Toute vérité est-elle vraiment bonne à dire ?
3/10/2024

Moral, amoral, immoral, bien, mal, bon, mauvais… Toute vérité est-elle bonne à dire ?

Entre vérité, mensonge et liberté d'expression, la frontière est parfois ténue. La vérité est-elle toujours un bien ? Le mensonge peut-il parfois sauver ?

Qu'est-ce que la moralité, au fond ?

Ce concept semble évident, mais, dès qu'on tente de l'appréhender, il se révèle aussi insaisissable qu’une ombre dans la nuit. Vous êtes là, cher lecteur, peut-être confortablement installé dans votre fauteuil, et vous vous interrogez : « Qu'est-ce que la moralité, au fond ? ». Une question simple, mais dont la réponse s’étend dans un abîme de complexité.

La moralité pourrait être définie comme un ensemble de règles et de valeurs nous permettant de juger ce qui est bien ou mal. Mais attention, ces règles ne sont pas universelles ! Elles varient selon les époques, les cultures, et même les individus. Ce qui est moral pour vous peut être immoral pour votre voisin. Ce qui est perçu comme un bien dans une société peut être jugé autrement dans une autre.

Comme le souligne Laurent Bibard (2021), « la moralité est essentiellement un processus d'adaptation aux autres, mais aussi à soi-même, face aux situations de la vie quotidienne ». Cela signifie que la moralité n'est pas figée, elle évolue selon les circonstances. Elle devient un guide qui nous aide à naviguer à travers les relations sociales et les dilemmes personnels. Mais parfois, cette boussole semble tourner dans tous les sens, surtout lorsque l'on se trouve confronté à des situations ambiguës où le bien et le mal se confondent.

L'amoralité, un concept troublant ?

Et si la moralité n'était pas toujours présente ?

C'est là qu'intervient un concept plus rare, mais tout aussi fascinant : l'amoralité.

Si la moralité s'intéresse à ce qui est bien ou mal, l'amoralité, elle, s'en désintéresse complètement. Imaginez une personne qui agit sans même considérer si ce qu'elle fait est bon ou mauvais. Elle n'est ni moralement bonne ni mauvaise, elle est simplement… indifférente à la morale.

Prenons l'exemple d'un enfant qui détruit une fourmilière sans réfléchir. Il n'est ni cruel ni bienveillant ; il est amoral. Mais dans un monde où chaque action est scrutée, jugée, peut-on réellement être amoral ? Comme le souligne Jean-Michel Besnier (2019), « dans une société où le regard des autres pèse si lourdement sur nos épaules, peut-on réellement vivre en dehors de toute considération morale ? ». Difficile à imaginer, n’est-ce pas ? Dans notre société saturée de jugements moraux, l’amoralité semble davantage relever du théorique que du réel.

Si l’amoralité est rare, l’immoralité, en revanche, est omniprésente dans nos esprits.

Nous avons tous une idée précise de ce qu’est une transgression, de ce qui constitue un acte immoral.

Qu'est-ce que l'immoralité ?

Contrairement à l'amoralité, l’immoralité est la transgression consciente des règles morales.

Vous savez que c'est mal, mais vous choisissez de le faire quand même. Il y a dans cet acte une part de rébellion, un défi lancé à la société et à ses normes. Que ce soit mentir, tricher, tromper ou voler, ces actions représentent l'immoralité sous sa forme la plus reconnaissable.

Cependant, l’immoralité n’est pas toujours spectaculaire. Parfois, elle se cache dans les petites choses du quotidien, là où le bien et le mal semblent se confondre. Par exemple, un petit mensonge pour éviter de blesser quelqu'un est-il immoral ? Vous savez que mentir est mal, mais vous le faites tout de même, pensant que c’est la meilleure solution. Est-ce immoral, ou est-ce simplement une nécessité ?

Ce type de dilemme nous amène à une question plus profonde : la vérité elle-même, qui est souvent vue comme un bien moral supérieur, peut-elle parfois devenir immorale ? Et surtout, toute vérité est-elle toujours bonne à dire ?

Toute vérité est-elle bonne à dire ?

Nous voilà confrontés à une question aussi vieille que la philosophie elle-même : est-il toujours bon de dire la vérité ?

Depuis notre enfance, on nous a inculqué l’idée que la vérité est un absolu, un bien indiscutable. Mais qu’en est-il lorsque cette vérité, au lieu d’apporter réconfort et justice, provoque la souffrance, la violence… voire la mort ?

Prenons le cas de Socrate, ce héros tragique de la philosophie, condamné pour avoir dit la vérité.

Dans la Grèce antique, il arpentait les rues d’Athènes, interrogeant les citoyens, dévoilant les failles dans leurs certitudes, les forçant à regarder en face des vérités qu’ils préféraient ignorer. Mais Socrate, en brandissant sa vérité comme une arme, a aussi signé son arrêt de mort. Accusé de corrompre la jeunesse et d’introduire de nouveaux dieux, il a été jugé et condamné à boire la ciguë. Et jusqu’au dernier moment, il a refusé de se dédire.

Socrate a choisi de mourir pour la vérité.

Imaginez un instant la scène : cet homme, assis parmi ses disciples, une coupe empoisonnée à la main, face à une mort certaine, mais fidèle à son idéal.

La vérité était-elle encore un bien, alors qu’elle le conduisait à l’abîme ?

Socrate est l'incarnation même de cette tension insupportable entre le bien de la vérité et le mal qu’elle peut causer. Pour lui, il était préférable de mourir que de renoncer à cette quête. Mais à quel prix ?

Comme le disait Michel Foucault, « dire la vérité est un risque » (2009, p. 15). Un risque colossal, parfois insoutenable. Socrate a pris ce risque, mais qui, de nos jours, serait prêt à en faire autant ? La vérité, cette flamme que l’on brandit fièrement, peut aussi brûler, détruire, consumer tout sur son passage. Est-ce moral de dire la vérité lorsqu’elle blesse si profondément qu’elle en devient insupportable ?

Et pourtant, nous ne parlons pas ici d’un passé lointain, d’une époque antique.

Non, cette question nous hante encore aujourd’hui. Des hommes et des femmes continuent de mourir pour avoir osé dire ce qu’ils croyaient être juste. La vérité, dans toute sa splendeur, dans toute sa violence, continue de réclamer des sacrifices.

Samuel Paty et les victimes de Charlie Hebdo : Quand dire la vérité mène à la mort

Il existe des vérités qui coûtent la vie.

Des vérités que l'on exprime avec courage, mais qui, une fois révélées, deviennent insupportables pour certains. En France, ces vérités ont entraîné des drames qui résonnent encore aujourd'hui. Samuel Paty, professeur d’histoire, et les journalistes de Charlie Hebdo sont morts pour avoir tenu, montré et défendu une vérité qu'ils considéraient essentielle : la liberté d'expression. Pourtant, cette liberté peut parfois conduire à des actes d’une violence extrême.

Samuel Paty, en enseignant la liberté de penser à ses élèves, a montré des caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo. Il voulait, par ce geste pédagogique, exposer ses élèves à la diversité d’opinions, à l’importance du débat, même sur des sujets sensibles. Mais ce qui devait être un simple exercice de réflexion est devenu un point de non-retour. Samuel Paty a été assassiné pour avoir montré ces images. Ce qui, dans une classe, était une tentative de susciter la discussion est devenu l’origine d’une tragédie personnelle.

Les victimes de Charlie Hebdo, quant à elles, représentaient une autre forme de prise de parole.

Ces dessinateurs et journalistes faisaient de la satire, une arme pour critiquer, questionner, et secouer les certitudes. Mais leur engagement à exprimer ce qu'ils croyaient être une vérité satirique a suscité une réponse violente. Le 7 janvier 2015, douze personnes ont été abattues dans les locaux du journal pour avoir osé dessiner.

Ces événements tragiques posent une question importante : la vérité est-elle toujours un bien, lorsqu'elle conduit à la mort ? Ces hommes et ces femmes, à l'instar de Socrate, ont été confrontés à la même tension insoutenable entre le besoin de dire ce qui est juste et les conséquences de cette parole. Comme Socrate, qui a choisi de mourir pour ne pas renier ses principes, Samuel Paty et les journalistes de Charlie Hebdo ont été pris dans une dynamique où dire était en soi un acte périlleux. Mais ici, la vérité ne s’est pas manifestée sous la forme d’un dialogue, mais sous celle d’un affrontement fatal.

Leurs décès posent un défi moral : que signifie dire la vérité dans un monde où elle peut devenir un acte risqué ?

Si dire la vérité est un acte de courage, ces vies sacrifiées montrent que ce courage peut mener à des conséquences irréversibles. Peut-on considérer que cette vérité, si nécessaire à la liberté d'expression, valait le prix de ces vies ? La question reste suspendue, lourde, sans réponse simple.

La vérité peut-elle être immorale ?

Dans ce contexte, la vérité peut-elle devenir immorale ? Cette question, aussi déstabilisante soit-elle, mérite d’être posée.

Vladimir Jankélévitch, dans Le mensonge (1981), nous met en garde : « La vérité ne peut pas être toujours bonne à dire, car toute vérité n'est pas charitable. Il faut parfois savoir se taire, et le silence est alors une forme d’amour ». Certaines vérités, bien qu’elles soient justes, peuvent causer plus de mal que de bien. Alors, est-il toujours moral de dire la vérité ?

Prenons un exemple simple : si vous savez qu'une vérité va profondément blesser quelqu'un que vous aimez, est-il moral de lui dire cette vérité ? Ou bien est-il plus juste de l'épargner, de lui mentir pour préserver sa tranquillité ?

C'est ici qu'intervient une réflexion fascinante proposée par Giorgio Nardone, qui distingue entre mensonges fonctionnels et mensonges dysfonctionnels.

Mensonges fonctionnels et dysfonctionnels : une autre manière de penser la vérité ?

Oscar Wilde, dans sa manière provocante et subtile, affirmait que le mensonge était le fondement des relations humaines. En effet, il voyait dans le mensonge non pas une trahison, mais une forme d’art et un outil social nécessaire. Ce point de vue, qui peut sembler cynique, trouve aujourd'hui un écho dans de nombreuses études scientifiques. Ces recherches révèlent que plus de 50 % de la communication humaine implique des formes de mensonge, qu’il s’agisse de petites exagérations, de mensonges par omission ou de fausses vérités.

Le mensonge, dans ce cadre, apparaît comme un véritable « jeu linguistique », un outil subtil et omniprésent, utilisé consciemment ou non, pour naviguer dans les interactions sociales.

Il permet souvent d’éviter les conflits, de préserver l’image de soi ou des autres, ou simplement de rendre la vie en société plus fluide.

Giorgio Nardone (2016), dans son ouvrage L’art de mentir à soi-même et aux autres, nous aide à mieux comprendre la complexité de la question du mensonge.

Selon lui, certains mensonges, dits fonctionnels, peuvent être utilisés pour protéger autrui, éviter des souffrances inutiles, ou maintenir un équilibre émotionnel. À l’inverse, les mensonges dysfonctionnels créent davantage de problèmes qu’ils n’en résolvent. Tout mensonge n’est donc pas mauvais, tout comme toute vérité n’est pas toujours bonne.

Imaginez un parent qui ment à son enfant pour le rassurer avant une procédure médicale difficile.

Ce mensonge a une fonction protectrice, il est là pour adoucir une réalité que l’enfant n’est pas prêt à affronter. Voici un mensonge fonctionnel, qui, bien que trompeur, relève davantage de l’amour que de la manipulation. Nardone (2016) explique que « certains mensonges permettent d’adoucir la réalité lorsque la vérité brute serait insupportable ».

À l'inverse, un mensonge dysfonctionnel, motivé par la peur ou l’égoïsme, peut mener à des conséquences désastreuses. Un mensonge sur une infidélité, par exemple, peut sembler protéger la relation à court terme, mais il finit par l'éroder, conduisant à la rupture.

Bon, ici, vous pourriez effectivement m'opposer qu'une vérité sur une infidélité aussi, peut conduire à la rutpure...

Où se situe la moralité dans tout cela ?

Nous sommes donc confrontés à une moralité nuancée, où vérité et mensonge ne sont plus des opposés absolus.

La vérité peut être immorale, tout comme un mensonge peut, dans certaines circonstances, être la solution la plus morale. Cela dépend du contexte, des conséquences, et des personnes impliquées.

Foucault nous parle du courage de la vérité, mais ce courage doit être exercé avec discernement. Nardone nous rappelle que le mensonge, utilisé à bon escient, peut être une forme de bienveillance. Tout est question de jugement. Il ne s'agit pas de mentir systématiquement, ni de dire la vérité aveuglément, mais de savoir naviguer dans cette zone grise avec intelligence et sensibilité.

Vers une moralité nuancée ?

En définitive, cet article nous conduit à une conclusion déstabilisante mais nécessaire : toute vérité n'est pas toujours bonne à dire, et tout mensonge n'est pas toujours mauvais. La moralité n'est pas un concept figé. Elle est un chemin sinueux, où chaque situation appelle un jugement particulier.

Que ce soit dans le cas tragique de Samuel Paty et des victimes de Charlie Hebdo, ou dans les exemples du quotidien, il apparaît clairement que la vérité et le mensonge sont des outils délicats, à manier avec prudence. La vérité peut être un acte de courage, mais elle peut aussi être destructrice. Le mensonge peut être une protection, mais il peut aussi être la source de souffrances futures.

Ainsi, la moralité réside peut-être dans l'équilibre entre vérité et mensonge, dans la capacité à discerner, à chaque instant, ce qui est juste et bon, pour soi comme pour les autres.

Par Frédérique Korzine,
psychanalyste à Versailles
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