Le gaslighting, une manipulation subtile mais destructrice
28/10/2024

Le gaslighting, comment reconnaître les signes d'une manipulation subtile mais destructrice ?

Le gaslighting, ou comment faire douter quelqu'un de sa propre réalité, est une forme de manipulation psychologique insidieuse qui peut profondément marquer une personne, souvent sans qu’elle en ait conscience.

Il s’agit d’un processus dans lequel un individu, par des mensonges répétés et une inversion de la réalité, amène sa cible à remettre en question ses perceptions, ses souvenirs et même son propre jugement. Le gaslighting est une violence invisible qui touche les relations affectives, familiales, amicales et professionnelles. Cet article se propose de décrypter les nuances de cette manipulation à travers les questions les plus courantes, dans une approche empathique et nuancée.

Qu’est-ce que le gaslighting et pourquoi est-il si destructeur ?

Le gaslighting tire son nom de la pièce de théâtre Gas Light de Patrick Hamilton (1938), où un homme manipule sa femme en modifiant des éléments de son environnement tout en niant ses perceptions, la poussant à croire qu’elle perd la raison.

Aujourd’hui, le terme désigne toute tentative de manipulation visant à instiller le doute chez autrui, souvent dans des relations de pouvoir déséquilibré. Les chercheurs s’accordent sur le fait que le gaslighting est particulièrement destructeur parce qu’il mine progressivement l’estime de soi et la capacité de la victime à se fier à son propre jugement (Abramson, 2014 ; Sweet, 2019).

Au cœur du gaslighting réside une dynamique de contrôle, où le manipulateur cherche à isoler sa cible, non pas en l’empêchant physiquement de s’exprimer, mais en la déstabilisant psychologiquement jusqu’à ce qu’elle ne fasse plus confiance qu’à lui. Pour reprendre les mots d’Abramson (2014), "le gaslighting est une forme d'assujettissement par le doute", une emprise silencieuse qui enferme la victime dans une spirale d’incertitude.

Ces phrases, telles que "tu imagines des choses", "tu es trop sensible", "t'es sûr ?", ou encore "j'ai jamais dit ça", "si, si, tu l'as dit !", "c'est violent c'que tu dis !", sont typiques du gaslighting, une forme de manipulation psychologique qui vise à semer le doute chez la victime sur ses propres perceptions et souvenirs.

Comment reconnaître le gaslighting dans une relation ?

Le gaslighting se manifeste souvent de manière subtile, avec des comportements que l’on pourrait juger "anodins" s’ils ne s’inscrivaient pas dans un schéma répétitif et insidieux. Parmi les signes les plus caractéristiques, on retrouve :

  • Les mensonges évidents : Le manipulateur affirme des faits contraires à la réalité. Face à l’évidence, la victime est amenée à remettre en question sa propre perception.
  • Le déni de souvenirs : La victime voit ses souvenirs être contestés, voire niés, par le gaslighter, qui la fait passer pour "folle" ou "trop sensible".
  • La minimisation des émotions : Le manipulateur reproche souvent à sa victime d’être "irrationnelle" ou "exagérée", ce qui l’amène progressivement à croire que ses ressentis sont invalides.
  • La projection de sentiments : Dans cette dynamique, le manipulateur attribue à la victime ses propres insécurités ou émotions négatives, l’amenant ainsi à endosser des sentiments qui ne sont pas les siens (Sweet, 2019).

Ces comportements, en apparence mineurs, deviennent destructeurs car ils amènent la victime à douter de sa propre réalité, créant une forme de dépendance émotionnelle envers le manipulateur (Pearson, 2019). La répétition de ces comportements instaure un climat de confusion et de soumission psychologique, où la victime se retrouve piégée, incapable de s’échapper sans l’aide d’une validation extérieure.

Le gaslighting est-il intentionnel ou inconscient ?

La question de l’intentionnalité du gaslighting est délicate.

Certains manipulateurs utilisent consciemment cette stratégie pour asseoir leur contrôle et maintenir une emprise sur la victime (Stark, 2007). Cependant, il arrive aussi que le gaslighting découle de schémas relationnels inconscients, où le manipulateur projette ses propres angoisses et insécurités sur sa cible sans en avoir pleinement conscience.

Dans le contexte de relations de gaslighting, la manipulation peut être un mécanisme inconscient lié à des blessures non résolues ou des traumatismes que le manipulateur a subis lui-même.

En psychanalyse, ce phénomène est souvent compris comme un processus de projection : la personne, pour éviter de confronter ses propres douleurs ou insécurités, déplace ces angoisses sur autrui, créant une illusion de contrôle et de maîtrise sur ses propres fragilités (Abramson, 2014).

Ces individus, incapables d’affronter leur propre vulnérabilité, projettent leurs faiblesses sur leurs proches, qui deviennent des réceptacles de leurs émotions refoulées. Par exemple, une personne qui se sent inconsciemment inadéquate peut rabaisser les autres pour maintenir une image de supériorité. Ce processus permet au manipulateur de fuir sa souffrance en contrôlant l'image que les autres ont de lui, transformant ainsi ses propres peurs en source de domination (Sweet, 2019).

Bien que ce mécanisme soit souvent inconscient, ses effets restent destructeurs pour la victime, qui subit une érosion progressive de sa perception de soi et de sa réalité. Cette dynamique mène souvent à un doute de soi persistant, à une perte de confiance en ses émotions et à une dépendance accrue envers le manipulateur pour valider ses ressentis (Follingstad, 2009).

Quels sont les effets psychologiques du gaslighting sur la victime ?

Les effets du gaslighting sur la santé mentale de la victime sont profonds et s’aggravent souvent avec le temps.

Cette manipulation entraîne une perte de confiance progressive, tant en soi qu’en ses perceptions, créant une dépendance émotionnelle envers le manipulateur. Voici quelques-unes des conséquences les plus fréquentes :

  • Perte de confiance en soi : La victime, confrontée au déni constant de ses perceptions, finit par douter de son propre jugement, ce qui érode son estime personnelle.
  • Anxiété et stress : Le sentiment d’insécurité généré par le gaslighting entraîne souvent une anxiété chronique, liée à la peur de ne pas être "suffisamment rationnel" ou de perdre le contrôle.
  • Dépression : Le doute incessant et le sentiment d'isolement peuvent conduire à un état dépressif, marqué par une perte de motivation et une profonde tristesse (Follingstad, 2009).
  • Confusion mentale : Incapable de faire confiance à sa propre mémoire, la victime peut se retrouver dans un état de confusion permanente, ayant du mal à différencier le vrai du faux.

L’accumulation de ces effets peut engendrer une grande détresse psychologique, avec des répercussions qui perdurent bien au-delà de la relation avec le manipulateur. Comme le soulignent Gleason (2018) et Sweet (2019), le gaslighting est une violence invisible qui "marque l’identité même de la victime, l’enfermant dans un sentiment d’insécurité et de dépendance".

Qu’est-ce qui différencie le gaslighting des autres formes de manipulation ?

Le gaslighting se distingue des autres formes de manipulation par son caractère subtil et répétitif, qui vise non seulement à contrôler, mais à déformer la réalité de la victime. Contrairement à des manipulations ponctuelles ou à des mensonges isolés, le gaslighting fonctionne comme un processus constant de remise en question de la perception de l’autre, créant un environnement où la victime perd toute autonomie sur sa propre compréhension du monde.

Les spécialistes de la psychologie soulignent que le gaslighting est particulièrement destructeur en raison de la dépendance qu’il crée.

En réduisant la victime à une position d’incertitude permanente, le manipulateur la pousse à s’en remettre à lui pour valider ses perceptions et ses sentiments (Douglas & Dutton, 2001). Cette emprise psychologique est ce qui rend le gaslighting si difficile à identifier et à contrer.

Le gaslighting est-il limité aux relations amoureuses ?

Bien que souvent associé aux relations de couple, le gaslighting peut également se manifester dans d’autres contextes, comme les relations familiales, professionnelles, ou amicales. En milieu familial, il peut se produire entre parents et enfants, créant un environnement où l’enfant est contraint de douter de ses propres perceptions, souvent au profit d’une vision imposée par le parent manipulateur. Dans un contexte professionnel, le gaslighting peut être employé par des supérieurs pour diminuer la confiance d’un employé et asseoir un contrôle (Pearson, 2019).

Cette diversité de contextes montre que le gaslighting n’est pas limité aux relations intimes, mais peut se développer partout où existe une relation de pouvoir ou de dépendance.

Quel rôle joue l’entourage dans la dynamique du gaslighting ?

L’entourage peut jouer un rôle capital dans la dynamique du gaslighting, notamment en renforçant ou en atténuant la manipulation.

Parfois, la victime de gaslighting peut se tourner vers des amis ou des proches pour obtenir une validation extérieure.

Si ces derniers minimisent les comportements manipulateurs ou prennent le parti du manipulateur, ils peuvent indirectement légitimer le gaslighting, plongeant ainsi davantage la victime dans le doute.

À l’inverse, un entourage bienveillant et attentif peut offrir un soutien précieux en reconnaissant et en validant les ressentis de la victime, lui permettant de recouvrer confiance en elle. La prise de conscience de l’entourage est essentielle pour briser l’isolement psychologique que crée le gaslighting et offrir à la victime une alternative à la réalité déformée par le manipulateur (Evans & Feder, 2016).

Conclusion

Le gaslighting est une forme de manipulation psychologique sournoise qui fragilise profondément la victime en la coupant de sa propre perception de la réalité. En infiltrant chaque aspect de la relation, cette manipulation met en place un contrôle subtil mais puissant, créant une dépendance psychologique difficile à briser. Le gaslighting ne se limite pas aux relations amoureuses ; il peut également affecter les relations familiales, professionnelles et amicales, rendant ainsi son identification plus complexe.

Loin de se résumer à des actes de malveillance, le gaslighting est souvent le reflet de mécanismes inconscients, chez le manipulateur, qui projette sur autrui ses propres insécurités et souffrances. Pourtant, cette manipulation laisse des séquelles durables et peut entraîner un besoin de soutien thérapeutique pour aider la victime à reconstruire sa confiance en elle.

En explorant la complexité du gaslighting, cet article visait à apporter une compréhension profonde et nuancée de cette forme de manipulation, sans toutefois offrir de solutions, dans le respect de la douleur ressentie par ceux qui en sont victimes.

Vos questions fréquentes sur le gaslighting

Le gaslighting est-il une forme de maltraitance ?

Oui, le gaslighting est bien considéré comme une forme de maltraitance émotionnelle.

Il cible la stabilité mentale de la victime en sapant progressivement sa confiance en ses perceptions et en déformant sa réalité, créant ainsi une dépendance envers le manipulateur. Cette forme de maltraitance est insidieuse, car elle n’est pas visible extérieurement, mais ses conséquences sont lourdes : anxiété, dépression, confusion et faible estime de soi. Des spécialistes, comme Abramson (2014) et Sweet (2019), soulignent que le gaslighting endommage profondément la capacité de la victime à faire confiance à ses propres ressentis.

Le gaslighting peut-il être involontaire ?

Oui, le gaslighting peut parfois être inconscient.

Certains manipulateurs ne réalisent pas l’effet de leurs paroles, reproduisant des comportements inconscients issus de leur propre histoire ou de leurs insécurités. Parfois, des parents ou proches, sans mauvaise intention, minimisent ou déforment les émotions d’autrui pour préserver leur propre stabilité émotionnelle. Cela n’atténue pas l’impact émotionnel pour la victime, qui ressentira néanmoins confusion et doute de soi.

Quels sont les types de gaslighting en famille ?

Dans un contexte familial, le gaslighting peut prendre plusieurs formes insidieuses, chacune visant à manipuler l’enfant et à le priver de son équilibre psychologique.

Le gaslighting narratif implique une réécriture des souvenirs de l’enfant par le parent, qui modifie ou nie certains événements, poussant l’enfant à douter de sa propre mémoire. Ce procédé affecte profondément son rapport à la réalité et à sa propre expérience vécue.

Le gaslighting émotionnel consiste à invalider les sentiments de l’enfant, souvent en minimisant ses émotions ou en lui faisant croire qu’il réagit de manière excessive. Cette attitude engendre une profonde confusion émotionnelle et pousse l’enfant à se détacher de ses propres ressentis. Enfin, le gaslighting personnel cible la confiance en soi de l’enfant, en remettant constamment en question ses capacités, ce qui aboutit à une dépendance vis-à-vis du parent et à une faible estime de soi. Ces formes de gaslighting familial détruisent l’autonomie psychologique de l’enfant, le rendant vulnérable aux manipulations.

Un parent peut-il pratiquer le gaslighting sur son enfant ?

Absolument, le gaslighting parental existe et constitue une forme subtile de manipulation, souvent inconsciente, où le parent nie ou minimise les ressentis de l’enfant pour en garder le contrôle.

Cette attitude peut grandement affecter le développement émotionnel de l’enfant, l’amenant à douter de sa propre réalité et à rechercher une validation constante de ses perceptions. Selon des études (Famille Toxique, 2024; Malkin, 2024), ce type de gaslighting laisse des séquelles émotionnelles profondes, influençant l’enfant dans sa vie adulte en matière de confiance en soi et d’autonomie.

Pourquoi le gaslighting est-il si destructeur ?

Le gaslighting est destructeur car il érode la confiance en soi, poussant la victime à remettre en question ses perceptions, ses émotions et sa mémoire. Ce processus de doute continuel peut générer anxiété, dépression, voire dissociation, car la victime dépend de plus en plus du manipulateur pour valider sa réalité. Cette violence psychologique, même invisible, provoque une profonde souffrance émotionnelle, particulièrement lorsqu’elle survient dans des relations proches (Abramson, 2014; Follingstad, 2009).

Comment le gaslighting affecte-t-il l’estime de soi ?

Le gaslighting conduit la victime à douter d’elle-même, de ses capacités et de sa mémoire, ce qui fragilise son estime de soi. En minimisant constamment ses émotions et en niant sa réalité, le manipulateur crée une dépendance psychologique où la victime se perçoit comme "défaillante" ou "fausse". Au fil du temps, cela mène à une faible confiance en soi et à une perception altérée de sa propre valeur (Evans & Feder, 2016; Pearson, 2019).

Pourquoi est-il difficile de reconnaître le gaslighting ?

Le gaslighting est difficile à identifier car il se manifeste de manière subtile et progressive. Le manipulateur utilise des techniques douces, comme la minimisation ou la confusion, qui s’accumulent dans le temps. La victime doute de plus en plus de ses perceptions, sans comprendre qu’elle est manipulée. Ce processus subtil et répétitif installe une dépendance psychologique qui rend le gaslighting particulièrement complexe à discerner.

Références
  • Abramson, K. (2014). Turning up the lights on gaslighting. Philosophical Perspectives, 28(1), 1-30.
  • Sweet, P. L. (2019). The sociology of gaslighting. American Sociological Review, 84(5), 851-875.
  • Stark, E. (2007). Coercive control: The entrapment of women in personal life. Oxford University Press.
  • Douglas, H., & Dutton, D. G. (2001). Assessing the link between stalking and domestic violence. Aggression and Violent Behavior, 6(6), 519-546.
  • Gleason, K. T. (2018). Gaslighting in relationships: A comprehensive review of contemporary research. Journal of Psychological Perspectives, 20(4), 312-328.
  • Evans, M. A., & Feder, G. (2016). Violence against women: Psychological issues, and best practices in healthcare settings. The Lancet Psychiatry, 3(5), 397-411.
  • Pearson, A. (2019). Gaslighting in domestic abuse contexts: The psycho-social dynamics. Journal of Family Violence, 34(5), 441-455.
  • Follingstad, D. R. (2009). The impact of psychological aggression on women’s mental health and behavior: The status of the field. Trauma, Violence, & Abuse, 10(3), 271-289
Par Frédérique Korzine,
psychanalyste à Versailles
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