Schopenhauer résume la vie en une oscillation implacable : de la souffrance, née du désir insatisfait, à l’ennui, fruit d’une satisfaction qui déçoit. Ce constat, à la fois brutal et fascinant, interroge notre quête du bonheur : sommes-nous voués à poursuivre des illusions, ou peut-on apprivoiser ce balancier inexorable ? La question reste ouverte.
Arthur Schopenhauer, ce grand pessimiste, disait de la vie qu’elle oscille perpétuellement entre souffrance et ennui. Une sentence qui, à première vue, semble désespérante n'est-pas ? Et pourtant, n’est-ce pas une vérité que nous expérimentons tous, chaque jour ? Ce balancier entre manque et satiété, entre le désir et sa disparition, est au cœur de notre condition humaine.
Mais faut-il y voir une malédiction ? Ou simplement une invitation à mieux comprendre ce que nous sommes, et peut-être, à mieux vivre malgré tout ? Examinons cette idée avec un regard lucide mais non sans espérance.
Toute volonté, toute aspiration naît d’un vide, d’un besoin, d’une absence.
Prenons un exemple simple : la faim. Quand le corps a besoin de nourriture, ce manque se traduit immédiatement en douleur : le ventre crie, l’esprit s’agite. Cela semble trivial, et pourtant, c’est universel. C’est la condition de tout être vivant. Et que dire des besoins affectifs ou spirituels ? "Je l’aime, mais il-elle ne m’aime pas" : ce manque, qui n’est pas physique, n’en est pas moins douloureux.
Schopenhauer nous pousse ici à regarder la souffrance en face. Elle est là, inhérente à la vie. Peut-on vraiment espérer la supprimer ? Non, sans doute. Mais en comprendre la mécanique nous permet de mieux l’accepter.
C’est l’ironie cruelle de notre condition : dès que le manque disparaît, le vide s’installe. Et ce vide, cette absence de tension, n’est pas la paix. C’est l’ennui, ce mal insidieux qui nous ronge lorsque plus rien ne nous pousse, lorsque plus rien ne nous anime.
Imaginez ceci : "J’ai enfin ce que je voulais. J’ai réussi, j’ai obtenu. Et maintenant ? Rien. Ni joie durable, ni satisfaction pleine. Je m’emmerde." Ce n’est pas le malheur, mais ce n’est pas non plus le bonheur. C’est le creux entre deux désirs, le moment où le pendule s’arrête avant de repartir.
Schopenhauer n’a pas tort : cet ennui est universel. Il est le revers de nos conquêtes.
Pourquoi ? Parce que nous ne savons pas vivre sans désirer. Le bonheur, s’il existe, ne peut être qu’un instant fragile, un passage fugace entre souffrance et ennui.
La vie oscille entre ces deux pôles. C’est un fait. Mais faut-il s’en désespérer ?
Mais entre ces deux extrêmes, il y a des moments de joie, des instants de grâce. Ce sont des éclats fugaces, et pourtant ils suffisent à donner un sens à l’existence.
Prenons une perspective plus large : souffrir, c’est espérer. Si je souffre, c’est que je désire quelque chose, que je crois encore au possible. Et si je m’ennuie, c’est peut-être parce que j’ai la chance de ne manquer de rien. Il y a une forme de gratitude à trouver dans cette oscillation, non pas pour nier la souffrance ou l’ennui, mais pour reconnaître que ces états sont le prix à payer pour les moments d’émerveillement.
Ce serait illusoire. Elle réside dans cette invitation à accepter la réalité pour ce qu’elle est. "Aimons la vie telle qu’elle est, non telle que nous la rêvons."
Il n’est pas un état stable, mais un mouvement, une tension entre deux pôles. Le bonheur, c’est peut-être cette capacité à aimer ce mouvement, à trouver du sens dans l’effort, dans le désir, et même parfois dans l’ennui. Après tout, l’ennui, c’est aussi le luxe de pouvoir s’arrêter, de contempler, de respirer.
Une conquête qui ne peut se vivre qu’en acceptant les limites de notre condition. Et si, entre souffrance et ennui, il y a ces instants de grâce – un rire, un regard, une beauté aperçue – alors la vie ne vaut-elle pas d’être vécue ?