Le mansplaining, souvent inconscient, révèle des inégalités persistantes dans les échanges entre hommes et femmes. Est-ce une simple maladresse dans la communication ou le symptôme de dynamiques plus profondes qui perpétuent une répartition inégale de la parole et de l'expertise ?
Vous avez probablement déjà vécu cette situation : vous parlez d’un sujet que vous maîtrisez bien, et là, un homme intervient pour vous expliquer quelque chose que vous savez déjà. Cette situation porte un nom : le mansplaining. Ce terme, qui fait partie du vocabulaire contemporain, désigne un comportement où un homme explique un sujet à une femme d’une manière condescendante ou paternaliste, sans s’assurer si l’explication est nécessaire.
Mais que se cache-t-il vraiment derrière ce comportement souvent involontaire ?
Le mansplaining est-il simplement une question de manque de considération, ou s’inscrit-il dans des dynamiques sociales plus larges ?
C’est une situation où, généralement, un homme prend l'initiative d'expliquer un sujet à une femme, en présumant qu’elle n’en a pas une compréhension suffisante. Ce comportement, bien que souvent non intentionnel, est perçu comme condescendant ou paternaliste.
Ce qui distingue le mansplaining d’une simple discussion, c’est l’attitude implicite derrière l’explication : l’idée que l'homme détient une expertise supérieure, même si ce n'est pas toujours le cas. Ce phénomène n'est pas une simple maladresse, mais un comportement qui s'inscrit dans des dynamiques sociales plus larges.
Le mansplaining est souvent le résultat de biais sociaux et de schémas de socialisation qui influencent la manière dont les hommes et les femmes interagissent. Dès le plus jeune âge, les garçons et les filles reçoivent des messages différents sur la prise de parole et l'affirmation de soi. Les garçons sont encouragés à parler, à affirmer leurs idées, et à occuper l’espace dans les discussions, tandis que les filles sont souvent socialisées pour écouter et se montrer plus réceptives (Duru-Bellat, 2017).
Ce conditionnement social crée, à l’âge adulte, des habitudes où certains hommes peuvent se sentir à l'aise pour expliquer des sujets, même lorsqu’ils ne sont pas des experts. Pour eux, c’est une manière naturelle de participer à la conversation. Ainsi, le mansplaining n’est pas toujours une intention délibérée de dominer la discussion, mais plutôt un comportement appris au fil du temps.
Ces biais sont des stéréotypes profondément ancrés qui influencent nos comportements sans que nous en ayons toujours conscience. Par exemple, dans certains contextes professionnels, les hommes sont souvent perçus comme plus compétents dans des domaines spécifiques, tels que la technologie ou la finance (Delvaux & Mercier, 2020).
Cela explique pourquoi certains hommes peuvent se sentir naturellement investis d’un rôle explicatif, sans se rendre compte qu’ils minimisent involontairement les compétences de leur interlocutrice. Ces biais contribuent à renforcer les inégalités dans les échanges et peuvent expliquer pourquoi le mansplaining se manifeste dans de nombreuses interactions sociales et professionnelles.
Dans toute interaction sociale, la prise de parole est une forme de pouvoir : celui qui parle contrôle en partie le déroulement de la discussion, influence les idées partagées et impose un point de vue. Position haute sur le cadre...
Le mansplaining peut être vu comme une tentative, souvent inconsciente, d’exercer ce pouvoir. Lorsque certains hommes se lancent dans une explication, ils ne cherchent pas nécessairement à nuire à leur interlocutrice, mais ils prennent la parole de manière à s’imposer dans la conversation. Cette dynamique peut être encore plus marquée dans des environnements où les femmes sont moins présentes, comme dans certaines professions traditionnellement dominées par les hommes.
En psychanalyse, le phallus est un symbole central qui représente non seulement l’autorité masculine, mais aussi le pouvoir symbolique en général. Dans ce cadre, le fait d’expliquer quelque chose peut être perçu comme une manière de réaffirmer cette autorité symbolique (Lacan, 1957).
Lorsque certains hommes expliquent des choses qu’ils savent déjà être connues par leur interlocutrice, ils ne cherchent pas nécessairement à minimiser ses compétences. Ils peuvent, inconsciemment, être en train de réaffirmer leur rôle d’autorité dans la discussion. C’est une dynamique qui se joue souvent sans que les individus en soient conscients, mais qui reflète des rapports de pouvoir profonds dans les interactions sociales.
La psychanalyse suggère également que le mansplaining peut être lié à une angoisse de perte de pouvoir. Certains hommes peuvent se sentir menacés par l’expertise d’une femme et réagir en essayant de reprendre le contrôle de la conversation par une explication non sollicitée. Ce mécanisme de défense, bien que souvent inconscient, permet de maintenir une forme de domination dans l’échange verbal.
Le mansplaining n’est pas le seul comportement qui reflète une dynamique de genre et de pouvoir dans les interactions sociales. Un autre exemple est le manspreading, un comportement où certains hommes prennent excessivement de la place physique, par exemple dans les transports en commun, en écartant les jambes sans considération pour l’espace des autres.
Ces deux phénomènes partagent une dynamique similaire : ils impliquent tous deux une appropriation excessive de l’espace, qu’il soit verbal ou physique. Alors que le mansplaining concerne la domination de la conversation, le manspreading concerne la domination de l’espace public. Si vous voulez en savoir plus sur le manspreading et ses implications sociales lisez ceci.
Ce comportement découle souvent de biais sociaux et de dynamiques de pouvoir qui influencent nos interactions sans que nous en soyons conscients. En comprenant ces mécanismes, nous pouvons engager des discussions plus équilibrées, où chacun, homme ou femme, est reconnu pour son expertise.
Le mansplaining est donc un phénomène complexe, qui ne relève pas uniquement de l’individu, mais d’un ensemble de schémas culturels et sociaux plus larges. En prenant conscience de ces dynamiques, nous pouvons évoluer vers des échanges plus respectueux, où chacun a une voix.
Le mansplaining est un phénomène ancré dans des dynamiques sociales, des biais inconscients et des rapports de pouvoir. Il reflète des schémas d’interaction genrée profondément ancrés, mais il ne s’agit pas d’un comportement toujours intentionnel. En comprenant mieux les racines de ce comportement, il est possible d’adopter une approche plus nuancée et de favoriser des conversations plus égalitaires.
Comprendre ces mécanismes permet de poser un regard plus réfléchi sur nos interactions quotidiennes, et d'encourager un dialogue où chacun est écouté et respecté, indépendamment de son genre.
Bien que le terme « mansplaining » soit relativement récent, le comportement lui-même ne l'est pas. Les dynamiques de genre et de pouvoir qui sous-tendent le mansplaining existent depuis des siècles, mais la conscientisation accrue autour des questions de genre et des inégalités sociales a rendu ce terme et ce phénomène plus visibles dans les discussions contemporaines.
Non, il y a une différence subtile mais importante. Donner un conseil implique généralement que l'autre personne l’a demandé ou est ouvert à recevoir des informations supplémentaires. Le mansplaining, en revanche, se produit souvent sans invitation et avec un ton condescendant, présumant que l’autre personne n’est pas informée, même si elle l’est. Il s'agit davantage d'une question de ton et d'intention
Le mansplaining découle souvent de biais sociaux et de conditionnements inconscients. Dès l'enfance, les garçons sont encouragés à être assertifs et à prendre la parole, tandis que les filles sont souvent incitées à écouter. À l'âge adulte, cela peut se manifester par une tendance chez certains hommes à vouloir "expliquer" même quand ce n’est pas nécessaire. De plus, l'insécurité joue un rôle important : certains hommes se sentent obligés de prouver leur connaissance ou leur supériorité, même lorsqu'ils ne sont pas experts dans le domaine.
L’essentiel est de pratiquer l’écoute active et de vérifier les connaissances de votre interlocuteur avant d’offrir une explication. Il est important de se demander : « Est-ce que cette personne a déjà l’expertise nécessaire ? » et « Ai-je été sollicité pour expliquer cela ? » Cela aide à éviter d’imposer une explication non nécessaire ou condescendante.
Si quelqu'un vous accuse de mansplaining, il est important de ne pas réagir défensivement. Prenez le temps de réfléchir à la situation : est-ce que vous avez expliqué quelque chose sans vérifier le niveau de connaissance de l'autre personne ? Reconnaître l'erreur et s’excuser peut aider à réparer la dynamique de la conversation. Poser des questions ouvertes pour clarifier la situation peut aussi montrer une volonté d’apprendre et d’améliorer la communication
Oui, de nombreuses entreprises mettent en place des formations sur la communication respectueuse et l’inclusivité. Ces programmes visent à sensibiliser les employés aux biais inconscients, y compris le mansplaining, et à promouvoir des échanges plus équilibrés dans les environnements professionnels. Les ateliers sur l’écoute active et la reconnaissance des contributions de chacun peuvent également aider.
Le mansplaining peut être plus courant dans les environnements professionnels dominés par les hommes ou dans les secteurs où les stéréotypes de genre sont très enracinés, comme la technologie ou la finance. Dans ces contextes, certains hommes peuvent supposer qu’ils ont plus de connaissances simplement en raison de leur genre, renforçant ainsi des inégalités historiques dans la prise de parole et l'accès à l'information
Répondre au mansplaining tout en évitant le conflit nécessite une approche calme et assertive. Vous pouvez, par exemple, reconnaître l’intention de la personne tout en affirmant votre expertise. Dites quelque chose comme : « Je comprends que tu veuilles aider, mais je suis déjà familière avec ce sujet. » Cela permet de rétablir l’équilibre sans attaquer directement.
Il peut être plus délicat de répondre à un supérieur qui fait du mansplaining, mais il existe des approches efficaces. L’important est de rester professionnel tout en affirmant votre expertise. Vous pourriez dire : « Je comprends votre point de vue, mais j’aimerais partager mon approche sur ce sujet. » Si cela persiste, il peut être utile d’en discuter en privé ou de solliciter un mentor pour obtenir des conseils
Le mansplaining n'est pas toujours intentionnel. Souvent, il découle de biais inconscients et de schémas de socialisation profondément enracinés. Beaucoup d'hommes ne réalisent même pas qu'ils adoptent une attitude condescendante en expliquant quelque chose, car cela peut être perçu comme une manière "naturelle" de participer à une conversation. Ce comportement est souvent le résultat d’une culture qui valorise davantage la parole masculine et l'assertivité chez les hommes, sans qu’ils soient nécessairement conscients des implications.
Cela dit, dans certains cas, le mansplaining peut être intentionnel, notamment lorsque l’homme cherche à affirmer son autorité ou à prendre le contrôle de la conversation. Ce besoin de domination peut être un mécanisme de défense contre une insécurité ou une peur de perdre le pouvoir dans l’échange.
Cependant, dans la majorité des situations, le mansplaining résulte d'une absence de réflexion sur l'impact de ses paroles plutôt que d'une volonté délibérée de rabaisser ou de minimiser les compétences d'une autre personne.
Il est parfois difficile de reconnaître ses propres comportements. Si vous avez tendance à interrompre les autres, à expliquer des choses évidentes sans vérifier leur niveau de connaissance ou à parler plus que nécessaire dans une discussion, cela pourrait être un signe de mansplaining. Posez-vous des questions comme : « Est-ce qu’on m’a demandé d’expliquer cela ? » ou « Est-ce que je parle différemment à une femme qu’à un homme sur ce sujet ? »
Aborder un collègue peut être délicat, mais il est important de le faire de manière non accusatrice. Vous pouvez le faire en privé, en disant par exemple : « J’ai remarqué que tu as tendance à expliquer des choses que je connais déjà. Cela me fait sentir que mes compétences ne sont pas reconnues. » Cette approche assertive et calme aide à instaurer un dialogue sans provoquer de conflit
Le terme « femsplaining » est parfois utilisé de manière humoristique ou par dérision, mais il n’a pas la même résonance que « mansplaining ». Cela s'explique par le fait que les dynamiques de pouvoir et les stéréotypes de genre sont différents. Cependant, toute personne, indépendamment du genre, peut adopter une attitude condescendante ou expliquer de manière inappropriée, mais ces comportements ne s’inscrivent pas dans les mêmes dynamiques historiques de domination que le mansplaining.
Bien que le mansplaining soit principalement observé dans des dynamiques de genre, où un homme explique de manière condescendante à une femme, il peut également survenir dans des situations où une personne en position de pouvoir ou de privilège explique quelque chose à quelqu'un perçu comme ayant moins de connaissances ou d'autorité, indépendamment du genre. Cela peut aussi se produire entre deux hommes ou deux femmes, notamment dans des contextes où l'un détient plus de pouvoir
Absolument. Le mansplaining peut éroder la confiance en soi, surtout lorsque cela se produit régulièrement, en particulier dans des environnements professionnels. Quand une personne est constamment interrompue ou que ses compétences sont minimisées, elle peut commencer à douter de ses capacités, même si elle est experte dans son domaine. Cela peut même affecter la progression de carrière, car l'individu peut être perçu à tort comme moins compétent
Delvaux, M., & Mercier, C. (2020). Penser les inégalités de genre dans les interactions professionnelles. Revue Française de Sociologie, 61(4), 713-735.
Duru-Bellat, M. (2017). L'école des filles: Quelle formation pour quels rôles sociaux ?. Paris : Presses Universitaires de France.
Freud, S. (1923). Le moi et le ça. Paris : Presses Universitaires de France.
Kraus, M. W., & Mendes, W. B. (2018). The power of voice: Unequal power dynamics and the sense of control. Annual Review of Psychology, 69(1), 241-263.
Lacan, J. (1957). Le séminaire, livre V : Les formations de l'inconscient. Paris : Seuil