Après avoir exploré le rôle du Sauveur, arrêtons-nous un moment sur un autre pilier du fameux triangle dramatique de Karpman : la Victime. Celle qui, sans avoir l'air de rien, semble toujours déclencher la dynamique du triangle, sans pour autant se donner les moyens d'en sortir.
Pourquoi certaines personnes se retrouvent-elles aussi aisément dans cette posture ? Quelle est la véritable influence de la Victime dans ce jeu relationnel ? Et surtout, ce rôle de « pauvre malheureux » est-il aussi passif qu’il y paraît ?
Après tout, être la Victime présente quelques avantages non négligeables : on attire l’attention, on bénéficie de l’aide des Sauveurs de passage, et on échappe à la responsabilité d’affronter ses propres défis. Souvent, les personnes qui adoptent ce rôle y voient un moyen de susciter la compassion, d’obtenir des conseils, voire de se sentir entourées.
En analyse transactionnelle, la Victime joue un rôle central.
Les raisons de cette posture sont diverses : elle peut être liée à une faible estime de soi, à un sentiment d’impuissance appris dès l’enfance ou, parfois, à une volonté inconsciente de se décharger de ses responsabilités. En d’autres termes, la Victime se place dans une position d'impuissance, de « non-pouvoir », là où l’aide et l’attention des autres deviennent indispensables à son équilibre. Pour certains, c’est une stratégie subtile qui permet de maintenir un contrôle indirect sur ceux qui les entourent.
En affichant sa détresse, même discrètement, la Victime attire le Sauveur, qui se précipite pour combler ses besoins. Mais voilà, ce besoin d’aide est rarement satisfait : la Victime, en restant dans son rôle, crée une dépendance et provoque une certaine frustration chez le Sauveur, qui se retrouve piégé dans une quête de résolution sans fin.
Et n’oublions pas le Persécuteur, qui entre souvent en scène lorsque la Victime se plaint ou se montre passive face aux situations problématiques. Le Persécuteur, irrité par cette attitude d’impuissance, s’en prend à la Victime pour la secouer, mais contribue en réalité à la maintenir dans cette posture en alimentant le triangle dramatique. Ainsi, le rôle de Victime fonctionne comme une sorte d’aimant relationnel, fixant les autres protagonistes dans leurs rôles respectifs.
Paradoxalement, cette posture de faiblesse devient un pouvoir en soi : elle suscite l’intervention du Sauveur et la colère du Persécuteur. En restant immobile au centre de la scène, la Victime crée un mouvement perpétuel autour d’elle, maintenant ainsi la dynamique du triangle.
Il serait tentant de voir la Victime comme une marionnette manipulée par le Sauveur et le Persécuteur, mais la réalité est plus nuancée. En choisissant – souvent inconsciemment – de rester dans son rôle, la Victime exerce un contrôle subtil, voire manipulateur, sur les autres. En effet, que se passe-t-il si la Victime décidait de se libérer de cette posture ? La dynamique se briserait, laissant le Sauveur et le Persécuteur sans personne à « secourir » ou à « blâmer ». D’une certaine manière, la Victime « tire les ficelles » en déterminant, par son immobilité, la danse des autres.
Pour la Victime elle-même, cette posture est loin d’être sans conséquences.
Cette dépendance à l’aide extérieure, bien que gratifiante à court terme, devient un frein au développement personnel. À long terme, la Victime court le risque de se voir prisonnière de sa propre image de faiblesse, en croyant sincèrement qu’elle est incapable d’agir par elle-même. C’est un cercle vicieux où la perception d’impuissance nourrit la dépendance et vice versa.
De plus, cette posture peut générer un sentiment de vide ou d’insatisfaction, car la Victime s’isole de ses propres responsabilités. Elle ne s’engage pas dans la recherche active de solutions et, en conséquence, s’enferme dans une dynamique de stagnation. Au bout du compte, être la Victime peut provoquer un sentiment de découragement profond, car l’aide extérieure n’arrive jamais à combler véritablement ses attentes et la laisse finalement dans une position d’insatisfaction chronique.
Derrière ce rôle se cache souvent une stratégie complexe de manipulation, consciente ou non. En se plaçant en position de faiblesse, la Victime déclenche l’empathie, suscite l’intervention du Sauveur et peut même manipuler le comportement du Persécuteur en éveillant un sentiment de culpabilité ou de frustration chez ce dernier. Cette forme de contrôle indirect permet à la Victime d’avoir un certain pouvoir sur son entourage, tout en maintenant l’apparence de la vulnérabilité.
Pour beaucoup, la Victime utilise cette posture par habitude ou par besoin de réconfort, sans en saisir les implications. Cependant, il n’en reste pas moins que cette dynamique peut nuire aux relations en instaurant une forme de dépendance émotionnelle et en générant des attentes implicites, des demandes symbiotiques.
En explorant cette posture, on comprend que la Victime n’est pas simplement « la personne en détresse » : elle est l’élément stabilisateur de ce triangle, maintenant les autres dans leurs rôles de Sauveur et de Persécuteur. Dans ce jeu relationnel, elle tient les rênes d’une dynamique qui repose toujours sur la pointe, dans un équilibre instable.
Comme le disait Karpman, « Le triangle dramatique est un jeu où chacun croit gagner, mais où personne ne sort indemne. »
Alors, êtes-vous prêt à voir ce rôle de Victime pour ce qu’il est réellement ?