Le Mouvement #4B, Lysistrata et pouvoir de l'Absence... Dans le climat tendu qui a suivi les élections américaines, certains mots et idées ont surgi avec force, portés par un désir de redéfinir les rapports de pouvoir et de solidarité. Parmi eux, le mouvement #4B s’impose en filigrane, presque imperceptible mais résolu. Il s’inspire librement de la pièce Lysistrata d’Aristophane, une œuvre antique où la résistance féminine prend la forme d’un retrait, d’une absence pleine de sens, qui vient interroger l’ordre établi. En explorant le #4B et son écho à Lysistrata, on découvre une manière singulière de contester sans crier, de s’affirmer sans confrontation directe.
Émergeant en Corée en 2019, il s’est intensifié en 2024, à un moment où l’élection de Donald Trump cristallise les attentes et les résistances de manière éclatante. Ce mouvement, constitué de quatre mots d’ordre – Boycott, Basta, Block et Break – est une réponse qui se situe ailleurs que dans le discours direct, un déplacement qui prend forme dans un retrait délibéré, une absence qui questionne l’ordre établi.
Le #4B movement incarne un désir qui ne s’aligne plus sur celui de l’Autre, un désir qui se retire de cette matrice du regard social, économique, et politique imposé aux femmes. Il est le lieu d’une rupture avec l’injonction de s’engager, de collaborer, de remplir une fonction dans un système qui attend l’adhésion. Que signifie donc ce retrait volontaire, sinon une revendication d’un désir purgé de l’empreinte de l’Autre ? C’est là que réside toute la puissance du #4B : dans son choix d’opposer le vide à l’injonction, de laisser un espace inoccupé là où l’Autre espérait une présence.
Il ne répond plus au désir de l’Autre, au désir imposé de consommation, de participation, de reproduction des normes. Ce mouvement est né d’un "non" fondamental, un "non" qui se dérobe aux attentes, qui laisse en suspens la demande de l’Autre, en refusant le rôle qu’on lui assigne. Dans ce choix de retrait, ce refus de la coopération, le sujet féminin du #4B découvre une forme de désir qui s’appartient, une autonomie qui s’affirme dans le refus de se prêter à la structure symbolique imposée.
Ce désir qui ne veut plus être celui de l’Autre est un désir qui refuse la capture, qui se retire pour exister autrement, hors des normes sociales et économiques qui le gouvernaient jusque-là. Ainsi, le #4B nous propose non pas un désir d’opposition directe, mais un désir qui s’affirme dans le choix de se soustraire à ce qui est attendu, laissant ainsi entrevoir une nouvelle façon d’être au monde.
Il y a 2 400 ans, dans la comédie grecque d’Aristophane, Lysistrata rassemble les femmes d’Athènes et de Sparte pour les convaincre de se retirer des relations intimes avec leurs maris, dans un acte de grève destiné à mettre fin à la guerre. Là encore, il s’agit d’un retrait, d’un refus de participer au désir de l’Autre, en l’occurrence celui des hommes qui maintiennent le conflit. En s’abstenant, les femmes de Lysistrata montrent la puissance du vide : ce que l’on retire devient en lui-même un acte qui déstabilise le pouvoir.
Le mouvement #4B, tout comme Lysistrata, n’a pas besoin de confrontation directe pour ébranler l’ordre social. Il se situe dans le même esprit de retrait stratégique, où l’absence devient une présence imposante, un manque que l’Autre est forcé de regarder en face. C’est le pouvoir de l’invisible, celui qui rappelle que sans l’adhésion du sujet, le pouvoir ne tient qu’à un fil. Lysistrata, tout comme le #4B, met en scène le désir qui échappe, le désir qui cesse d’alimenter l’ordre établi pour ouvrir un espace de subversion douce.
Le #4B trouve ici sa force dans la "jouissance du non" – un plaisir obscur et singulier, celui de la non-coopération. Cette jouissance ne cherche ni confrontation ni révolte agressive ; elle s’installe dans le manque, elle trouve sa puissance dans l’absence. Elle dit, silencieusement, que c’est précisément dans ce retrait que se situe un pouvoir nouveau, un espace où le désir n’a plus besoin de s’aligner sur le regard de l’Autre.
Le #4B, en cessant d’alimenter le désir attendu, en laissant place à ce vide, fait émerger une jouissance qui n’est pas celle de la conformité, ni même de l’affrontement, mais celle d’une liberté retrouvée dans la distance. En refusant de répondre à l’injonction, en se plaçant hors de l’espace d’appropriation, les participantes du #4B movement se réapproprient un désir qui n’a plus à répondre qu’à lui-même.
En suspendant son désir, en ne répondant plus aux attentes de l’Autre, il met en lumière l’instabilité d’un pouvoir qui ne tient qu’à la présence de ceux et celles qui s’y soumettent. Ce mouvement montre que l’absence peut être un acte, que le vide peut être signifiant, que le refus de se plier aux normes peut faire apparaître la fragilité de l’édifice tout entier.
Il nous rappelle que l’on peut se soustraire à l’ordre de l’Autre, qu’il existe une forme de liberté dans le fait de dire "non," dans le fait de se retirer, et que dans cette liberté, le sujet trouve une nouvelle forme de présence – une présence qui ne se laisse plus saisir, mais qui s’impose par son retrait même. Le #4B, en somme, incarne cette idée que le pouvoir du désir réside peut-être, avant tout, dans sa capacité à se dérober