Cynthia Fleury, philosophe, explore un courage loin des exploits héroïques : celui qui nous aide à affronter les défis du quotidien. Face à la peur, ce courage permet de tenir bon et d’agir avec raison. Mais comment cette vertu, parfois invisible, façonne-t-elle notre rapport au monde et aux autres ?
Bon courage ! (4|6). Il n’est pas question ici d’héroïsme, mais de cette vertu qui fait tenir au quotidien. Cette semaine, la philosophe explique comment le courage d’exister en tant qu’individu est nécessaire à la régulation de l’espace politique.
Propos recueillis par Julie Clarini Publié le 03 août 2018 à 12h18 - Mis à jour le 03 août 2018 à 12h18
Philosophe, Cynthia Fleury est professeure au Conservatoire national des arts et métiers, titulaire de la chaire humanités et santé. Elle a notamment signé La Fin du courage (Fayard, 2010), puis Les Irremplaçables (Gallimard, 2015).
Il existe une approche historique du courage où ce dernier est effectivement exceptionnel, porteur d’un commencement. C’est le sens profond de la rupture : commencer une nouvelle histoire, celle de la liberté, celle de la justice, celle de l’amour. Non pas la rupture pour la rupture. Le courage est ainsi le moteur d’une entrée dans le monde, une façon de faire lien avec les autres. Dans La Fin du courage, j’ai essayé de montrer que cette notion recouvre un large spectre, qui va de l’acte exceptionnel de confrontation avec le « réel de la mort » à d’autres qui relèvent plus de la lutte incessante contre le découragement, de la défense d’une décence commune, etc.
L’acte du courage est une conscientisation de la peur, qui va de la considération à sa critique, et à son dépassement. Si l’individu n’a pas peur, il ne peut pas être courageux. Il sera inconscient. Le courage est indissociable d’un acte raisonnable, il relève d’un pacte avec la raison et non avec l’hubris, sinon il devient passion, orgueil, intempestivité, démesure. Dans le cas contraire, tous les passages à l’acte seraient considérés comme courageux – ce qui évidemment serait problématique.
Donc pas de courage sans peur, sans interrogation sur le sens du risque à prendre, sur le sens de l’action à mener, sur le projet qui sous-tend l’acte courageux. C’est cela qui fait du courage quelque chose de l’ordre de la décision – qu’on prend parfois de manière imperceptible parce qu’on la porte en nous depuis longtemps. Ainsi, même si les auteurs d’un acte courageux expliquent que cela s’est tout simplement imposé à eux, il y a toujours quelque chose du sujet dans l’acte.
Il y a des cultures, des éducations, des valeurs qui prédisposent au courage, au sens où elles l’enseignent, le corrèlent à un ensemble de moyens et de compétences. Prenons le cas du gendarme Beltrame : il a décidé de prendre la place d’un otage dans l’attentat de Carcassonne [le 23 mars] en fonction, aussi, de ses « compétences » ; il a considéré que c’était son devoir de gendarme et qu’il avait les moyens de retourner la situation par une compétence de négociation."
Elle insiste sur un courage plus proche de nous, celui qui nous aide à tenir bon au quotidien, à ne pas céder face aux difficultés. Ce courage-là, selon elle, n’a pas besoin d’être un grand geste de rupture, mais peut être une lutte constante contre le découragement, une manière de préserver ce qui est juste et décent autour de nous.
Fleury explique aussi que le courage ne va jamais sans la peur. C’est même le fait d’avoir conscience de cette peur, de la regarder en face, qui fait qu’on peut ensuite la dépasser de manière réfléchie. Si on n’a pas peur, on n’est pas courageux, juste inconscient. Le vrai courage, c’est un acte qui se fait en lien avec la raison, pas avec l'orgueil ou la folie des grandeurs. C’est une décision, parfois discrète, qu’on porte en soi et qui finit par s’imposer.
Elle évoque aussi l’idée qu’on peut être prédisposé au courage, grâce à l’éducation ou à certaines valeurs qu’on a reçues. Elle cite l’exemple du gendarme Arnaud Beltrame, qui a donné sa vie en prenant la place d’un otage. Pour elle, son acte courageux n’était pas juste un élan spontané, mais aussi un mélange de devoir et de compétences acquises. Il savait qu’il pouvait essayer de renverser la situation grâce à ses capacités de négociation.
En gros, pour Cynthia Fleury, le courage, ce n’est pas seulement des actions exceptionnelles. C’est aussi cette force intérieure qui nous permet de surmonter les petits et grands obstacles de la vie, de prendre des décisions justes et de continuer à avancer.