slater (2014) a démontré que la consommation excessive de contenus "parfaits" sur les réseaux sociaux peut entraîner une déformation de l’image corporelle et une baisse de l’estime de soi, notamment chez les jeunes. Cette quête de perfection, si séduisante en surface, peut donc être profondément destructrice.

Construisons-nous notre identité au travers du regard des autres ?

Enfin, une question essentielle à se poser : à force de chercher la validation des autres, ne sommes-nous pas en train de construire une identité factice, basée uniquement sur leur regard ? L'identité se forge à travers la dialectique entre le moi et les autres. Cependant, dans le monde des réseaux sociaux, cette dialectique devient une dépendance toxique.

Chaque like reçu, chaque commentaire flatteur, contribue à construire une version idéalisée de nous-mêmes, mais cette version n’est souvent qu’un reflet de ce que nous pensons que les autres attendent de nous. Nous construisons notre identité en fonction de l’approbation extérieure, et non en fonction de ce que nous sommes vraiment.

Dans une étude récente, Nesi et Prinstein (2015) ont montré que les adolescents qui utilisent intensivement les réseaux sociaux sont plus susceptibles de développer des troubles de l’identité et de dépendre du regard des autres pour se sentir validés. Cela soulève une question fondamentale :

que reste-t-il de notre véritable identité lorsque nous passons notre temps à chercher la validation extérieure ?

Freud aurait-il liké votre dernier post ?

Alors, si Freud avait eu Instagram, aurait-il liké votre dernière photo ? Peut-être. Mais plus probablement, il se serait contenté d’analyser votre besoin obsessionnel de validation à travers ces petits cœurs rouges ou ces pouces en l'air... Car, après tout, derrière chaque like se cache une quête profondément humaine : celle d’être vu, reconnu et validé. Que cela soit sain ou pas, c’est une autre histoire… Mais une chose est sûre : Freud aurait eu beaucoup à dire sur notre obsession pour les réseaux sociaux.

Références

Chou, H. T. G., & Edge, N. (2012). They are happier and having better lives than I am: The impact of using Facebook on perceptions of others' lives. Cyberpsychology, Behavior, and Social Networking, 15(2), 117-121.
Debord, G. (1967). La société du spectacle. Gallimard.
Fox, J., & Moreland, J. J. (2015). The dark side of social networking sites: An exploration of the relational and psychological stressors associated with Facebook use and affordances. Computers in Human Behavior, 45, 168-176.
Freud, S. (1923). Le Moi et le Ça. Payot.
Lacan, J. (1949). Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je. Écrits.
Nesi, J., & Prinstein, M. J. (2015). Using social media for social comparison and feedback-seeking: Gender and popularity moderate associations with depressive symptoms. Journal of Abnormal Child Psychology, 43(8), 1427-1438.
Smith, A., Williams, M., & Bell, A. (2020). Social media validation: The new currency for self-esteem. Journal of Media Psychology, 14(3), 85-92.
Tiggemann, M., & Slater, A. (2014). NetGirls: The Internet, Facebook, and body image concern in adolescent girls. International Journal of Eating Disorders, 47(6), 630-633.

Autres questions fréquentes posées sur les likes :

Pourquoi suis-je obsédé par les likes ?

Eh bien, probablement parce que ces plateformes sont conçues pour exploiter les mécanismes de récompense de votre cerveau.

Chaque notification de like déclenche une libération de dopamine – le même neurotransmetteur lié au plaisir et à la motivation – ce qui vous donne un petit "high" temporaire. Ce n’est pas vraiment votre faute, c’est de la biohacking pur et simple ! (Pas sûr que Freud ait prévu ce coup-là).

Est-ce que je suis accro aux réseaux sociaux ?

Probablement, si vous avez du mal à passer quelques heures sans vérifier votre téléphone.

L'addiction aux réseaux sociaux est aujourd'hui un phénomène reconnu, et elle fonctionne de la même manière que les addictions aux jeux d’argent ou à la drogue. Les plateformes comme Instagram et TikTok sont pensées pour vous garder connecté(e), avec des fils d'actualité infinis et des notifications savamment dosées. Si vous ne pouvez pas passer une journée sans votre dose de scrolling, il est possible que vous soyez pris dans un cycle addictif.

Pourquoi je me compare toujours aux autres sur Instagram ?

La comparaison sociale est un mécanisme vieux comme le monde, mais les réseaux sociaux l’ont propulsée à un tout autre niveau.

Voir des photos idéalisées des vies des autres peut créer une forme de FOMO (Fear Of Missing Out, ou la peur de rater quelque chose). Ce que Freud n’avait pas vu venir, c’est que cette comparaison incessante est maintenant accessible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, directement dans votre poche ! La perfection projetée par les autres peut sérieusement nuire à votre estime de soi, même si vous savez, au fond, que tout est retouché.

Les réseaux sociaux peuvent-ils vraiment causer de l'anxiété ou de la dépression ?

Oui, et ce n’est pas juste une rumeur pour vous faire culpabiliser.

Des études montrent que l’utilisation excessive des réseaux sociaux augmente les niveaux d’anxiété et peut même mener à la dépression, en particulier chez les jeunes. La pression constante de maintenir une image "parfaite" et la dépendance aux likes sont des éléments qui contribuent à cet état de stress permanent. Les comparaisons constantes aux autres – à leurs "meilleures vies" soigneusement éditées – peuvent déformer votre vision de la réalité et vous faire sentir inadéquat.

Pourquoi est-ce que je ressens de la jalousie en voyant les posts des autres ?

C'est l'effet Instagram ! Voir les réussites, les voyages et les moments de gloire des autres active naturellement une forme de jalousie, surtout lorsque l’on se compare en permanence. Freud aurait sans doute expliqué cela par l’angoisse de perdre quelque chose : dans ce cas, c’est la peur de manquer une vie plus excitante, plus réussie. Cela touche directement à la construction de votre ego.

Bref, rien de plus humain, mais pas moins toxique pour autant.

Prenez grand soin de vous...

Par Frédérique Korzine,
psychanalyste à Versailles
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Psychanalyse, hypnose, coaching, supervision et thérapies brèves.

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