Découvrez une nouvelle lecture du conte classique Le Petit Chaperon Rouge où le loup n'est pas le seul danger. Lucile Novat nous plonge dans une analyse audacieuse qui révèle des menaces insoupçonnées cachées au sein même de la famille, transformant cette fable en une histoire troublante et captivante.
Lucile Novat, dans son essai De grandes dents. Enquête sur un petit malentendu (éd. Zones), remet cette vision en question. Selon elle, le véritable danger n’est pas dans la forêt ni chez un inconnu, mais bien plus proche de la maison. Et si Le Petit Chaperon Rouge parlait en réalité de l’inceste, un sujet aussi troublant que méconnu ?
Pour elle, l’idée que le loup représente un prédateur extérieur est un raccourci facile. En réalité, elle pense que le danger est beaucoup plus intime, niché au sein même de la famille.
Dès le début du conte, on nous parle d’une petite fille « la plus jolie qu’on eût su voir » et de sa mère et sa grand-mère qui sont « folles » d’elle. Mais quel genre d'amour est-ce vraiment ? Pour Novat, cette "folie d'amour" pourrait en fait refléter une relation toxique, un amour qui dérape, dissimulant des dangers familiaux.
Prenons aussi cette fameuse phrase : « Tire la chevillette, la bobinette cherra. » Vous avez toujours trouvé ça bizarre ? C’est normal ! Selon Novat, cette phrase signale en fait que la maison est barricadée non pour se protéger d’un danger extérieur, mais parce que le vrai danger est déjà à l’intérieur. Au cœur du foyer, dans un lit, avec quelqu’un que l’on connaît bien.
Pour avoir une perspective complète, il est intéressant de voir ce que pense Bruno Bettelheim, un psychanalyste très connu pour son analyse des contes de fées. Dans son livre Psychanalyse des contes de fées, il aborde le Petit Chaperon Rouge sous un angle différent.
Pour Bettelheim, ce conte est avant tout une allégorie de la maturation sexuelle. Le loup, selon lui, symbolise les instincts primitifs et la tentation sexuelle. Il voit la couleur rouge du chaperon comme un symbole de la menstruation et de l’éveil à la sexualité, tandis que le chemin de la petite fille représente le passage de l’enfance à l’âge adulte.
Alors que Lucile Novat parle de danger familial et d'inceste, Bettelheim se concentre sur les aspects psychosexuels du conte. Pour lui, Le Petit Chaperon Rouge aide les enfants à naviguer dans les sentiments complexes liés à la croissance et à la découverte de leur sexualité.
Lucile Novat pousse l’analyse encore plus loin. Elle nous invite à réfléchir au fait que le vrai danger n’est pas à l’extérieur, mais dans la maison, au sein même de la famille. Elle met en lumière la façon dont Perrault nous parle de cette « folie d’amour » de la mère et de la grand-mère, et nous fait voir que Le Petit Chaperon Rouge pourrait être une métaphore du danger caché dans les relations familiales.
Mais Novat ne s’arrête pas là. Elle anticipe nos résistances à accepter cette interprétation et y répond, en soulignant par exemple la fluidité des genres dans le conte. Le fait que la petite fille soit appelée LE petit chaperon rouge ou que le loup se déguise en grand-mère montre à quel point les rôles peuvent être flous et combien le danger peut être subtilement caché sous des apparences familières.
L’idée que Le Petit Chaperon Rouge pourrait être une allégorie de l’inceste est profondément troublante, car elle remet en question une histoire que nous croyions tous connaître. Depuis notre enfance, cette histoire nous a été racontée comme une simple mise en garde. Pourtant, si l’on suit la thèse de Novat, le conte cache en réalité un message beaucoup plus sombre :
Ce qui rend cette interprétation encore plus perturbante, c’est la manière dont Novat anticipe et répond à nos objections. En mettant en lumière la possibilité que les dangers puissent être internes autant qu’externes, elle nous force à reconsidérer notre vision du conte.
Peut-être parce que nous avons besoin de préserver une image innocente des contes pour enfants. Admettre que Le Petit Chaperon Rouge parle d'inceste pourrait ébranler bien des certitudes et nous forcer à accepter que les contes, souvent perçus comme simples, peuvent renfermer des vérités inconfortables.
Bettelheim, de son côté, nous rappelle que même les interprétations les plus établies des contes – comme celle qui voit dans Le Petit Chaperon Rouge un avertissement contre la tentation sexuelle – peuvent être difficiles à accepter, car elles touchent à des aspects profondément ancrés dans notre psyché collective. Les deux interprétations montrent à quel point les contes de fées sont des récits complexes, abordant des thèmes souvent tabous et perturbants.
Ces histoires sont bien plus que de simples récits pour enfants ; elles sont des miroirs de nos peurs les plus profondes et de notre société. En revisitant ces contes, nous découvrons des couches de signification que nous avions peut-être manquées.
Ces nouvelles perspectives sont également précieuses pour les psychologues, qui peuvent utiliser les contes comme outils thérapeutiques pour aider leurs patients à explorer leurs émotions et leurs expériences personnelles. En décryptant les messages cachés de ces récits, les thérapeutes peuvent aider leurs patients à comprendre les complexités de leur propre histoire.
Si l’on accepte la thèse de Novat, cela change profondément notre vision de l’enfance. Au lieu de voir les enfants comme des êtres à protéger des dangers extérieurs, cette lecture nous pousse à reconnaître leur vulnérabilité face aux dangers internes, ceux qui se cachent au sein même de la famille. Bettelheim, en nous rappelant les défis psychosexuels de la croissance, ajoute une autre dimension à notre compréhension des enjeux de l'enfance.
Ainsi, Le Petit Chaperon Rouge, loin d’être une simple fable moralisatrice, devient un outil pour explorer les aspects complexes de la croissance, de la sexualité et des relations familiales. Ces interprétations montrent que les contes de fées sont bien plus riches et puissants qu’ils ne le paraissent à première vue.
Pour en savoir plus sur cette fascinante interprétation de Le Petit Chaperon Rouge, vous pouvez écouter la chronique de France Culture : Le Petit Chaperon Rouge : histoire d'un malentendu. Où mieux encore, lire le livre de, allez, j'ose le mot, cette révolutionnaire, Lucille Novat, De grandes dents : Enquête sur un petit malentendu, éditions Zones, 2024.