Le concept de perversion narcissique a fait l’objet de nombreuses études en psychanalyse et en psychopathologie. Les travaux d’Alberto Eiguer, expert dans l’analyse des liens pervers, ont contribué à mettre en lumière la complexité de ces relations destructrices. Les pervers narcissiques (PN) sont des individus qui manipulent, dénigrent et exploitent autrui pour satisfaire leurs besoins narcissiques tout-puissants. Voyons cela de plus près...
Bien que les caractéristiques du pervers aient été longuement discutées, il est tout aussi essentiel d’examiner le profil de la victime de ces individus. Qui sont les personnes qui tombent sous l'emprise du pervers ? Quelles vulnérabilités exploitent-ils et comment la victime se retrouve-t-elle piégée dans cette relation toxique ? En nous appuyant sur les travaux de chercheurs comme Alberto Eiguer et des cas cliniques documentés, explorons le profil psychologique et les dynamiques relationnelles des victimes du pervers narcissique.
Selon Eiguer, ces personnes ont souvent une fragilité émotionnelle ou psychologique, résultant de blessures profondes telles que des deuils non résolus, des abandons, ou des traumatismes anciens. Les pervers narcissiques repèrent ces vulnérabilités et s'en servent pour établir une relation asymétrique, dans laquelle la victime est progressivement dépouillée de son estime de soi (Eiguer, 2005).
En effet, Eiguer (2011) évoque l’hypothèse que les pervers narcissiques tendent à choisir des victimes qui traversent une période de fragilité, comme la perte d'un proche ou une séparation. Ces périodes de vulnérabilité affaiblissent les défenses psychiques de la personne, qui se trouve dans une quête de réassurance et de soutien. Le pervers narcissique se présente alors comme un sauveur, tissant un lien d’apparence protecteur pour ensuite l’exploiter à des fins destructrices. La victime, en quête de réconfort, est rapidement captivée par la bienveillance apparente de l’agresseur, jusqu'à devenir dépendante de lui.
Cette faible estime d'elles-mêmes découle souvent de blessures narcissiques antérieures, que ce soit dans leur enfance ou dans d’autres relations interpersonnelles (Eiguer, 2005). Les victimes se perçoivent comme étant insuffisantes ou indignes d'amour, ce qui les rend particulièrement susceptibles d'accepter les critiques et les manipulations du pervers. Ces personnes sont souvent dépendantes du regard et de l’approbation des autres, car elles n'ont pas réussi à construire un narcissisme sain. Le pervers s'engouffre dans cette brèche pour instaurer un contrôle psychologique total, dénigrant systématiquement la victime tout en lui donnant de rares moments de réassurance, créant ainsi une dépendance émotionnelle.
Le pervers amène sa victime à se remettre constamment en question, à se culpabiliser et à s’effacer. Comme le souligne Eiguer (2015), le pervers narcissique utilise une rhétorique subtile pour renverser la situation :
Ce renversement des rôles, souvent marqué par des phrases culpabilisantes telles que « avec tout ce que j’ai fait pour toi, tu ne vas pas te révolter maintenant », renforce l’emprise et perpétue le cycle de la soumission.
Cet isolement est essentiel à la manipulation, car il permet à l’agresseur de renforcer son contrôle sans que la victime ne puisse trouver de soutien ou de contrepoids extérieur (Salomonsson, 2017). Les victimes, déjà fragiles émotionnellement, se retrouvent piégées dans un cercle vicieux où elles perdent progressivement leurs repères. L'isolement joue un rôle capital dans la dépendance psychologique : la victime, coupée de ses proches, ne peut plus avoir de miroir social pour évaluer la réalité de la situation qu'elle vit.
Cet isolement est souvent accompagné d'une confusion mentale qui s’installe progressivement. Les victimes rapportent ne plus savoir ce qui est vrai ou faux, leur perception de la réalité étant systématiquement déformée par l’agresseur. Cette confusion est maintenue par des discours contradictoires et manipulateurs, où le pervers alterne entre compliments et dévalorisations, provoquant chez la victime une incapacité à analyser correctement la situation. Le « gaslighting » ou « éclairage au gaz », qui consiste à manipuler la perception de la réalité, est une tactique souvent employée par les pervers narcissiques pour désorienter la victime et lui faire douter de ses propres pensées (Stern, 2018).
La victime, qui a souvent été isolée de son entourage, redoute les conséquences d'une séparation, notamment la réactivation de sa mésestime de soi. Comme le note Eiguer (2005), quitter le pervers narcissique revient pour la victime à affronter l'angoisse de la solitude, de l’abandon, et à re-questionner son propre jugement.
Ce mécanisme est un des ressorts principaux du lien pervers. Le pervers narcissique instaure un climat de terreur tout en ménageant des périodes de réassurance où il fait mine d'accorder de l’attention ou de l’affection à la victime. Ces moments d’apaisement, bien que temporaires, maintiennent la victime dans l’illusion qu’une amélioration est possible, et qu’elle doit rester dans la relation pour obtenir cette reconnaissance tant espérée. Cette dynamique perverse renforce la confusion de la victime, qui oscille entre espoir et désespoir, incapacité à rompre le lien et persistance dans une relation qui la détruit.
Il est bien documenté que ces personnes développent souvent des somatisations, c'est-à-dire des symptômes physiques directement liés à leur souffrance psychologique. Les recherches d'Eiguer (2011) mettent en lumière que les victimes des liens pervers présentent fréquemment des troubles auto-immuns, des allergies, des ulcères gastriques, et des infections inexpliquées. Le stress permanent engendré par la manipulation narcissique et les abus psychologiques affaiblit le système immunitaire de la victime, la rendant plus vulnérable aux maladies (Eiguer, 2015).
Certaines victimes vont jusqu’à développer des maladies graves, comme des maladies auto-immunes, où leur corps semble se retourner contre elles, de la même manière que leur psychisme se trouve envahi par l’agresseur (Levine, 2018). Les douleurs physiques deviennent ainsi le signal d’une emprise insupportable, mais elles sont souvent mal interprétées par les médecins, qui ne parviennent pas toujours à faire le lien entre les troubles physiques et les abus psychologiques.
Dans un cadre thérapeutique, la victime peut progressivement déconstruire le lien pervers, en prenant conscience des mécanismes de manipulation et en retrouvant la parole. Le rôle du psychothérapeute est ici fondamental : il s'agit d'aider la victime à redonner sens à ses expériences, à se reconnecter à sa propre subjectivité, et à renforcer son estime de soi.
Le processus de séparation est souvent long et douloureux, car la victime doit apprendre à reconstruire son identité, à affirmer ses besoins, et à retrouver la confiance en elle-même. Comme le souligne Eiguer (2015), il est essentiel que la victime puisse verbaliser ses ressentis et être entendue dans un cadre sécurisant. La psychothérapie permet à la victime de sortir de l'isolement, de retrouver une relation saine avec son environnement et de développer des mécanismes de défense plus adaptés.
Les conséquences psychiques et physiques de ces relations sont graves, allant jusqu’à des somatisations invalidantes. Toutefois, il est possible de se libérer de cette emprise avec le soutien adéquat. La psychothérapie, notamment groupale et familiale, offre un espace pour déconstruire la manipulation, restaurer l’estime de soi et retrouver une autonomie psychique. Cette exploration du profil de la victime met en lumière la nécessité d'une prise en charge empathique et globale pour permettre à ces personnes de sortir du cycle destructeur des liens pervers.
Ces qualités sont perçues par le narcissique comme des faiblesses exploitables, car ces personnes sont plus susceptibles de se remettre en question et de faire des efforts pour maintenir la relation, même lorsque celle-ci devient toxique. En outre, les victimes peuvent être dans une période de vulnérabilité émotionnelle (deuil, rupture, ou autre crise personnelle), ce qui les rend plus susceptibles de se laisser manipuler.
Une des principales raisons est le conditionnement émotionnel : le pervers narcissique alterne entre des comportements d’affection et de maltraitance, ce qui crée une confusion et un attachement toxique. La victime espère souvent revenir à la phase "idéale" du début de la relation, où l’agresseur semblait aimant et attentionné. En outre, la culpabilité et la honte sont fréquemment utilisées par les pervers narcissiques pour maintenir le contrôle, faisant croire à la victime qu’elle est responsable de la situation ou qu’elle mérite le traitement qu’elle subit.
Dans certains cas, un narcissique peut entrer en thérapie, mais cela ne garantit pas une transformation durable. Souvent, ils utilisent la psychothérapie pour manipuler encore davantage leur entourage ou pour justifier leurs comportements. Cependant, dans de rares cas, avec un travail thérapeutique intensif et un réel désir de changement, certaines améliorations peuvent être observées.
Il est essentiel de retrouver ses repères, souvent en renouant avec des proches ou des activités qui apportent un sentiment de bien-être et de valeur personnelle. Travailler avec un psychothérapeute peut être très bénéfique pour surmonter les effets psychologiques de la manipulation, comme la perte de confiance en soi et l’anxiété. La thérapie cognitive-comportementale (TCC) est souvent recommandée pour aider à changer les schémas de pensée négatifs créés par la relation.
Ils sont souvent utilisés comme des outils de manipulation dans les conflits entre le narcissique et l'autre parent. En grandissant dans un environnement où l'un des parents exerce une domination et une critique constante, ces enfants peuvent développer des problèmes d'estime de soi, d'anxiété, ou même reproduire des comportements narcissiques à l’âge adulte. Il est essentiel de veiller à ce que les enfants puissent accéder à un soutien émotionnel, que ce soit par le biais d’un autre parent, de la famille élargie ou de thérapeutes.
Vous pourriez ressentir une confusion persistante ou un doute constant sur vos propres perceptions et émotions, causé par le "gaslighting", une forme de manipulation qui vous fait douter de la réalité. Il est aussi possible que vous vous sentiez isolé(e) de vos proches, car le pervers narcissique cherche à contrôler votre environnement en limitant vos contacts avec des amis ou des membres de votre famille. Les critiques constantes et le dénigrement font également partie des tactiques utilisées pour affaiblir votre confiance en vous, tout en alternant avec des moments de compliments pour maintenir un sentiment de dépendance émotionnelle.
La relation alterne entre des phases d'idéalisation, où le narcissique vous couvre d'attention, et des phases de dévalorisation, où il vous fait sentir inférieur(e). Cela crée un attachement toxique, car vous espérez constamment retrouver les moments "positifs". De plus, le pervers narcissique s’assure souvent que vous soyez isolé(e) de votre entourage, ce qui rend la séparation encore plus angoissante. Vous pouvez craindre de rester seul(e) ou de ne pas être compris(e) par ceux qui n’ont pas vécu la même chose.
Sur le plan physique, les victimes peuvent développer des somatisations, comme des maux de tête chroniques, des douleurs musculaires, des troubles digestifs ou des problèmes de sommeil. Ces manifestations physiques sont la réponse du corps à un stress émotionnel intense, qui n’a pas pu être exprimé ou reconnu. La perte de confiance en soi et des difficultés à faire confiance aux autres sont également des effets communs après avoir subi ce type d’abus.
Il peut être difficile d’admettre que quelqu’un que vous aimiez vous a fait du mal, mais c’est une étape essentielle pour avancer. Chercher du soutien auprès d’un psychothérapeute, d’amis proches ou de groupes d’entraide est primordial pour ne pas se sentir isolé(e). Établir des limites claires avec l’agresseur est aussi fondamental, en particulier s’il est encore présent dans votre vie. Enfin, il est crucial de vous concentrer sur vous-même : redécouvrez des activités qui vous apportent du bien-être, prenez soin de votre santé mentale et physique, et travaillez à reconstruire votre estime de vous. Chaque petit pas vers la récupération est un grand pas vers la liberté.
Eiguer, A. (2005). Le pervers narcissique et son complice. Dunod.
Eiguer, A. (2011). Le couple pervers narcissique. Éditions In Press.
Eiguer, A. (2015). La famille en désarroi : psychanalyse des liens incestueux. Dunod.
Levine, P. A. (2018). In an Unspoken Voice: How the Body Releases Trauma and Restores Goodness. North Atlantic Books.
Salomonsson, B. (2017). Psychoanalytic work with children and parents: A clinical handbook. Routledge.
Stern, R. M. (2018). The Gaslight Effect: How to Spot and Survive the Hidden Manipulation Others Use to Control Your Life. Morgan Road Books.